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Picha

Publié le 01/04/2006 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Entrevue

Rencontre avec Picha au Festival Anima 2006.

 Pour sa vingt-cinquième édition, le festival Anima 2006 avait invité notre compatriote Picha à faire partie de son jury international. Une présence qui se justifie pleinement. Après avoir mené pendant plus de dix ans une carrière de dessinateur de presse au niveau international, Picha décide au début des années septante de se lancer dans la création d'un dessin animé de long métrage, avec pour ambition de prouver qu'il y avait de la place pour une animation destinée aux adultes. À l'époque, cela n'existait pratiquement que dans le court métrage. Arrivé à peu près en même temps que Fritz The Cat ou La Planète sauvage et bien avant Heavy Metal, Tarzoon, la honte de la jungle rencontre un succès planétaire. Dans la foulée, il réalisera encore Le Chaînon manquant et Le Big Bang avant de se tourner vers de micro-animations pour la télévision (Zoolympics, Zoocup et Les Jules, chienne de vie) puis de revenir au cinéma pour son quatrième long : Blanche-Neige, la suite. Une aventure qui a connu plus d'un rebondissement avant d'aboutir, on l'espère, dans quelques mois sur nos écrans. Mais Picha est également le personnage central d'un documentaire, présenté lors d'une soirée de gala au Pathé Palace: Mon oncle d'Amérique est belge, réalisé par sa nièce, Françoise Walravens avec l'aide du réalisateur Eric Figon. Un événement abordé lors du long entretien que nous avons eu avec Picha.

Picha

Cinergie : Vous avez commencé votre carrière comme dessinateur de presse et vous avez été un des rares belges à exercer cette profession au niveau international.
Picha :
Mon tout premier dessin est paru dans le Pourquoi Pas? Alors que j'avais à peine 15 ans. J'ai arrêté l'école à 17, avant de refaire deux années à St Luc. Ensuite, j'ai passé un an en sanatorium, puis j'ai suivi six mois en élève libre à l'IAD des cours d'interprétation et d'improvisation. À l'époque, je m'intéressais autant au cinéma qu'au dessin. Puis mes premiers dessins ont été publiés dans Pan et j'ai assez vite intégré l'équipe de Hara Kiri en France, de son équivalent allemand, Pardon, et du National Lampoon aux Etats-unis.

C. : Tous journaux radicalement engagés, avec des opinions anarchistes et antimilitaristes avérées.
P. :
Quand on fait du dessin satirique, mieux vaut le faire dans des journaux satiriques. À l'époque, je me sentais proche du mouvement hollandais des provos. J'ai travaillé pour un fanzine qui s'appelait Rot Nederlands en Oranje, dirigé par Willem qui allait devenir le dessinateur politique de Libération. J'ai également collaboré pendant deux ans à Vrij Nederland, un magazine d'opinion hollandais, et à Spécial,  un hebdomadaire belge.

C. : Après une dizaine d'années de dessins de presse, vous vous tournez vers le dessin animé de long-métrage, ce qui était un défi à l'époque puisque, à part Belvision, en Belgique, il n'existait rien?
P. : Si Belvision n'avait pas existé, un tel projet  n'aurait, probablement pas pu se monter. Je n'avais jamais fait de courts-métrages, par contre j'avais réalisé assez bien de clips publicitaires, J'avais aussi travaillé pour une émission de la RTB/BRT qui s'appelait Vibrato. Et j'avais toujours en tête de réunir mes deux passions: le dessin et le cinéma. Un jour, dans une discussion, j'ai lancé, comme cela, une idée que le producteur Boris Szulzinger a jugée intéressante. Michel Gast, son intermédiaire en France, a trouvé l'argent pour  faire un pilote qu'on a projeté à Cannes en accompagnement d'un long-métrage. Les gens se précipitaient pour le voir au point que Fox International a pris les droits. Le film est né ainsi, d'une gageure un peu provocatrice. Ce qui m'intéressait à l'époque, c'était de déranger en dessin animé. De prendre tous les thèmes de série B (Tarzan,  le film de cul,...), et mélanger tout cela pour faire un film que je voulais drôle et provocateur.

