Entre 1942 et 1944, 24.916 Juifs vivant en Belgique ont été raflés et déportés vers Auschwitz avec le soutien plus ou moins conscient et volontaire de certaines autorités belges. 1.206 ont échappé à leur destin programmé. Il s’agit d’un passé flou sans beaucoup d’images qu'Hugues Lanneau, réalisateur de la RTBF, a néanmoins réussi à raconter à travers des documents d’archives et des témoignages de rescapés. Le résultat, Modus Operandi, ouvre le regard et les consciences. C’est l’espoir de tout documentaire historique.
Hugues Lanneau, réalisateur de Modus Operandi
Cinergie : Comment votre parcours a-t-il débuté ?
Hugues Lanneau : J’ai commencé par des études d’illustration à St-Luc. À l’issue de ces études, je me suis rendu compte que je n’avais pas un caractère à rester seul dans une pièce pour plancher sur une petite feuille de papier blanche. Je me suis alors inscrit à l’IAD où j’ai fait des études en réalisation.
C : Le fait d’avoir fouillé dans les archives pour Moi, Belgique vous a donné envie d’exploiter à nouveau le passé pour Modus Operandi ?
H.L : En sortant en 1992, j’ai tout de suite eu un contrat à la RTBF. J’ai commencé à travailler pour l’information régionale, à Charleroi. Depuis, j’ai bifurqué dans tous les domaines : je suis réalisateur de multicam, j’ai fait du reportage de type court et long, deux documentaires avant Modus Operandi et dernièrement, j’ai collaboré à l’émission historique Moi, Belgique qui racontait l’histoire de la Belgique dans le cadre du 175ième anniversaire.
H.L. : Il se fait que dans mon parcours à la RTBF. j’étais souvent amené à consulter les archives. C’est un travail qui me plaît bien en tant que réalisateur de raconter une histoire cohérente sur base d’images qu’on trouve mais qu’on ne maîtrise pas au départ. Ce travail de recherches et de construction d’images qui ne sont pas les vôtres m’a effectivement intéressé dans le cadre de Moi, Belgique.
C : Justement, comment parvenez-vous à proposer un lien à partir d'images que vous ne "maîtrisez" pas ?
H.L : Il m’a donné envie de continuer dans le domaine du film dit historique ou, en tout cas, du film qui traite d’un événement historique quel qu’il soit. La seconde Guerre Mondiale est pour moi un événement majeur qui me passionne et qui m’a naturellement amené à ce projet dont Willy Perelsztejn [Les Films de la Mémoire] est l’initiateur.
H.L. : Le lien qui intervient entre des images qui n’ont pas forcément de rapport entre-elles, comme ces images d’archives que vous trouvez dans des filmothèques, c’est justement toute la valeur ajoutée du réalisateur : il trouve le fil conducteur entre ces différentes séquences, ces différents plans. Il raconte ainsi une histoire cohérente à travers ces images. Pour Modus Operandi, j’ai eu le désir de raconter une histoire qui était en parfaite adéquation avec un fond historique. D’ailleurs, le film, depuis le début du projet, a été supervisé par des historiens et par des journalistes de renom tels que José Gotovitch, Jean-Philippe Schreiber et Jean-Jacques Jespers. Ils ont vérifié en profondeur les informations livrées dans le film.
C : Quel est l’argument historique sous-jacent de Modus Operandi ?
H.L. : Modus Operandi est un film sur le « comment ». C’est la première fois qu’on se penche sur le mode opératoire mis en place par les Nazis pendant la guerre pour parvenir à déporter, en Belgique, presque 25.000 personnes vers les camps de la mort et dont 95% des personnes ne reviendront pas. On explique aux gens comment ça s'est passé chez nous, mais on ne se penche pas sur le « pourquoi », parce qu’il y a des tas d’autres films qui ont tenté de répondre à cette question. Dans les films qui existent sur la Shoah, en général, on explique la globalité des choses, les 6 millions de morts, les camps de la mort, on montre des images de cadavres. Le propos de ce film, c’est justement la genèse. Des Allemands viennent chez vous, occupent votre pays et installent au nez et à la barbe de la population une mécanique de mort qui va entraîner 24.916 personnes dans 26 convois qui transiteront de Malines vers Auschwitz.
