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Stijn Coninx sur le tournage de Soeur Sourire

Publié le 10/11/2008 par Antoine Lanckmans et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Tournage
En 1993, Stijn Coninx réalise Daens, une fresque historique et sociale qui a obtenu un succès mondial. Nous l’avions interrogé dans l’un de nos derniers numéros imprimés. Dix ans plus tard, lors de la sortie de Au-delà de la lune, Dimitra Bouras l’avait rencontré pour un film qui n’avait pas grand-chose à voir avec la saga sociale de Daens. Un an après son documentaire To walk again, il vient de terminer, en septembre de cette année, Sœur Sourire, un long métrage avec Cécile De France. Un  film de fiction sur une sœur dominicaine dont «Dominique, nique, nique » sa chanson vedette, a dominé les bacs à disques dans les sixties.
Cinergie : Stijn, avant de parler de Sœur Sourire, je voudrais que l’on parle d’un des premiers courts métrages que tu as fait en 1980 sur Raoul Servais. Qu’est-ce qui t’intéressait sur Raoul à cette époque ?
Stijn Coninx : J’ai toujours été très intéressé par le contenu de ses films, son esprit, sa façon de traiter les problèmes mondiaux. C’est quelqu’un qui est toujours très jeune, malgré ses 80 ans. Il s’occupe toujours de thèmes d’actualité comme par exemple dans ses films sur la violence, la nature ou l’amour. Ce sont de grands sujets, de grands thèmes. Dans chaque film, il a créé un monde à part, tellement formidable que, selon moi, c’est LE plus grand, ou en tout cas, un des plus grands cinéastes belges. 
 
 
C. : Passons maintenant à Sœur Sourire. Après Sea of Silence (Au-delà de la lune) en 2003, tu es professeur à l’INSAS et au RITS. Comment t’es venue l’idée de Sœur Sourire ?
S.C. : L’idée vient en fait de quelqu'un qui a toujours été fou de Sœur Sourire. Il avait commencé le projet en 1989, et m’avait déjà contacté en 1991 pour faire le film, mais j’ai toujours refusé parce que le scénario ne parlait que de la misère, de ses problèmes financiers, et du conflit avec le couvent qui avait volé l’argent. Je ne m'intéresse pas aux problèmes financiers des gens. Ça m’emmerde. Et puis, en 2003, le producteur Jan Van Raemdonck m’a demandé ce que je proposais. J’ai dit que je voyais une histoire d’amour. Le sujet, pour moi, c’est une jeune femme qui est à la recherche de l’amour, qui est en manque d’amour. Ce n’est pas un film sur deux lesbiennes, mais il y a quand même le thème de l’homosexualité et ça, c’est un sujet très important aujourd’hui.
En plus, Jan Van Raemdock voulait me présenter Cécile De France, que je connaissais de nom, mais que je n’avais jamais rencontrée. Lorsqu'on s'est vu à Paris, elle m’a dit qu’elle avait vu Daens et qu’elle voulait faire un film avec moi, alors que je n'avais même pas encore de scénario ! Elle m’a dit : « Si tu le réalises, je veux le faire ». Alors j’ai répondu : « Si tu le joues, alors je le fais. » Depuis ce jour-là, on s’est tenu au courant de nos disponibilités, on a dû reporter plusieurs fois et elle disait « merde » ! Finalement, fin avril et début mai, on a pu convaincre les co-producteurs français et c’était parti. 
 
 
C. : Tu as voulu mettre le thème de l’amour au centre, est-ce toi qui as écrit le scénario ?
S.C. : Le scénario a été écrit pas Chris Vander Stappen, avec qui j’ai travaillé de 2003 à 2007, et par Ariane Fert, une scénariste française qui est venue m’aider. J’ai écrit une partie aussi, mais en général, je relisais et je changeais quelques passages. Le mérite revient à ces deux dames.
 