C. : Vous partiez de zéro: il n'y avait pas d'infrastructure, vous deviez  réunir une équipe?
P. : Si on peut intégrer un studio existant pour réaliser son projet, c'est tant mieux. Mais quand on fait des films qui ne sont pas classiques, se faire produire de manière classique n'est pas évident. On a créé une équipe. Le développement s'est fait à Bruxelles puis, comme le producteur et distributeur avait des studios sur Paris, on a loué une maison et on est allé s'installer là-bas. On allait aussi faire de petits bouts dans tel ou tel pays de l'est, mais  tout partait et revenait à ce studio là. Et cela s'est passé ainsi pour chacun de mes films, y compris pour le dernier que je termine. Sauf qu'aujourd'hui, le progrès technologique fait qu'il est beaucoup plus facile de travailler à distance, transférer,…en fait être présent sans être sur place. C'est extraordinaire.

C. : Succès immédiat et planétaire pour Tarzoon...
P. :
Hélas, dans un sens. Parce qu'après, il est toujours difficile de s'en remettre. On vous classe directement dans un tiroir alors qu'en fait, je n'aime pas faire tout le temps la même chose. Le second film a été difficile à monter parce que je voulais une histoire originale, une fable. Mais les personnes disposées à investir sur ce film tenaient absolument à ce que ce soit la même chose que Tarzoon, d'où difficulté. D'ailleurs, dans Le chaînon manquant , il y a deux ou trois scènes que je trouve inutiles, mais que j'ai été contraint de garder en référence à ce que j'avais fait avant. Pourtant, Le chaînon manquant est film différent de Tarzoon. Moins outré mais qui remettait aussi en question les fondements de notre humanité et notre côté destructeur de tout ce qui nous entoure. Le but était de raconter une histoire que je voulais tout public.

C. : Le chaînon manquant et Tarzoon sont sortis en DVD. Il y a même un double DVD qui reprend ces deux films.
P. :
Que j'ai d'ailleurs fait arrêter en raison de l'exécrable qualité de l'image et du son. Il s'agit probablement d'une copie d'un master vidéo repris tel quel avec des imperfections énormes, que ce soit dans la définition de l'image, le rendu des couleurs le repiquage du son... Je n'ai pas été consulté pour la réalisation de ce DVD. L'éditeur avait les droits jusqu'en décembre et il s'est  dépêché de le ressortir mais j'ai depuis mis le holà. D'autant qu'une autre édition DVD se prépare avec tous les soins qu'elle mérite, par Metropolitan (NdR: dont on connaît la qualité du travail.) sur base d'une copie neuve.

C. : Tarzoon, joyeusement anarchique et totalement provocateur, Le chaînon manquant, une fable davantage morale et puis The Big Bang, une métaphore politique virulente. Une évolution constante vers un radicalisme toujours plus marqué?
P. :
Pas nécessairement. Le Big Bang est comme le point final d'une trilogie, un mélange des préoccupations présentes dans les deux autres films. Un film un peu plus lié à l'actualité de l'époque aussi, et c'est vrai qu'il était plus excessif. C'est sans doute dû au scénariste Tony Hendra, qui est aussi un des créateurs de Spitting Image, ce programme anglais précurseur des Guignols de l'info, mais beaucoup plus dur. Je lui ai laissé davantage de liberté que sur Le chaînon manquant, et il a sans doute été plus loin que je n'aurais été moi-même. C'est mon film, je l'ai fait comme cela et je ne le renie pas, mais disons que ce côté radical est davantage l'apport de Tony. Le Big Bang est un film sur la guerre, toutes les guerres, y compris celles que vous trouvez au sein de la famille ou du couple. Je le trouve plutôt réussi malgré un côté un peu inégal. Il y a des séquences que j'adore, parmi les meilleures que j'ai faites. Après c'est une question de dosage. Tout dépend comment on le regarde. Je trouve qu'il se prête bien au petit écran. Parce que la vidéo ou le DVD permet de   regarder un film un peu comme on mange sa soupe: si elle est très chaude, on la prend lentement. Il y a un recul. On peut y aller par doses.

