C'est un superbe livre que Philippe Moins a consacré à Raoul Servais, notre cinéaste d'animation le plus connu. Retraçant son itinéraire de ciné-peintre avec une précision qui doit beaucoup à la longue amitié qui le lie au réalisateur de Chromophobia. L'ouvrage est écrit avec un style alerte qui en fait un vrai bonheur de lecture.
Philippe Moins écrit Raoul Servais
Entretien avec Philippe Moins
Avec Havenlichten, présenté au festival d'Anvers, il obtient le premier prix du film d'animation. mais qui est un succès purement local. Pendant très longtemps, jusqu'au milieu des années soixante, Raoul a vécu dans un microcosme : le milieu belge.
Chromophobia
Goldframe
Opération X70
Pegasus
Harpya
Ça l'ennuie quand on dit que c'est un film misogyne. Il dit : " j'aime beaucoup les femmes. " Ce dont je ne doute pas. Et pourtant la misogynie est l'impression qu'on a en voyant Harpya mais il n'aime pas qu'on reste sur cette impression-là. C'est un film de transition. Il y a une rupture sur le plan esthétique mais sur le plan de l'esprit ça reste un film à gag, un peu cartoon.
La servaisgraphie
Ce qu'il n'aimait pas dans le dessin animé, c'est que, d'un côté, on avait le décor qui ne bougeait pas et de, l'autre, les personnages. Et qu'il y avait une très grande différence entre la façon de traiter les personnages et de traiter les décors.. On pourrait analyser tous ses films sous ce biais- là : il a toujours eu la volonté de créer une symbiose entre le décor et les personnages et de faire en sorte que ceux-ci appartiennent au même univers que le décor. Il a donc toujours été intéressé par des techniques d'incrustation. La servaisgraphie est au fond une technique d'incrustation, avec un réalisme photographique - qui n'est pas vraiment du réalisme - élaboré. Harpya inaugurait un style intéressant , un peu saccadé. Il avait trouvé quelque chose et il l'a fait breveter. Et puis est arrivée cette idée de faire un long métrage produit par Pierre Drouot et petit à petit il a été happé par cette production du long où l'on a fait de sa technique autre chose qui gommait un peu les aspérités et les aspects artisanaux de ce style qui lui était propre. C'est sans doute de là qu'est née la déception que certains ont ressenti avec Taxandria. On ne trouvait pas la servaisgraphie puisque pour le film ils sont retournés à un côté plus traditionnel.
Taxandria
Et puis, je me suis rendu compte que Raoul était sûrement aussi déçu que nous par son film. Et j'ai compris que si on dépassait ce premier constat on retrouvait malgré tout ce qui se trouve à l'état embryonnaire dans d'autres films et qui sont poussés plus loin dans Taxandria. Dans toutes les séquences oniriques, il y a de la servaisgraphie. Et elles donnent une idée du film qu'il aurait pu faire si on l'avait laissé faire ce qu'il voulait.
Les producteurs avaient peur de faire un film d'animation. On a l'impression que pour eux c'était quelque chose d'obscène. Ils ont tout fait pour camoufler le côté animation du film.
Dans un film en prises de vues réelles, aussi storyboardé soit-il, il y a toujours une part de hasard. En ce sens, Taxandria reste un film d'animation même si ce ne l'est pas au sens strict puisque rien n'a été laissé au hasard et, tout est fabriqué image par image.
Raoul savait dans quel engrenage il mettait les doigts mais tout réalisateur d'animation a toujours envie de faire un long métrage parce qu'on a davantage de reconnaissance auprès du public.
Papillons de nuit
Au départ, il avait voulu partir de l'univers de Paul Delvaux et pour une raison très pragmatique il y a renoncé en constatant que les peintures de Delvaux n'offraient pas assez d'éléments pour bâtir une histoire. La façon dont Delvaux cadrait ne fonctionnait pas bien dans un film narratif. Papillons de nuit marque le retour à la servaisgraphie et sa première vraie mise en application.
Conclusion
Raoul est un exemple pour les gens qui font ce métier parce qu'il a eu une ténacité incroyable et il l'a toujours. C'est quelqu'un qui a toujours eu envie d'éviter à ceux qui le suivaient de perdre du temps comme lui. Il doit regretter d'avoir passé tellement de temps à apprendre son métier. Ça doit être une des raisons fondamentales qui lui ont fait poursuivre l'enseignement. Au départ c'était quelque chose qui le faisait vivre mais il tient toujours à l'aspect pédagogique, à la transmission de l'expérience qu'il a acquise. Les animateurs sont plutôt introvertis et lui n'a pas ce côté intérieur, il communique facilement son savoir.