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Suzanne de Julien Monfajon

Publié le 02/12/2008 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

Ils s’appellent Guillaume, Michel, Jimmy, Ghislain, Myriam et Suzanne et habitent dans le Quartier des Balances à Salzinne. Qui sont-ils ? Six personnages de fiction imaginés par douze étudiants de l’IAD. Le professeur et réalisateur, Benoît Mariage, d’origine namuroise, a dirigé ses élèves au cœur de ce quartier de logements sociaux pour une série de douze courts métrages. Chaque histoire, écrite en binôme, a donné lieu à deux montages différents. La qualité du projet a été reconnue par le comité de sélection du festival de Média 10-10 puisque trois d’entre eux (Michel, Suzanne et Guillaume) ont été sélectionnés. La version de Julien Monfajon (co-écrite et co-réalisée par Baptiste Janon) pour le film Suzanne a obtenu le Prix du Meilleur Court Métrage de fiction pour cette 30ème édition. Portrait sensible dans un quartier sensible.

Suzanne de Julien Monfajon

Love U

Suzanne travaille dans une usine de conditionnement. Emballer, déballer, déposer, transporter, tel est son lot quotidien. Dans une tenue de travail qui lui ôte toute féminité, près d’autres femmes vêtues à l’identique, elle effectue des gestes automatiques et déshumanisants. Son lien avec le monde, un téléphone portable qui, dans cette journée qui aurait pu être comme toutes les autres, va faire naître l’évasion, le rêve, le désir. Suzanne reçoit des messages d’un inconnu. Tour à tour troublée, inquiète, flattée, coupable, les sentiments qui l’envahissent sont captés par la caméra sans qu’un mot ne s’échange.
Tout autour, le brouhaha des machines et les conversations à peine audibles des ouvrières parviennent plus encore à nous isoler avec elle dans le silence, dans une bulle de rêve et d'espoir.
La profondeur du personnage est rendu par les changements presque imperceptibles qui se lisent sur son visage : un battement de paupière, des lèvres qui se pincent, un sourire incontrôlable nous font entrer au cœur de son intimité. Le spectateur est ainsi emmené à penser et ressentir les choses comme s'il les vivait. Comme Suzanne, nous sommes dans l’attente de ce petit signal qui va délivrer un message, comme elle, nous sommes déjà dans un ailleurs possible, une histoire en train de s’écrire, au propre comme au figuré.
Julien Monfajon et Baptiste Janon filment au plus près du personnage. La comédienne, Lara Persain, dévoile ses fragilités avec finesse. Il faut la voir croquer dans sa pomme, le sourire aux lèvres alors qu’elle vient de lire un « vous êtes belle » ; il faut la voir retirer nerveusement ses gants de manutention pour supprimer un « Je vous imaginais nue » l’impliquant déjà trop dans un désir qu’elle ne peut pourtant s’empêcher d’éprouver sans en connaître l'objet. Par un dispositif simple, une mise en scène épurée et à la fois charnelle, les réalisateurs créent tout un univers dans le presque rien qui élargit le champ des émotions et donne au film toute sa dimension entre illusions et désillusions.

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