Les ateliers de production, spécificité belge, unique en Europe, coproduisent, promeuvent et distribuent depuis plus d'un quart de siècle près de 500 films, des œuvres de création de documentaires courts, moyens, et longs métrages en film et en vidéo. Etonnant et détonnant, non seulement que nous ayons un style, mais que l'Europe des festivals le reconnaisse en récompensant nos talents. Le C.B.A. à Bruxelles et le W.I.P. à Liège produisent en intervenant à plusieurs niveaux : aides financières, aides en services et matériel, promotion dans les festivals, diffusion dans les salles et surtout distribution en télévision. Actuellement, elles connaissent une crise financière due au manque de moyens à quoi s'ajoute une inflation de projets souvent intéressants, rançon du succès d'une formule dont la structure souple et conviviale permet à un jeune réalisateur d'être accompagné tout au long de son projet. Le 18 septembre, une conférence de presse a tiré le signal d'alarme, en présence de Corinne De Permentier, Ministre de l'Audiovisuel, et d'Henri Ingberg, secrétaire général de la Communauté française de Belgique. Dans un premier temps, nous avons interrogé Benoît Lamy sur la situation des ateliers de production. Nous publierons dans un prochain webzine un entretien avec Jean-Pierre Dardenne qui nous parlera des ateliers d'accueil.
Benoît Lamy, président du CBA
"Il existe à l'étranger des workshops qui regroupent des professionnels et des non-professionnels du domaine cinématographique, que ce soit en fiction ou en documentaire, nous confie Benoît Lamy. En Belgique, on a vu l'éclosion d'ateliers, il y a environ vingt-cinq ans, parce qu'Henri Storck, qui aimait le documentaire et aimait se documenter, aimait les jeunes, a pensé qu'il existait deux écoles de cinéma de renommée internationale (l'INSAS et l'IAD) mais pas de structure susceptible d' accueillir leurs projets après qu'ils eurent effectués leurs études. D'où l'idée de leur permettre de faire des documents - je préfère dire document parce que documentaire a un petit côté tristounet. Document est un peu un reflet de la vie, une fictionnalisation de personnes publiques ou privées qui les rendent à nulle autre pareilles, captivantes, intéressantes et qui dévoilent leurs travers, leurs envers, leurs détours et leurs contours. Créés par Henri Storck, à l'origine, les ateliers se sont multipliés. Je ne parlerai que du WIP et du CBA parce que je les connais mieux que les autres bien que reconnaissant la qualité des autres ateliers. Le CBA a commencé très timidement par l'octroi de subsides très modestes permettant à de jeunes auteurs d'œuvrer dans le document. Depuis lors, le volume de documents produits a augmenté. Chose particulière, outre l'apport financier, il y a un apport technique et matériel ce qui est essentiel pour de jeunes créateurs qui tantôt demandent une aide financière et tantôt demandent une aide matérielle. Je ne pense pas que les ateliers concurrencent la production privée, c'est bien au contraire, une sorte de marchepied qui permet aux jeunes auteurs, forts de l'appui d'un atelier, de trouver un producteur, des coproducteurs étrangers. Actuellement, le CBA coproduit avec le privé et énormément avec l'étranger. La plupart des films que nous faisons actuellement sont coproduits tantôt par la France, l'Angleterre, le Luxembourg ou l'Allemagne.
Déranger
Nous Belges avons un regard goguenard sur la réalité, un regard singulier. Il est important que des jeunes qui créent une œuvre sachent qu'ils ne vont pas se confronter à des pontes ministériels mais à des alter ego. Ce qui est intéressant dans les ateliers - que ce soit le CBA ou le WIP - c'est qu'ils sont animés par des professionnels et pas par des gens qui sont loin de la réalité cinématographique. Ce sont des alter egos qui ont un vrai regard et qui peuvent servir de punching ball.
