Rencontrer Vincent Bierrewaerts n'est pas une mince affaire. Vous téléphonez. "Oui ?" Lorsque le rendez-vous est fixé, vous trouvez avec votre camerawoman devant une porte qui n'a pas moins de quatre serrures ! Derrière celle-ci un homme à la voix grave vous dit d'entrer dans un capharnaüm digne de la chambre de Gaston Lagaffe. Au mur, sont épinglés des tas de dessins et de story-boards et sur une table (genre porte reposant sur des tréteaux) des ordinateurs avec palette graphique. L'antre d'un animateur surdoué qu'on distrait, pour vous, de son univers, de la bande passante de ses rêveries cinématographiques.
Entrevue avec Vincent Bierrewaerts
"Beaucoup de films m'ont marqué, nous confie-t-il d'une voix grave. Je suis de la génération de la télévision, une génération qui a été bombardée d'images, de films, de fictions. J'ai du voir sept fois La Grande Vadrouille avant mes dix ans mais j'aimais déjà également les films muets, Chaplin, Laurel et Hardy, Buster Keaton. Ce sont des films que je regardais déjà enfant mais j'avais également une passion pour tout le cinéma d'animation. La télévision diffusait une grande variété d'œuvres d'animation, ne fut-ce que pour les longs métrages ou les séries télé. Je ne parle pas uniquement de productions américaines ou japonaises mais également de films tchèques, russes, français, belges, anglais, ce qui m'a permis de connaître une large panoplie de films. C'est le mélange de tous ces films qui a formé ma mémoire cinématographique".
Contrairement à ses confrères, Vincent, n'est pas mordu par le dessin, n'est pas du genre à crayonner partout ou à griffonner dans des carnets. Ce qui l'amène à La Cambre est une vocation artistique plus vaste. "Vient un jour où l'on se demande : quel art pratiquer ? J'étais plus à l'aise dans les arts plastiques donc le choix s'est fait naturellement Mais peut être était-ce aussi parce que je ne savais pas quoi choisir… L'animation a pour énorme avantage de regrouper tous les arts, toutes formes d'expression : il regroupe à la fois le théâtre, le cinéma, le dessin, la peinture, la musique, la mise en scène. Et comme j'aime varier les plaisirs, ce choix était évident". En I997, dés sa première année à l'ENSAV, il réalise El Vento.
"Je m'étais toujours dit que si un jour je faisais du cinéma d'animation je commencerais par ce film-là. J'avais l'intuition qu'il pourrait fonctionner et marquer les esprits". En effet, le film est sélectionné à Cannes et remporte une série impressionnante de prix dans le monde. L'année suivante il réalise Bouf. "C'est un film - dessin sur pellicule. Le film d'animation est directement dessiné sur de la pellicule 35 mm donc les dessins ne font pas plus de 35 mm de large et sont ensuite projetés sur un écran très large, ce qui crée certains problèmes de proportions par rapport au dessin original"
À l'aube du troisième millénaire il réalise Tij, un film au titre ambigu pour les ketjes de Bruxelles. "Il s'agit d'un film à la technique relativement lente : la "corde animée". Je me rappelle avoir eu l'idée du film en sortant du tram et en traversant le campus de l'ULB pour me rendre au local Van de Velde de La Cambre. J'ai d'abord pensé à la technique et me suis demandé : que peut-on raconter avec une corde sans que ça soit gratuit, en donnant un sens à l'histoire ? À quoi ressemble une corde ? Que peut-on faire avec une corde ? J'ai donc écrit l'histoire à partir de cette technique… C'est toujours une torture de trouver un bon titre… Parfois on aimerait pouvoir sauter cette étape et laisser le film sans titre. Le film parle de tiges, de plantes. C'est un film dont la réalisation m'a occupé pendant trois ans, je l'ai commencé en 1998 et fini en 2000."
L'année suivante, Vincent qui s'est mis au rythme d'un film par an nous propose Ses Mains. Il avoue, en baissant les yeux, avoir voulu réaliser des films plus intimistes à la manière de ceux de Florence Henrard, autre élève de La Cambre qui s'est fait, elle aussi, remarquer à Cannes. "Ses films ont une certaine finesse, une certaine poésie que j'ai voulu essayer de retrouver jusqu'à ce que je me rende compte que ce n'était pas trop mon genre". Suit en 2001, Aaaaaaah, première exploration de Vincent dans l'univers de l'image de synthèse. "Tout le monde trouvait cette technique trop froide. Raison de plus pour s'y confronter en racontant une histoire simple. J'ai du inventer l'histoire à l'âge de 12 ans en première secondaire. J'avais dessiné quelques croquis sur les bancs de l'école. Après avoir montré mon histoire en trois cases à mon voisin, celui-ci a éclaté de rire, ce qui nous a valu de nous faire expulser de la classe. Donc c'est une histoire que je suis allée rechercher très loin, prise comme prétexte à un court en images de synthèse".
Puis c'est le Portefeuille, un petit bijou que vous pourrez découvrir le mercredi 9 février sur la deux/RTBF. Un film qui selon Vincent serait basé sur la découverte d'une certaine technique d'animation : "une nouvelle forme d'exploitation de la surimpression, c'est à dire tourner plusieurs fois sur une même portion de pellicule différentes scènes pour faire des effets. Il s'agissait d'expérimenter et de jouer avec les possibilités physiques de la lumière : que se passerait-il si je filmais chaque fois séparément chaque couleur primaire ? Qu'obtiendrait-on sur la pellicule ? Etait-il possible d'exploiter ces propriétés physiques avec la surimpression sur le support argentique ? C'est l'histoire d'un homme, d'abord addition de toutes les couleurs primaires. Il est noir, se scinde en deux couleurs : une primaire, une secondaire, et ainsi de suite. C'est aussi l'avantage du court métrage : on peut tenir 30 minutes avec une simple petite idée bien charpentée".
C'est aussi une histoire de double qui se dédouble. Ceux-ci hésitant entre le bien et le mal (voir notre critique dans la rubrique En Télé). Sur quel projet l'imagination de Vincent Bierrewaerts est-elle branchée ? "Un projet en volume", c'est à dire l'animation de marionnettes. C'est un vieux projet, que j'avais avant de rentrer à La Cambre. C'est un projet qui demande beaucoup de préparation. Auquel je m'affaire quand j'ai le temps… J'ai donc des histoires qui me passent par la tête et à celles-ci j'essaie de déterminer la technique la plus appropriée. Je ne me laisse jamais influencer par une technique que je me serais appropriée. Si c'était le cas je m'emprisonnerais dans cette technique et mon champ d'action au niveau narratif se réduirait fortement. J'essaie d'éviter ça… Ceux qui essaient d'autres choses sont peu nombreux mais pour moi la variété est un véritable plaisir. Chaque histoire a sa propre technique. Certaines fonctionnent mieux en images de synthèse, d'autres en marionnettes ". Un dernier mot ? " Non. En général si on ne me demande rien, je reste muet".