C. : Le Big Bang est un échec commercial. Cela entraîne de votre part une remise en question?
P. :
Avoir du retentissement, c'est le but quand même. Je fais des films pour les autres. Je n'ai de plaisir à créer que si j'arrive à le communiquer. Oui, le succès me plaît et me motive, l'échec me fait souffrir, même un demi-échec comme Le Big Bang. Mais il faut relativiser. Sur trois films que j'ai faits, deux ont bien marché, le troisième moins. Ce n'est pas dramatique. En général, les professionnels sont contents quand on en réussit un sur trois. Mais c'était trois expériences très lourdes, avec des financements trop étriqués. J'estimais devoir prendre du recul par rapport à tout cela. J'ai donc repris mon ancien métier et je me suis remis à travailler pour Le Matin de Paris, jusqu'à la faillite du journal, six mois après. Et ma fille grandissant, j'ai découvert ce qui passait à la télé et j'ai eu envie de faire de petits programmes très courts, pour retrouver l'esprit cartoon d'avant. C'est ce qui m'a amené à faire Zoolympics d'abord, Zoocup ensuite, et enfin Les Jules chienne de vie. A la télé, je me suis contenté de faire fonctionner les animaux.

C. : Zoolympics était une commande à l'occasion des jeux olympiques?
P. :
Pas du tout. J'avais envie de faire une série événementielle. Une façon de rentrer dans le circuit de la télévision en me disant effectivement qu'il y avait des jeux olympiques tous les quatre ans et que, le dessin animé ayant une durée de vie relativement longue, on me les prendrait et les reprendrait peut-être, mais je n'ai pas été sollicité. Je les ai coproduits avec Francis Nielsen  qui était mon assistant sur Le chaînon manquant et Le Big Bang.

En fait, je n'aime pas trop le sport de compétition, et en particulier le football. Zoolympics était plus axé sur l'idée de compétitions individuelles un peu absurdes entre animaux. Dans  Zoocup, j'ai voulu mettre ce qui ne me plaît pas trop dans le foot. Il y a deux équipes et les spectateurs sont clairement de parti pris pour l'un ou pour l'autre, sans nuances. Il y a donc les bons et les mauvais. Ils se rentrent dedans et je me suis amusé à démontrer un peu l'absurdité de telles confrontations. Toujours par le biais des animaux.

C. : Vous avez quand même décidé de revenir au grand cinéma, puisque vous terminez votre quatrième long-métrage.
P. :
C'est un projet que j'avais commencé à développer avant Le Big Bang. J'avais même demandé une aide à la commission du film en Belgique pour l'écriture. Puis je suis revenu avec le scénario du Big Bang. Ils n'étaient pas très contents parce qu'ils avaient l'impression d'avoir été manipulés mais ce n'est pas vrai. Simplement, les idées vont et viennent. Je ne m'en sortais pas avec ce sujet là, et j'étais passé à autre chose. Des années après, le thème s'est éclairci dans ma tête. J'ai senti que j'étais prêt et je suis reparti.

C. : Blanche Neige..., on l' a annoncé pour 2003, 2004, 2005,...  et finalement il sortira cette année?
P. :
Oui. La genèse a été un peu difficile. J'ai changé de scénario en cours de route, car je n'étais pas encore satisfait. Il a fallu revoir l'histoire, développer de nouveaux personnages. Tout cela prend du temps à mûrir.