C : Comment avez-vous procédé pour montrer les rafles et les déportations ?
H.L. : Au départ, le gros problème du film, a été l’illustration : on n’avait pratiquement pas d’images. Il existe très peu d’images des rafles et des déportations qui ont eu lieu chez nous. On a quelques photos qui ont été prises notamment à la caserne de Dossin à Malines dont un plan large de la cour, ainsi que la photo d’un camion dans lequel embarquent des hommes, des femmes, des vieux, des enfants; on pense que cette photo a été prise lors d’une rafle. En dehors de ça, on n’a rien. On a dès lors utilisé des images qui ont été tournées ailleurs : la Hollande pour illustrer les déportations et les pays de l’Est. Vous savez, les émissions qui traitent du sujet en Belgique ne vous indiquent pas que les images ont été tournées ailleurs. Le propos de ce film, c’est d’être relativement clair par rapport aux spectateurs, de leur dire : « les images que vous voyez n’ont pas été tournées en Belgique, mais ce qu’elles montrent s’est réellement passé dans notre pays. » Ces sources, on les a quand même utilisées. Elles ont été projetées sur des façades de bâtiments qui ont joué un rôle dans les rafles et les déportations en Belgique : dans les quartiers de Bruxelles et d’Anvers qui les ont subies ainsi que sur la façade de la caserne de Malines qui était le centre de transit vers lequel sont passées ces 25.000 personnes qu’on a envoyées vers la mort à Auschwitz.
C. : En dépit de ce manque d’archives, un arrêt sur image symbolique montre le sigle des chemins de fer belges imprimé sur un train de déportation filmé en Hollande…
H.L. : Tout à fait. Cette image est vraiment un hasard. Il faut savoir que quand on fait un film comme ça, on visionne des kilomètres et des kilomètres de bobines. Le hasard fait parfois bien les choses : j’ai tout de suite mis le doigt sur ce logo qu’on connaît tous, qui est celui des chemins de fer belges. Même si, effectivement, ces images n’ont pas été tournées en Belgique, le train transitait par la Hollande pour rejoindre la Pologne. C’est en voyant ce logo que je me suis dit : « il faut que les gens le voient. » Tout est dans cet arrêt sur image.
C : Dans votre film, vous n’expliquez pas seulement comment ça s’est passé, mais vous démontrez aussi qu’il y a eu une collaboration de certaines administrations et de certains fonctionnaires.
H.L. : La déportation de 25.000 personnes organisée, planifiée savamment par les Nazis n’aurait jamais pu avoir lieu sans la collaboration plus ou moins consciente, passive voire active de certaines autorités belges de l’époque.
Le film s’atèle à montrer, à travers quelques exemples signifiants, quel a été le rôle des autorités belges dans la déportation de ces personnes. On cite deux villes en exemple.
Il y a tout d’abord Anvers où, de toute évidence, le bourgmestre de l’époque a collaboré et a contribué à organiser les rafles qui ont eu lieu dans sa ville. Même chose pour le chef de la police d’Anvers et certaines autorités judiciaires à l’époque. Mais rien n’est blanc ni noir. S’il est vrai que des policiers communaux anversois se sont rendus chez des gens pour les rafler, il faut savoir que certains ont refusé d’obéir, et se sont retrouvés également dans les camps. À l’inverse, le collège des bourgmestres de Bruxelles de l’époque n’a pas voulu collaborer de façon active, mais en revanche, on sait que certains fonctionnaires de la commune ont, par zèle, mis au point une fiche d’identification qui servira d’exemple et de modèle : les Allemands la diffuseront dans toutes les administrations communales du pays pour organiser un recensement des juifs vivant dans le pays.
C : Qu’est-ce qu’il y avait sur cette fiche ?
H.L. : Le nom et le prénom de la personne, celui du conjoint, des parents et des grands-parents, la profession et la nationalité.
C : Cela veut dire qu’en identifiant une personne, les Allemands en identifiaient d’autres ?
