Shtong ! Enfin ! Des comédiens belges franchissent le Rubicon, bougent. Oubliés, marginalisés dans un artisanat - le cinéma belge - qui se transforme année après année en industrie et remporte de plus en plus de succès public et critique, les oubliés de l'histoire se rebiffent. Il était temps ! D'autant que sans eux, sans les personnages qu'ils incarnent, sans la chair qu'ils donnent à un film projeté "bigger than life" sur les écrans de nos multicomplexes, l'émotion des spectateurs n'existerait pas et le cinéma en serait réduit à être une série d'images inanimées, genre document en couleurs du Geographic Magazine ou collection de pâles Polaroïds.
T'as pas un rôle ?
Re-Shtong ! Psyché Piras grimpe les quatre étages qui mènent aux bureaux de Cinergie avec un projet intéressant. Soutenue par Radowski films elle a eu l'idée de réaliser une collection de cinq courts métrages sur les coulisses du cinéma belge (scénariste, réalisateur, directeur de casting, producteur, acteur) vues par les acteurs qui en sont les premiers témoins et souvent les premières victimes (Louella Interim, en Belgique, tu pointes!). Toute de noir vêtue, P.P. se débarrasse d'un chapeau grenat genre Nicolas Gombert (le maître de Chapelle préféré de Charles-Quint).
Elle nous explique d'une voix de mezzo-soprano courtoise et rassurante : "T'as pas un rôle ?, ce sont les acteurs face à eux-mêmes, l'épisode pilote de la série dont tu as pu voir quelques prises pendant le tournage. En tant que comédienne, j'ai essayé de montrer à travers ce film le talent des comédiens belges. On explore les relations des acteurs entre eux dans le cadre d'un casting. A travers ce film, j'avais envie de montrer différents genres cinématographiques (comédie, fantastique, policier, etc.) parce qu'on a un répertoire de différents types d'acteurs et parce que dans la vie on ne cesse de passer de la comédie au fantastique, du grotesque au sérieux, à travers les expériences auxquelles on est confronté dans la vie courante".
Second rôle
Ffffuit ! "Les producteurs oublient un peu trop, en Belgique, qu'un film (l'index pointé sur ma poitrine), c'est une histoire interprétée par des acteurs et que ceux-ci sont un maillon important dans sa fabrication. Or dans ce pays, on est soumis aux aléas de coproductions où la France est majoritaire. Que restent-ils aux comédiens belges ? Si on a de la chance, les seconds et troisième rôles. En un mot, on fait de la figuration ! Il y a pourtant de bons acteurs en Belgique, capables de s'adapter à différents rôles et surtout à différents genres de cinéma (elle plisse les yeux et vide sa tasse de café en grimaçant). Cela étant, il y a un problème plus important parce qu'il se situe en amont de la chaîne : pas plus qu'on apprend aux comédiens à jouer devant une caméra on apprend aux réalisateurs à diriger des acteurs. Et donc comédiens et réalisateurs ont peu l'occasion de se rencontrer. Il y a même une certaine peur de part et d'autre ! D'où l'idée de Radowski films en créant des ateliers : faire connaissance. Aborder ensemble le jeu devant la caméra ! (Elle s'interrompt, reprend son souffle, esquisse un sourire). Au réalisateur à donner au départ cette confiance à l'acteur. Un mot pour un comédien n'est pas le mot du réalisateur ! Se comprendre, travailler ensemble, ce sont des choses qui s'apprennent. C'est une question de confiance. (D'une voix riche en nuances), il faut qu'il y ait une fusion entre le réalisateur et l'acteur et, à ce moment-là, les mots trouvent leur signification, se transcendent dans des images, un corps qui les porte."
Flash Back
Splash ! Il fait un temps digne de la Belgique. Pluvieux, froid sans lumière. L'inverse de Los Angeles (on comprend pourquoi Hollywood s'est installé en Californie, c'est un studio naturel, on n'a jamais de problèmes de raccords). Le parc Solvay ruisselle de pluie, les chemins boueux flanquent de la glaise sur vos Reeboock. Et des comédiens les cheveux mouillés, les vêtements trempés pataugent dans la boue, jouent pour prouver au monde en général, et aux producteurs belges en particulier, qu'ils savent le faire. Episode comique de T'as pas un rôle ? Dirigées par Psyché Piras, deux jeunes femmes coiffées à la Sheila (avec des nattes d'écolières) avancent en dansant et en tenant entre elles une poupée Barbie. Elles sont vêtues de bas blancs, de jupes plissées à carreaux et d'un Duffelcoat bleu navy. Derrière elles, une fille revêtue d'un jogging bleu clair court face caméra et dépasse les deux femmes-enfants. C'est un plan américain que Kassim Olivier Ahmed capte à l'aide d'une caméra vidéo Canon DV XL1 tandis que Carinne Zimmerlin (perche) et Gregory Noël enregistrent le son.
Autoproduction
Humpff ! Pendant les retakes, Pierre Lequeux, l'interprète du curé dans La Danse des esprits, le long métrage de Manuel Poutte, mais aussi le fondateur, avec Psyché Piras et Pascal Pluhmans, de Radovsky Films, nous explique, un gobelet de café fumant à la main, que depuis quelques mois, deux ateliers ont vu le jour, un Atelier de comédiens face à la caméra animé par Frédéric Lammerant et Fred Fonteyne ainsi qu'un Atelier scénario. Le premier est destiné à combler le fossé qui sépare comédiens et réalisateurs de cinéma. Le second à tester les dialogues écrits par des scénaristes auprès de comédiens. Il entreprend d'essuyer sur le tissu de son écharpe les verres de ses lunettes que la pluie rendent opaques. Un large sourire éclaire son visage, son index se pointe vers le ciel puis il hausse les épaules sans quitter son auditeur du regard. Avec Radovski films, il vient de lancer une maison de production qui développe et finalise des productions légères et ultra légères ( format vidéo digital et sur pellicule). Il s 'est procuré du matériel d'éclairage et du matériel image (caméra vidéo digitale) et envisage l'achat d'une Caméra Super 16. Outre la collection des cinq films précités, Radovsky films à plusieurs films en chantier et plusieurs projets à l'horizon 2000.