Quand on analyse le nombre de prix reçus tant par le WIP que par le CBA pour les œuvres réalisées, on constate que c'est colossal ! Nous sommes les cariatides du cinéma belge et international. C'est étonnant et détonnant. C'est la qualité d'un atelier d'être une espèce de porte-avion avec non pas des missiles mais de gentils hélicoptères qui ont un désir de se démarquer par rapport à la réalité et de l'approcher avec un regard vrai et fictionnel. J'estime qu'un documentaire n'est pas la décalcomanie de la réalité, c'est d'abord un point de vue. On le voit d'ailleurs dans les commissions du CBA ou du WIP où passent les projets qui ne sont pas de simples reportages - ça, c'est le rôle qu'assume la télévision - mais ceux qui ont un regard fustigeant, personnel, qui fait craindre pas mal de choses et qui, peut-être, surprennent et dérangent les commissions plus officielles.
Un vrai réalisateur ne sort pas un lapin de son chapeau, ne surprend pas mais interroge. Il donne au spectateur une longueur d'avance par rapport à l'action qui se déroule. Je le vois , par exemple avec Le Rêve de Gabriel. Dès les premières images, nous connaissons, nous spectateurs, l'enjeu et la finalité du personnage - Anne Levy-Morelle ne nous surprend pas mais nous émeut, par un parcours. Un vrai documentaire montre comment une réalité se meut et nous émeut.
Le sujet est aussi important que le regard du réalisateur. Il y a des banalités extrêmes qui peuvent surgir d'une autre façon si le réalisateur offre un vrai regard. Par exemple : il y a l'interviewer et l'interviewé. Nous sommes deux. Cet entretien pourrait être banal mais dès le moment où un spectateur extérieur sait que l'un de nous deux va mourir dans dix minutes, l'interview prend une valeur tout à fait différente. Ça devient brûlant. Ce dialogue gentil, chaleureux, tout d'un coup bascule vers l'étrange parce que le spectateur, sachant que l'un d'entre nous deux va mourir dans dix minutes, va nous regarder différemment, va se demander ce qu'on va faire, comment l'un va quitter l'autre. Quelle sera la réaction du survivant au décès de l'autre. Tout change.
Quand on voit Mobutu roi du Zaïre, ce sont des documents que tout le monde a vu mais le génie de Thierry Michel est d'avoir conçu son film comme une tragédie grecque. Ce n'est pas découvrir des choses d'exception mais avoir des regards d'exception. Je crois que c'est ce qui fait la qualité du cinéma belge.
Un metteur en scène, c'est quelqu'un qui nous fait participer à l'émotion interne d'un personnage ou d'un caractère, que ce soit en fiction ou dans le documentaire. Un doc ne consiste pas à faire de belles images mais à nous faire ressentir de l'intérieur la vérité des personnages montrés. Quand on voit Traces, le film que Patric Jean a réalisé au Borinage, il n'y a pas de belles images mais il fait participer à l'émotion d'une mère, veuve avec quatre enfants, et même si le plan où on la voit partir de dos, se retournant de temps en temps vers la caméra, plan mal foutu, où elle ne dit rien à la caméra et le réalisateur l'exprime : " elle n'a jamais rien voulu me dire ", c'est déchirant. C'est extraordinaire parce que tout d'un coup toute la détresse de cette femme, précédée du fils aîné qui a onze ans et est un peu plus grand que les autres, qui descend la rue, c'est bien plus beau qu'un plan léché sur une ruine. Le regard du réalisateur l'emporte sur l'émotion interne de cette femme qui est déchue, n'a plus rien à quoi se raccrocher et qui refuse le dialogue. La caméra nous le fait ressentir. Tous les vrais documentaires ont cette générosité de dire : " vous, spectateur-voyeur, je vais vous rendre voyeur-aveugle et vous montrer l'intérieur des gens que je vous fait découvrir. " Tout bon documentaire fait ressentir plutôt que montrer des images.