H.L. : Oui, sûrement. Ils identifiaient en tout cas toutes les familles puisque tous les juifs étaient censés se présenter dans les administrations communales lors des deux recensements qui ont eu lieu dans le pays. Ces recensements, demandés par l’occupant, ont été organisés par les administrations communales belges. Donc rien qu’à ce niveau-là, la Belgique serait en faute par rapport à sa constitution de l’époque (toujours actuelle d’ailleurs) et aux lois internationales en vigueur à l’époque. Déjà là, elle tombe dans le panneau de la collaboration active, car c’est grâce à ces deux recensements que les Nazis vont pouvoir identifier et localiser les juifs qui vivent dans le pays pour les arrêter, les rafler et les envoyer en déportation.
C : Vous êtes bien conscient que vous soulevez une question sensible : les responsabilités de l’administration belge sont longtemps restées floues.
H.L. : Attention, le film est tout en nuance. On ne pose pas de jugement, on ne fait le procès de personne. On essaye simplement d’établir, à travers quelques exemples, les responsabilités au niveau des autorités en place à l’époque. À quelques niveaux que ce soit. Dans l’administration à l’époque, il y a eu de tout : des fonctionnaires collabos, passifs comme des résistants.
C : Quelle était l’attitude de la population belge pendant ces années-là?
H.L : Mais c’est vrai que l’attitude des secrétaires généraux qui remplaçaient les ministres en exil à Londres n’a pas été très claire dans leur exécution des ordres allemands. Par exemple, Gérard Romsee, qui faisait fonction de ministre de l’intérieur à l’époque, a largement collaboré à la déportation des juifs en organisant un second recensement et en exigeant qu’une étoile soit apposée sur les cartes d’identité des juifs résidant dans le pays.
Il a fait preuve d’un zèle incroyable par rapport à toutes ces mesures allemandes qui, au départ, n’étaient pas forcément aussi virulentes. Ce Romsee a exigé que l’on mette sur les cartes d’identités des juifs une étoile alors que les Allemands ne l’avaient pas demandé.
H.L. : Pour la population belge, les premières mesures anti-juives sont passées quasi inaperçues car elles étaient relativement discrètes. Ça commence par des vexations, puis il y aura des exclusions par rapport aux professions, à savoir l’interdiction pour les juifs d’exercer leur profession d’avocat, de médecin,… Mais il faut savoir aussi que la Belgique essaye de survivre, qu’elle a froid et faim. La population belge à d’autres chats à fouetter que de s’occuper du sort des juifs, en tout cas dans un premier temps, puisqu’il n’y a pas de signe extérieur de violence, fût-elle verbale. La mesure qui va faire prendre conscience aux Belges qu’il commence à y avoir un problème c’est l’étoile jaune : aux yeux de la population, c’est la première mesure qui met vraiment les juifs au ban de la société. Puis, à partir du moment où il y a des rafles et des déportations, durant la seconde partie de la guerre, beaucoup de Belges vont cacher des juifs.
C. : L’émotion du film est en partie liée à la présence d’images particulières, les photos de juifs étrangers que vous utilisez pour personnaliser les convois. Ce sont des portraits de familles, des images de bonheur et d’insouciance.
H.L. : Oui. Par rapport au souci d’illustrer cette histoire, au départ, on avait, comme je vous l’ai dit, très peu d’images tournées en Belgique. Par contre, ce qui fait la singularité de notre histoire en Belgique, c’est qu’on possède des photos de tous les juifs étrangers qui vivaient dans le pays et qui ont été déportés. À l’époque, la police des étrangers constituait un dossier par personne étrangère vivant sur le sol belge et demandait à ces personnes de leur fournir une photo, un portrait. Toutes ces photos ont été conservées d’où l’idée de personnaliser chaque convoi de déportés par une personne, un visage, une famille. C’est une des originalités du film, et elle est en cohérence avec ce que le Musée juif a fait dans le pavillon belge à Auschwitz : personnaliser chaque convoi par le biais d’un portrait ou d’une photo. Ce qui m’a frappé dans ces photos, c’est qu’elles représentent toutes les couches d’une société démocratique y compris contemporaine : des pauvres, des riches, des hommes, des femmes, des vieux, des jeunes, des familles, des gens seuls. En sélectionnant les photos, on a essayé d’obtenir le spectre le plus large possible de ce que peut représenter une population à un moment donné de notre histoire. Ce qui m’a frappé dans ces photos, c’est qu’elles représentent toutes les couches d’une société démocratique y compris contemporaine : des pauvres, des riches, des hommes, des femmes, des vieux, des jeunes, des familles, des gens seuls. En sélectionnant les photos, on a essayé d’obtenir le spectre le plus large possible de ce que peut représenter une population à un moment donné de notre histoire.
