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La Fée de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy

Publié le 08/09/2011 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

La folle échappée belle

La Fée est un film joyeux, qui bulle, qui flotte et qui lutte… car l’on y court beaucoup, à la poursuite de ses amours, derrière ses rêves, pour échapper à tout ce qui les met en péril. À la manière des cinéastes burlesques eux aussi venus du théâtre, Abel, Gordon et Romy ont développé, en de nombreux spectacles sur les planches d’abord, puis avec quelques courts métrages et trois films de fictions, un univers tout à fait unique. Avec La Fée, ils continuent de creuser cette veine douce et poétique, qu’on dirait volontiers burlesque, et qui s’avère donc vraiment impertinente.

La Fée de Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy

Un film tendre, plein de fantaisie, et tranquillement libre… Quoi de moins féerique qu’un veilleur de nuit dans un hôtel du Havre ? Cela devient tout à fait merveilleux quand une fée débarque pieds nus en pleine nuit, lui offre de réaliser trois vœux, lui sauve la vie, et disparaît après avoir commencé à réaliser le premier de ses vœux – et lui avoir masser les vertèbres en lui dansant sur le dos… Et l’amour tombe sur Dom à bras raccourcis. Mais Fiona la fée est prise pour une folle et internée. Alors, le voilà, lui qui n’a rien d’un preux chevalier, enfourchant son nouveau scooter, premier vœu réalisé par Fiona, pour partir la sauver de la tour où elle est enfermée. En s’amusant à emprunter quelques archétypes au conte (de fée donc), au théâtre, au spectacle, La Fée tisse la folle histoire d’un amour fou au récit de quelques trajectoires toutes aussi anarchiques les unes que les autres.

L’univers graphique très seventies et Le Havre, ville étonnante, presque artificielle de par son architecture, mais ouverte à l’ailleurs de la mer et de l’horizon, le décroche un peu plus de notre présent en faisant résonner les décors de Monsieur Hulot. Dans cet espace au bord de l’improbable, La Fée décline toute une galerie de personnages qui forment, peu à peu entre eux, à force de se croiser en tous sens, de se quitter, de se retrouver, comme une fraternité… Trois sans-papiers africains ici qui rêvent de l’autre côté, un Anglais perdu dans cette ville et amoureux de son chien - perdu lui aussi, un patron de bar myope comme une taupe, une merveilleuse chanteuse de rugby…
Exilés, paumés, rêveurs ou justes décalés, tous sont en quête, en mouvement vers leurs rêves, créant, à force d’allers-retours, l’espace d’un territoire mouvant aux frontières affectives et utopiques. Et si l’on court beaucoup, en tous sens, dans La Fée, on y vole aussi dans les airs, on danse dans la mer et on accouche sur les toits… Le corps, dansé, déguisé, transformé, maladroit, décalé, y est la matière de toutes les inventions burlesques. Et de se heurter toujours à une porte, un mur, de se coincer ici ou là ou, au contraire, de dépasser allègrement toutes ses limites…

À la manière des jeux d’enfants, le film invente ses «et si on disait que» et remet en question les limites du réel, de ses règles et du fonctionnement de notre monde social… Se permettant beaucoup de liberté, La Fée cultive une forme d’ingénuité dont chaque scène témoigne d’une belle foi en la puissance du spectacle et du cinéma. On s’amuse et on y joue, inlassablement, au bord de toutes les conventions cinématographiques. 
Le film avance par plan large, plus ou moins fixe, en séquence peu découpée, laissant ses gags se développer dans le cadre et trouvant son rythme dans cette multiplication de détails et d’éléments narratifs qui se tissent les uns aux autres pour s’accumuler, s’agglomérer et grossir comme une boule de neige, jusqu’au final explosif et son rebondissement.Joyeux, plein de fantaisies, La Fée est un film doucement libre où chacun tente d’échapper perpétuellement à tout ce qui l’enferme, les asiles de fous, les policiers, les territoires, les chambres d’hôtel ou même les maisons... car il fait meilleur de vivre sur les toits. 

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