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Tirana, An zero de Fatmir Koçi

Publié le 01/01/2003 / Catégorie: Critique

Le film commence sur une boutade : un type un peu bourru hurle dans un mégaphone des instructions de réalisateur. Il filme une pub pour la télévision, en pleine nature albanaise. A l'occidentale, aimerait-il, bien qu'il n'ait pas les moyens... En quelques minutes, tout est déjà dit : l'Albanie est un pays de contrastes, séduit par l'Occident mais fier de ses racines orientales, à la fois moderne et archaïque, désireux d'un futur plus radieux mais engoncé dans des pratiques et des traditions d'un autre âge. Un pays chaotique, que le réalisateur Fatmir Koçi filme avec tendresse et humour, partagé lui aussi entre cette envie d'aller de l'avant (comprenez : vers l'Ouest) et de souligner son appartenance à une culture unique.

Tirana, An zero de Fatmir Koçi

L'histoire reflète cette dualité, vitale pour Koçi et pour bon nombre de ses concitoyens : Niku a 23 ans et vit à Tirana. Dans une Albanie post-soviétique "qui n'a rien d'un Eldorado", il cherche du travail. Il est amoureux de Klara, qui veut tenter sa chance à l'étranger. Lui, préfère rester au pays... Si Klara (merveilleuse Ermela Teli) symbolise un peu ce cinéma de l'exil dont l'exemple le plus connu est  Loin des barbares  de Liria Begeja (avec Dominique Blanc), Niku, lui, par ses doutes, ses interrogations, ses tergiversations, incarne la figure type d'un autre cinéma albanais, coincé entre deux eaux, et dont Koçi est le plus fier représentant. "Courage, restons", pourrait être la devise du cinéaste et du personnage principal de Tirana, An Zéro, parce que, pour eux deux, c'est un "bordel qui est vital" (dixit Philippe Preux, l'un des organisateurs du Festival du Cinéma méditerranéen au cours duquel fut projeté le film, et grand connaisseur du cinéma albanais). Fatmir Koçi, et à travers lui ses films, incarne donc la frange critique, limite contestataire, d'un cinéma national généralement conservateur et didactique, voire moralisateur, qui préfère se détourner des véritables préoccupations des Albanais (d'où la thématique récurrente de l'exil) que de ruer dans les brancards d'une société en pleine mutation. 

Déjà dans son premier film,  La balade à travers les balles (1990), Koçi osait le sujet qui fâche - l'histoire d'un petit garçon devenu orphelin suite au massacre de sa famille par des troupes allemandes. Dans  Tirana, An Zéro, il s'en prend cette fois au système communiste, à "une certaine gauche occidentale" ("L'Albanie attire beaucoup de magouilleurs", explique Philippe Preux, incarnés ici par le personnage de l'Allemand) et à tous ces Albanais qui fuient le pays soit par lâcheté, soit par facilité. En analysant nos sociétés à travers le prisme albanais (et vice-versa), Fatmir Koçi a donc réussi un film malin et amusant, à défaut d'être vraiment surprenant (la mise en scène, approximative). En dépeignant l'univers particulier d'un Albanais pure souche en proie à ses vieux démons (Rester ? Partir ?), Koçi nous fait rire, c'est certain. Restent quelques lourdeurs, des temps morts, une caméra pataude, des raccourcis étranges, mais n'est-ce pas mineur en regard de la fraîcheur qui se dégage du film, et de son originalité ?

Grégory Escouflaire

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