En sélectionnant les photos, on a essayé d’obtenir le spectre le plus large possible de ce que peut représenter une population à un moment donné de notre histoire. Ce qui m’a frappé dans ces photos, c’est qu’elles représentent toutes les couches d’une société démocratique y compris contemporaine : des pauvres, des riches, des hommes, des femmes, des vieux, des jeunes, des familles, des gens seuls. En sélectionnant les photos, on a essayé d’obtenir le spectre le plus large possible de ce que peut représenter une population à un moment donné de notre histoire.
H.L. : Il y a eu une première sélection de témoins sur base d’images d’archives déjà existantes, mais il faut savoir qu’un tiers des témoins interrogés dans le film sont décédés. J’ai récupéré des éléments dans des émissions diverses dont Jours de guerre, mais il me manquait des témoignages sur des détails bien précis, notamment sur le début de la guerre. Donc, j’ai refait trois interviews de trois témoins différents pour achever le film. On avait vraiment des trous dans les témoignages qu’il fallait faire raconter par les témoins privilégiés qui avaient vu la guerre.C : En contraste avec ces images passées, vous avez filmé des témoins qui racontent leurs souvenirs de guerre.
En faisant ces interviews moi-même, je ne pensais honnêtement pas recueillir autant d’informations qui m’ont étonné. Le quotidien des juifs pendant la guerre, notamment ceux qui se cachaient pendant les périodes de rafles dans la seconde partie de la guerre, a été terrible. En fait, en faisant ce film, j’ai appris 90% de ce qui est dit dans le film. Je croyais connaître le sujet, mais je ne le connaissais pas en réalité. J’avais une idée globale de ce qu’est la Shoah comme pas mal de gens dans ce pays qui ne savent pas réellement ce qui s’est passé chez nous ni quelle est la genèse qui a conduit ces gens vers les camps de la mort.
C. : C’est pour cela que vous proposez une chronologie très détaillée des événements ?
H.L. : Oui. La chronologie était la seule façon de rendre cette histoire compréhensible parce qu’il y a tellement de choses à dire. Elle nous permet aussi de mettre en avant la graduation de la violence de ces mesures anti-juives. On commence par des mesures relativement discrètes et puis graduellement, les Allemands planifient, de façon systématique, des mesures de plus en plus dures à l’égard des juifs. Cela va de la simple vexation en passant par l’exclusion de la vie publique, sociale, économique et puis on termine par les rafles, la déportation et la mise à mort de dizaine de milliers de personnes.
C : Quelle devrait être la portée de ce film ?
H.L. : L’idée du film, c’est d’en faire un outil de compréhension, un outil de mémoire pour tout le monde. Modus Operandi a pour vocation de rappeler aux gens ce qui s’est passé, et de mettre en avant les responsabilités des autorités belges de l’époque qui ont joué le jeu des Nazis dans la déportation de ces 25.000 personnes. C’est le plus grand crime jamais connu en Belgique et la plupart des coupables n’ont jamais été jugés, ni même inquiétés pas la justice. Je pense qu’il n’y a rien de pire dans une démocratie que de banaliser l’exclusion et des faits comme ceux-là. On essaye, encore aujourd’hui, de minimiser ce qui s’est passé, voire de jouer la carte du négationnisme, ce qui est déjà entraver notre liberté et notre démocratie. Pour sauvegarder une démocratie, il faut connaître son passé et bien savoir ce qu’il s’est passé pour ne pas renouveler ce genre de drame.
C : Un travail plus particulier sera-t-il mené envers le jeune public ?
