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Les Barons de Nabil Ben Yadir

Publié le 01/11/2009 par Anne Feuillère et Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

Ça baronne à Molenbeek

Ça va baronner dans les cinés, on vous le dit ! Les Barons ont fait pétiller les spectateurs à la soirée d’ouverture du Festival International du Film Francophone de Namur. Avec ce premier long métrage en feu d’artifice, Nabil Ben Yadir a fait sauter gaiement tout ce qu’on croyait savoir, sur la communauté maghrébine, l’intégration, les quartiers populaires, Bruxelles et peut-être même, sur le cinéma belge…

Les Barons de Nabil Ben Yadir

Hassan, Aziz et Mounir ont une vie de « privilégiés ». «Les barons », c’est ainsi qu’ils s’appellent, passent leurs journées couchés sur l’étalage d’une épicerie de quartier à raconter des vannes. Légumes parmi les légumes, c’est à celui qui gagnera le concours de la blague la plus pourrie. S’ils se lèvent, c’est pour aller pointer au bureau de chômage et faire la queue... Dans ce quotidien nonchalant, ils ont inventé leur propre légende : économiser leur crédit de pas sous peine de mourir trop tôt. Une jolie façon de vivre de bras d’honneur, de ne pas grandir tout à fait… Parce qu'après tout, refuser de se plier aux contraintes sociales, c'est tout un art. Et la classe absolue, c'est d'assumer avec grandeur et impertinence son propre désœuvrement...

"Y'a des mecs qui mettent 35 ans pour arriver enfin à ne rien foutre !" Mais Hassan a quelque chose à foutre, lui, justement, qui se rêve trublion des salles de spectacles, champion de la blague, décidé un jour à monter sur scène pour raconter ce quotidien qui le nourrit et dans lequel, il nous embarque directement, droit dans les yeux pour un face à face pétillant. Mais « faire le clown », dans la famille, ce n’est pas à proprement parler un métier. Son père, employé à la STIB, rêve déjà de voir son fils bon époux, bon père, dans le bel uniforme bleu, conduisant le bel autobus jaune. Ah, les uniformes… Tout un programme dans lequel Hassan pourrait bien tomber… Si et seulement si, il n’y avait pas les barons et Malika, la belle Malika, la star du quartier, présentatrice du journal télé, amazone en guerre contre tous ceux qui pourraient l’empêcher de faire ce qu’elle désire, qui n’a pas la langue dans sa poche, mais qui, malheureusement, est la sœur de Mounir... Et on ne touche pas à la soeur d'un pote, parce que la soeur d'un pote "c'est comme tes potes, mais avec des cheveux longs"…
Les Barons fait fuser les vannes avec une gouaille généreuse, des mises en boîte efficaces et une verve parfois acide qui décrassent les sujets les plus épineux (le racisme, la virginité ou la religion) et les clichés tant attendus. Et sous ses airs bonhommes de comédie populaire, Les Barons est plus surprenant et riche qu’il n’en a l’air. Il regorge de petits plaisirs cinématographiques, de trouvailles, d’inventivités discrètes ou rocambolesques (la cartoonesque idée du « flashback », le sms en mime, les ralentis oniriques ou autres interventions de l’imaginaire) et de morceaux de bravoures (comme la bagarre entre Hassan et Mounir façon John Woo).

Généreux, il nous fait partager ce plaisir d'un cinéma ludique, jamais affecté, toujours redécouvert avec des yeux d'enfants émerveillés. Et l’on sent entre les comédiens, l’équipe et le réalisateur, beaucoup de complicité, d’énergie et de joie à faire du cinéma, une belle aventure collective.
Il est généreux aussi parce qu'il croque, en quelques coups de caméras, toute une galerie de personnages hauts en couleur (RG, Lucien, la mère d'Hassan…) sans jamais les caricaturer ni les trahir. Il les saisit dans leurs contradictions, leurs faiblesses, leurs peurs (la rage de Mounir, magnifique de dignité et de révolte ; les désirs étouffants de réussite sociale de ce père prisonnier lui-même d'une respectabilité toujours à conquérir).
Il raconte ce petit cinéma qu'on se joue à soi-même et aux autres, pour échapper à ce qu'on est et se raconter autrement : car c'est ça, aussi, un baron, une fable qui retourne la condition en choix parce qu'elle la réinvente et l'habite. Le désir de monter sur scène d'Hassan (Nader Boussendal épatant) est du même ordre, c'est un désir de réenchanter le réel. Et loin de faire l’apologie d’on ne sait quelle intégration foireuse, ce que le film transmet est profond : on se choisit malheureusement toujours contre les siens. Et parfois, on ne se choisit pas… C’est ce risque que prend Hassan, c’est ce long chemin vers lui-même que raconte le film, enjoué et impertinent, tendre et doucement grave.
Dans Bruxelles, drôlement réenchantée elle aussi, belle et colorée comme un petit New York se télescopent des galaxies qui ne s’ignorent plus, mais cheminent cahin-caha, presque en douceur. Et tout devient possible finalement. Si tant est qu’on ait le courage de ses rêves envers et contre tous.

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