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Le bateau du père de Clémence Hébert

Publié le 10/03/2010 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

 

Drame de famille



Un projet. Revenir sur les lieux de son enfance, revenir sur les lieux d’un drame familial qui touche au plus profond. Refaire l’épreuve d’un passé douloureux en y confrontant ceux pour qui la mémoire reste comme une plaie vive. Puis, en un lent mouvement d’apaisement, tenter d’en faire le récit, sorte d’exorcisme en quête de rédemption, où ce qui restait incompréhensible s’éclaire progressivement comme se révèlent les secrets et les non-dits d’une émotion trop grande.


Le film documentaire de Clémence Hébert, Le bateau du père, tient tout entier dans cette proposition qui conjugue épreuve et exorcisme.
Emportant avec elle des lettres, des photos, des diapositives, des films super 8, ces traces d’un passé révolu, Clémence Hébert retourne à Cherbourg, ville de son enfance pour y louer une petite chambre d’hôtel. Là, avec une extrême rigueur et beaucoup de douceur, elle tente de comprendre ce qui lui est arrivé, à elle mais aussi à sa sœur, son frère, sa mère pendant la longue descente aux enfers de son père et sa tragique conclusion.
Son histoire est terrible, et rappelle ce qu’il y a de douleurs, de souffrances, de silences derrière l’anecdotique d’un fait-divers se résumant à quelques lignes dans un journal. Pourtant, l’intérêt du Bateau du père dépasse les nombreuses implications, questions, révélations de l’histoire de Clémence Hébert, parce que celle-ci est avant tout une « filmeuse » et que, pour elle, le cinéma est l’instant du vivant.
À voir son film, on a l’impression qu’elle est née avec une caméra dans les mains, et qu’elle possède dans ses bagages la mémoire filmée de tous les jours de sa vie. Ainsi, dès son retour à Cherbourg, elle filme tout ce qui lui arrive et construit son film dans ce présent qu’elle interroge. Elle filme sa chambre d’hôtel et son coup de téléphone à sa mère pour dire que son film est commencé, elle filme la maison où elle passait des vacances enfant et aujourd’hui abandonnée, elle filme ses errances dans les rues de Cherbourg et, surtout, elle mélange à ces images des images du passé, comme cette même maison au bord de la mer où une famille apparemment heureuse passait ses vacances.
Très vite, elle transforme sa chambre d’hôtel en un théâtre des profondeurs où, parmi les images éparses de son passé, elle convoque souvenirs et membres de sa famille pour y chercher une parole commune qu’elle voudrait définitive. Ainsi, sa sœur vient la rejoindre. Elle la filme lisant une lettre de son père jusqu’aux larmes et l’histoire prend corps, devient récit, s’impose.
Archéologie d’un drame, son film est une longue rédemption où le cinéma joue le rôle de révélateur, l’acte de filmer créant des situations nouvelles, produisant au plus fort du réel.
On peut éprouver un certain malaise à être confronté à ces vies difficiles, torturées, gâchées. On peut ne pas souscrire à cette quête impudique faite pourtant avec beaucoup de pudeur, mais il est difficile d’échapper à cette mise en vie par le cinéma que nous propose Clémence Hébert. Il y a, dans l’aventure qu’elle nous fait partager, une façon d’expérimenter ce qui nous relie et qui, quelles que soient nos réserves, suscite l’adhésion.

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