 
C. : Là où on rejoint Daens, c’est que tu es parti de faits historiques, mais tu crées une fiction à partir de ces faits. Ce qui t’intéresse, c’est la fiction. Le côté historique se rapproche du documentaire, et ça, ce n’est pas ta tasse de thé, c’est bien ça ?
S.C. : Le côté historique m’intéresse beaucoup comme base. Si la base n’est pas intéressante, il n’y a pas de raison de faire un film. Mais la différence, c’est que dans un documentaire, on se rapproche du sujet, donc cela ne sert à rien de changer la réalité. On peut avoir un point de vue, mais c’est tout. Dans la fiction, on peut aller plus loin qu’avec le seul côté historique. Si j’avais suivi l’histoire de Sœur Sourire à fond, les gens se seraient ennuyés, j’en suis sûr. Ce qu’on attend d’une fiction, c’est l’histoire, et d'être lié au personnage. Il faut que le caractère soit intéressant. C’est pour ça que Cécile De France était tellement importante, parce que c’est une comédienne formidable, avec un caractère très fort, et ça se sent dans le personnage. Quand je regarde les images d’archives, mon avis est que Sœur Sourire n’est pas très attractive. Si j’avais dû faire un casting, je ne l’aurais jamais prise pour jouer son propre rôle. Elle n’avait pas le charisme pour pouvoir garder un public toute sa vie, il est donc évident qu’à un certain moment, elle ne pouvait plus avoir de succès. Elle a eu du succès comme les grands musiciens, mais ses textes n’ont pas le contenu de ceux de Jacques Brel, Elvis Presley ou Paul Mc Cartney. C’est incomparable. Pour moi, le succès est un fait historique très intéressant, mais je ne peux pas embêter un public qui veut voir un film de fiction avec une histoire inintéressante.
Mon point de vue dans la fiction, c’est l’amour, et pas l’argent. Au dernier moment, j’ai quand même dû, à la demande de certains producteurs, ajouter un petit quelque chose sur l’épisode des impôts.
 
 
 
C. : Je voudrais revenir maintenant sur les sixties. Tu as dû reconstituer une époque où la jeunesse s’est imposée, tant au niveau de la façon de vivre que dans les relations avec les parents, etc… Est-ce que cette partie-là t’a intéressée, ce changement de mentalité où tout à coup la jeunesse arrive à s’exprimer est-il visible dans ton film?S.C. : Je crois que la relation entre enfants et parents est très importante dans le film. C’est le point de départ de ce manque d’amour. L’amour c’est aussi, souvent, la liberté. Que veut cette jeune femme ? Elle veut être libre, et ne pas suivre le même chemin que sa mère. C’est une rebelle. Quand elle part au couvent, c’est parce qu’elle s’enfuit, elle ne veut plus rester à la maison. C’est une recherche, elle veut savoir qui elle est, et ça c’est un sujet d’aujourd’hui. 
 
 
 
C. : Est-ce que tu t’es servi de la « couleur » des sixties ? C’est une époque où tout a changé : le cinéma a complètement explosé, comme la musique et la chanson, et même l’église catholique avec l’arrivée de Jean XXIII.
S.C. : Evidemment. On s’est amusé avec les décorateurs et le chef costumier à créer et représenter les  années 60. Dans le film, on a aussi procédé aux changements entre 1959 et 1960. On a essayé de restituer l’évolution jusque 1967. L’histoire continue après, mais on ne dit plus l’époque à laquelle on est, parce que l’histoire se répète : elle veut rechanter, ça ne marche pas, alors elle est triste et elle boit, et ainsi de suite pendant près de 20 ans. C’est un peu comme si on était dans l’éternel.
Donc l’histoire s’arrête un peu après 67, mais on ne dit plus la date exacte, elle reste jeune. La plupart des gens savent qu’il y a eu un double suicide, mais j’ai senti que ce n’était pas nécessaire de vieillir Cécile De France, c’était inintéressant.
 
 
 
C. : Tu parles de l’amour, mais est-ce que le manque d’amour de sa mère est important dans le film ? Parce que c’est un peu ce qui provoque sa rébellion… 
S.C. : C’est le manque d’amour qui provoque toute l’histoire. Et c’est ce qui s’est réellement passé, donc on s’est servi de la réalité, mais sans dire que l’on a tourné des séquences biographiques exactes. Je ne dirais jamais que cela s’est exactement passé comme ça, c’est pour ça que c’est de la fiction. Mais le manque d’amour de la mère est mal communiqué, et ce problème existe toujours aujourd’hui. On peut faire un effet de miroir entre l’écran et la vie d’aujourd’hui. Les gens reconnaissent des choses. 
 
 
 
C. : C’est donc vraiment un thème universel. Sœur Sourire n’est pas la seule à l'avoir vécu. 
S.C. : Oui, et dans tous mes films, on parle un peu de cela. Il y a toujours un thème qui revient : l’amour. Dans la vie, il y a toujours l’amour, donc ce qui me plaît, c’est raconter une histoire d’amour, mais dans un contexte différent.
Je suis très heureux d’avoir pu faire ce film, cela a été un réel plaisir.

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