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Sirène de lune de Psyché Piras et de Sophie Collay

Publié le 05/12/2006 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Histoire de la petite sirène qui retrouvait ses jambes.

Quelques semaines à peine après qu'Alex Stockman ait proposé son adaptation de la nouvelle d’Ivan Alvarez Eva reste au placard les nuits de pleine lune (voir notre numéro précédent), Psyché Piras nous propose sa version de la même histoire.

Sirène de lune de Psyché Piras et de Sophie Collay

"Je connaissais Ivan Alvarez", nous explique Psyché, "et j’avais été bouleversée par sa nouvelle dans laquelle il évoquait sa maladie. Il avait accepté de m’en céder les droits et je me suis mise à travailler sur l’adaptation. Quelques temps après le décès d'Ivan, Alex Stockman est venu me demander si j’étais d'accord qu’il réalise une adaptation de la même nouvelle. Nous en avons discuté et, comme le traitement que proposait Alex était assez différent du mien, j’ai acquiescé." Certes, les deux films sont très différents l’un de l’autre. Là où Alex filme de façon plutôt conventionnelle en gardant une certaine distance avec son sujet et en délayant davantage son propos, Psyché Piras nous livre un film âpre, véritable boule de souffrance, resserré autour de ses quinze minutes, tourné dans un noir et blanc granuleux, et dont le personnage principal est une femme. "Dans la nouvelle originale, le personnage est un homme, et j’avais d’abord commencé mon adaptation comme ça. Mais je n’arrêtais pas de m’identifier à lui, de me demander comment je réagirais si j’étais à sa place, jusqu’au moment où je me suis dit qu’il serait plus simple et plus logique dans ma position de prendre le point de vue d’une femme".

Il était une fois, donc, une jeune femme atteinte d’un sévère handicap moteur qui l’empêche de coordonner ses mouvements, la rend difforme, la fait horriblement souffrir et la condamne à une terrible solitude affective. Mais, une fois par mois, les nuits de pleine lune, la demoiselle devient une belle jeune fille qui s’en va, d’un pas alerte, retrouver son amoureux dans le bar d’un grand hôtel. Elle s’est liée d’amitié avec le portier. Ensemble, ils jouent au Mikado, jeu d’adresse dans lequel elle est imbattable. Son amant souhaiterait qu’elle reste davantage, mais notre Cendrillon s’enfuit toujours avant de redevenir autre. Un jour, poupée cassée, elle prend un café sur une terrasse, lorsque surgit son ami, le portier de l’hôtel. Il la reconnaît, et lui offre une nouvelle boîte de Mikado, que la jeune femme, d'un geste convulsif et maladroit, envoie rouler au loin, jusqu’aux pieds d’un passant de hasard : son amant. Va-t-il ramasser la boîte et la lui rendre ou tourner les talons pour ne plus jamais la revoir ?

Psyché Piras interprète ce personnage en force et en tension. Elle dit avoir été très touchée par "le paradoxe socio-médical vécu par ces personnes atteintes d’une infirmité motrice cérébrale : l’esprit fonctionnant à 100% et le handicap physique qui s’accentue durant toute leur vie. Ces paradoxes que nous vivons tous  à un moment de notre existence".
On partage avec elle la souffrance de cette jeune femme, barricadée dans sa différence, son incapacité à aimer et être aimée. Pourtant, elle a tellement d’amour en elle, et ne peut l’exprimer que par cette métamorphose onirique qui ne résiste pas à la lumière du jour. L’identification de la comédienne est saisissante. Au-delà d'une technique de jeu ultra réaliste, où chacun des gestes est étudié pour restituer avec précision le quotidien d’une handicapée motrice, il y a la douleur de cette femme repliée sur elle-même, incapable de briser le mur du silence qu’elle s’est imposé.

Pour accentuer notre immersion, Psyché et sa coréalisatrice, Sophie Collay optent pour un noir et blanc qui durcit encore l’image. "Ce choix est fonction de la dualité que nous retrouvons partout dans le film, entre le jour et la nuit, la belle jeune fille les nuits de pleine lune, handicapée le jour, l’amour et la solitude. Le noir et blanc rend "physiquement" cette dualité", explique Psyché Piras. Et elles élaguent toute scène anodine, laissant au spectateur peu d’espaces de respiration. Celui qui accepte de plonger à leur suite en ressort secoué, bouleversé, agacé et, dans tous les cas, ému. 

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