Télévision
Un programmateur de télévision a tendance à dire : il y a la grille animalière, sportive, famille etc. On est totalement en dehors de ces normes. On est des oiseaux fous qui se baladent d'un arbre à l'autre. Il faut savoir que chaque franc engendré par le CBA engendre sa multiplication par huit. Si le CBA donne un franc, les producteurs trouvent sept autres francs ailleurs. Donc si nous sommes le starting bloc des films force nous est de reconnaître que ça fait investir des partenaires tant belges qu'étrangers dans les productions que nous avons initiées. C'est sécurisant. On ne se trompe pas trop d'un point de vue purement financier. Nos rapports avec la télévision sont compliqués et hasardeux. La télé produit peu de documentaires, ce qui est dommage mais participe aux œuvres qu'on propose. Généralement, ce n'est pas toujours facile parce que la télévision a tendance à penser à l'audimat. Ce qui est une erreur parce que le succès du Rêve de Gabriel démontre qu'une œuvre singulière peut attirer un grand public. La télévision essaye de calibrer des programmes par rapport à des grilles et les œuvres qu'on propose sont en dehors de ces grilles - ce sont des oiseaux libres, ce ne sont pas des oiseaux empaillés. Nous ne sommes pas taxidermistes, nous voulons des œuvres vivantes et donc fatalement on prend des risques, énormes, mais je crois que nous ne pourrons exister, nous, cinéma belge, qu'en nous distinguant. Et la distinction ce n'est pas avoir le petit doigt en l'air, c'est se démarquer, être vrai, être singulier. Si la bande déssinée a trouvé en Belgique son nid le plus favorable ce n'est pas le fruit du hasard. Pour nous - qui sommes au confluent des mondes latin et anglo-saxon - les mots ne veulent rien dire. Un Belge parle plus par borborygmes que par mots clairement énoncés. En Belgique il n'y a pas de centre, tout est éclaté, le Palais Royal par exemple ne s'aborde pas de front, il s'aborde par la gauche, par la droite mais pas de front. On ne croit pas au pouvoir central, on croit à la pensée éclatée et que les mots ne veulent rien dire. Nous ressentons très fortement des émotions brutales et ça se traduit dans nos documentaires. C'est ce qui fait notre génie.
Détresse
Les ateliers sont un peu en détresse puisqu'on gère le minimum alors qu'on reçoit quantité de projets dont certains sont excellents mais qu'on doit refuser faute de moyen, ce qui est dramatique. Ou alors on doit donner parcimonieusement des aides qui sont des messages de bon vouloir mais qui ne sont guère substantielles. Et pourtant le documentaire est à la fois un marchepied et une descente d'avion du long métrage. Je trouve formidable que Benoît Mariagequi a fait un court et un long métrage de fiction, revienne au documentaire. Moi-même entre deux longs métrages, je fais quelques documentaires pour me ressourcer par rapport à la réalité des choses. Il ne faut pas qu'un cinéaste ne soit qu'un homme de fiction. Il doit avoir la sincérité de ne pas se mettre en avant, de découvrir et faire partager cette découverte. Oagadougou, je ne l'aurais jamais réalisé si je n'avais pas fait La Vie est belle.
Outils
Le WIP est plus outillé au niveau de la postproduction. Au CBA on commence à s'outiller. Pour le WIP c'est une volonté, avec DERIVES, de créer un ponton pour la finalisation de films. Parce qu'on remarque de plus en plus que les jeunes auteurs se jettent à l'eau avant d'obtenir de l'argent (on rassemble les copains, du matériel) et puis se trouvent au bord du perchoir parce qu'ils n'arrivent plus à s'envoler parce qu'ils n'ont pas les moyens de s'offrir un studio et qui sont les frais incompressibles d'une production. C'est donc très bien que le WIP ait pensé à la postproduction, avant le CBA d'ailleurs. Sinon le mode de production est très proche.