C. : Je ne vais pas vous demander de vous étendre sur le film puisque vous ne le souhaitez pas à ce stade ci, mais il semble une parodie de l'univers des contes de fées vus à travers le prisme Disney...
P. :
.... (Silence) ... Ce sera une comédie qui, j'espère, sera drôle, provocatrice et un petit moment de vérité. Ma vision de ce j'ai reçu de mon enfance et que je recrache aujourd'hui.

C. : Deux mots du documentaire que vous consacre votre nièce Françoise Walravens?
P. :
Dans les années septante déjà, Benoît Lamy m'avait demandé de faire un film sur moi. A l'époque,  j'estimais cette démarche un peu prématurée. A la place, je lui ai proposé de m'accompagner pour montrer que, bien que je travaillais alors dans quatre pays différents, on retrouvait les mêmes gens, les mêmes préoccupations, les mêmes journaux, les mêmes mentalités. C'est devenu Cartoon Circus.

Il y a quelques temps, Françoise est venue me voir avec son projet, et je lui ai fait confiance. Elle voulait faire un film sur son oncle. Je ne m'attendais pas du tout à ce qu'elle me fasse cette demande et j'ai été ému.  Et, tel qu'elle me l'a raconté, j'ai dit : «Bon, tu fais ton film, je t'ouvre mes archives.» Puisque maintenant, j'ai un peu d'archives.

Je suis assez surpris par le résultat. Le film n'est pas un portrait classique. Il y a une part sentimentale manifeste. C'est un film qu'elle a écrit au départ de sa réalité propre. Les spectateurs me connaîtront sous son regard. A priori, cela me mettait mal à l'aise. Elle m'avait envoyé un DVD pour me permettre de le voir et j'ai mis plus d'une semaine à le visionner. C'est ma femme qui m'a coincé un soir après le dîner. J'ai voulu me défiler et puis le film a commencé. Je suis resté quinze minutes debout, prêt à prendre la tangente, et finalement je suis resté scotché. Cela ne m'a pas du tout déplu, cela m'a touché.

C. : Pour vous, il y a une démarche vers Picha, l'artiste, la célébrité, le personnage mais surtout une recherche personnelle en direction d'un proche?
P. : Elle a essayé de faire les deux choses à mon avis. Au départ de longues conversations que j'ai eu avec elle, mais qui ne sont pas des conversations anonymes pour moi. Françoise est membre de ma famille proche et cette démarche référait pour moi à  la rupture intellectuelle que j'ai connue avec ma famille. Cela n'a jamais été une coupure affective, une coupure d'hostilité mais un manque de communication. J'étais très attaché à mes parents et à ma famille, j'étais heureux en leur compagnie. Dès que je pouvais, j'allais les voir, mais je n'arrivais pas à communiquer. Et eux avaient également des difficultés à communiquer avec moi. Françoise a compris cela et, apparemment, cela l'a marquée puisqu'elle raconte dans le film comment, dans les réunions de famille, quand je n'étais pas là, on parlait beaucoup de moi et dès que j'arrivais, on parlait d'autre chose.

C. : Au festival, vous faites partie du jury de la compétition internationale. C'est un rôle difficile?
P. :
Disons que c'est fatiguant pour quelqu'un qui termine un film, et qui est axé dessus, de devoir se concentrer sur les films des autres En même temps, cela permet de voir ce qui se fait ailleurs et c'est toujours enrichissant. Jusqu'ici, j'ai vu quatre heures de projection. Des oeuvres de qualité très inégale. Dans le lot, il a deux films qui ont vraiment éveillé mon intérêt, et dont je peux dire qu'ils m'ont plu. C'est déjà pas mal car je suis quelqu'un d'assez exigeant. Ce qui m'intéresse, c'est le contenu et la manière dont le contenu est exprimé, mais la forme est importante aussi. L'artistique pour moi est d'abord affaire de communication, mais pour faire passer ses idées, il faut que le spectacle soit bon.

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