H.L. : Oui. Maria Arena disait qu’il fallait créer un outil de mémoire pour rappeler ce qui s’est passé pendant la seconde Guerre Mondiale et les faits marquants de notre histoire. Voilà, elle a déjà un premier outil entre les mains par le biais de Modus Operandi, de son dossier de presse et de son site sur lequel on peut trouver des tas de documents intéressants qui viennent compléter les propos du film. L’idée, c’est que le film soit un véritable outil pédagogique à destination des jeunes. On aimerait qu’il soit projeté dans les écoles du pays ou que les écoles viennent dans les salles de cinéma pour le voir, organiser des conférences-débats. C’est en tout cas la volonté du producteur et la mienne également. Je pense que les historiens qui ont collaboré au film seraient aussi très heureux de pouvoir participer à ce genre de conférences. Je serais curieux de voir comment les jeunes vont recevoir ce film, je suis sûr qu’il y aura des réactions étonnantes.
C : Pourquoi un film pareil, aussi fort, arrive-t-il aussi tard ?
H.L. : Le film arrive tard parce que je crois qu’on commence à avoir le décalage historique pour relire ce qu’il s’est passé pendant la guerre. Je crois que ce film n’aurait jamais pu sortir il y a 15 ans ou même 10 ans. Avec le recul, on commence à avoir une lecture historique des faits et les témoins qui ont vécu la guerre commencent, au crépuscule de leur vie, à parler, à révéler des choses qu’ils ne disaient pas il y a encore quelques années.
C : Un de vos témoins dit au tout début du film : « on peut difficilement en parler ». Est-ce que ce n’est pas une phrase qu’on pourrait utiliser pour résumer le film ?
L’attitude des autorités belges actuelles a aussi évolué par rapport à son histoire récente. Guy Verhofstadt s’est excusé publiquement de l’attitude des autorités belges pendant la guerre, il y a eu le rapport du CEGES, commandé par le gouvernement, qui a mis en cause les responsabilités de l’état belge et des autorités belges dans la déportation de ces 25.000 personnes. Et le bourgmestre actuel d’Anvers, Patrick Janssens, a formulé des excuses au nom de sa commune pour ce qui s'est passé pendant la guerre. Malgré ça, il y a quand même des hommes politiques qui ne comprennent pas ce geste, qui ont tendance à dire que ce n’est pas nécessaire. Moi, ça m’interpelle, ça me fait dire que plus que jamais il faut que ce film soit montré aux gens pour comprendre ce qui s’est passé.
H.L. : C’est vrai qu’on peut difficilement en parler. C’est vrai que c’est tellement gros dans la violence et dans le drame humain qu’on a de la peine à croire que ça s’est passé chez nous. Or, il ne faut pas oublier que ces 6 millions de juifs qui sont arrivés dans les camps en Pologne et ailleurs, venaient bien de quelque part. Ils sont venus de France, de Hollande, d’Allemagne et de Belgique aussi. 1206 sont revenus mais nous avons 23.710 morts sur la conscience. C’est le plus grand crime jamais connu en Belgique.
C : Je voudrais revenir sur une image sidérante que vous utilisez deux fois dans le film, celle d’un petit enfant qui essaye de se raccrocher à sa mère alors que des Nazis les entourent.
H.L. : De toutes les images que j’ai visionnées en faisant ce film, c’est celle qui m’a paru la plus terrible. On a tous en tête ces images de cadavres, de rescapés des camps, mais je trouve qu’il n’y a rien de plus terrible que de voir ces gens qui partent, ces familles qui se déchirent quand on connaît l'issue avec le recul historique. Cet enfant qui court après sa mère, pour moi, c’est l’image emblématique du génocide, de la Shoah en général, au-delà de la Belgique. C’est une image universelle qui m’a bouleversé; je me suis tout de suite dit que j’allais ouvrir et refermer le film par cette image qui déborde d’émotion. On devine ce qui s’est passé avant et ce qui se passera après. Rien que pour ça, cette image prend une dimension incroyable. Je trouve que c’est une métaphore incroyable du drame qui c’est déroulé chez nous et dans tous les autres pays occupés qui ont vu partir des tas de gens vers une mort programmée.