Il est venu sans Jean-Julien Collette, son co-réalisateur retenu à Berlin. En tandem, ils font des courts métrages depuis leur sortie de l’INRACI. Les histoires changent, mais certaines idées ressurgissent dans leur parcours : le noir et blanc, les huis clos, le conflit et l’enfermement, les duos de comédiens, les principes théoriques sans omettre les dialogues affûtés. Le dernier film en date, le troisième, È finita la commedia, ouvre la nouvelle saison de L’Envers du court, l’émission offerte au format bref sur La Deux. Rencontre avec Olivier Tollet.
Olivier Tollet, co-réalisateur de È finita la commedia
Souvenirs spaghetti
Mes premiers souvenirs de pellicule pourraient s’apparenter à un genre noble, mais qui était plutôt associé à un cinéma bis à l’époque : le cinéma spaghetti. Mon père avait une fascination pour ces westerns dénigrés à l’époque. Dans ma mémoire, ce genre a été le premier impact en termes d’image et de narration. Je me souviens des classiques de Sergio Leone, de la trilogie de L’homme sans nom avec Pour une poignée de dollars, Et pour quelques dollars de plus, Le bon, la brute et le truand, sa trilogie de l’Amérique avec Il était une fois dans l’Ouest, Il était une fois la révolution et Il était une fois en Amérique, mais aussi de Mon nom est personne. J’avais à peine 10 ans; ces films me parlaient beaucoup plus que toute autre chose à l’époque.
Cinéma parfait
Je n’étais pas vraiment un acharné de pellicule quand j’étais petit. Quelque temps avant de faire mes études, je me suis intéressé à l’émergence de ce qu’on appelait le nouvel Hollywood, en référence à cette période « parenthèse un peu enchantée » du cinéma indépendant américain qui avait émergé de la fin des années 60 jusqu'au début des années 70. Parmi cette génération de cinéastes qui sortaient de Sundance, il y avait Paul Thomas Anderson, Soderbergh, Tarantino. J’avais l’impression qu’ils proposaient une synthèse entre une vision d’auteur et une conception large du public. Ça m’interpelle, cette espèce de cinéma parfait qui est à cheval entre la singularité d’une démarche et la volonté de faire des films pour les gens.
L’INRACI : cours et rencontres
J’ai rencontré Jean-Julien sur les bancs de l’école : on était en réalisation tous les deux. À la fin de nos études, de manière assez intuitive, sans se poser beaucoup de questions et sans confronter théoriquement les cinémas qui nous plaisaient, pour rire ou s’essayer, on a écrit ensemble un premier scénario (Qui veut la peau de Roberto Santini ?) qu’on a proposé à Anthony Rey. Anthony venait de créer sa société, Hélicotronc, donc on démarrait un peu tous les trois en sortant de l’école : nous, avec un projet, lui, avec sa boîte. Contre toute attente, on a été reçu positivement à la Commission de sélection.
Jean-Julien en particulier
Dans les différentes étapes de la réalisation d’un film, une forme de complémentarité s’est installée assez naturellement entre nous. Au début, lors de l’écriture, Jean-Julien arrive souvent avec des idées, des concepts ou des envies de films qui sont relativement balisés par rapport à un genre ou à un mélange de genres, mais qui ne le sont pas spécialement dans la construction scénaristique. On fait des réunions d’idées, on essaye ensemble de définir un plan de l’histoire, un canevas. À ce moment-là, on se sépare et j’essaye de construire le scénario en termes de séquences et d'écrire tous les dialogues. Puis, on confronte nos idées, et le scénario final en résulte. Au moment du tournage, on précise bien qu’il y a peut-être deux voix de prime abord parce qu’on est deux, mais qu’on parlera d’une seule voix. On essaye de travailler relativement en amont pour qu’il n’y ait pas de voix discordante par rapport aux comédiens ou à l’équipe technique. Et concrètement, on est complètement interchangeable : je ne suis pas plus dirigé vers les comédiens et lui vers la technique. On se répartit le travail et on inverse le lendemain.
Anthony Rey en additionnel
Avec Hélicotronc, il a créé un catalogue qui démontre une forme de pluralité. Dans son équipe, les gens ont des personnalités, des envies et des genres de cinéma très différents. Il a ses choix par rapport aux scénarii et des choses à dire, mais une fois que le projet démarre, une fois qu’il a donné sa confiance à quelqu’un, il est relativement peu interventionniste.
Les intentions de Barbara Broadcast et de È finita la Commedia
« Les deux derniers courts métrages qu’on a faits sont plutôt des exercices de style qui se basent sur des principes relativement théoriques qu’on a voulu tester. Dans Barbara Broadcast, deux amis enfermés dans une pièce n’arrivent pas à s’entendre sur une histoire parfaite. L’idée était de développer un récit relativement minimaliste autour du conflit et de l’enfermement avec des rebondissements offerts par des jeux de dialogue. Il n’y avait pas d’envie d’approfondir la psychologie et la caractérisation des personnages, raison pour laquelle ceux-ci sont habillés de la même façon, donc totalement interchangeables. Barbara Broadcast, c’est plutôt une comédie qu’on a voulue à la fois absurde, un peu conceptuelle et ludique. Dans È finita la Commedia, on avait envie d’arriver à une épure du jeu de comédien, à un jeu plus naturaliste et plus réaliste par rapport à une histoire volontairement outrancière et exagérée.
Excès et minimalisme
Au départ, pour È finita, la démarche était de caractériser une relation entre un père et un fils qu’on voulait fusionnelle, exclusive, immature, complètement « adolescentesque », un peu en dehors des schémas traditionnels et occidentaux de la relation père/fils. Dans le film, la relation est presque amicale : ce sont des copains et les rôles de chacun sont flous. Dans un sens, c’est un père et un fils qui n’arrivent pas à se dire qu’ils s’aiment et à baliser leur relation. Donc, ils sont complètement dans l’excès, dans la fuite en avant. Le challenge, pour nous, c’était de faire exister une histoire avec du suspense et des enjeux en parallèle d’une démarche purement minimaliste, en se disant : « est-ce qu’on sera capable de créer une histoire avec deux personnages dans une voiture?
Choisir Christian Crahay et Cédric Eeckhout
Un peu comme pour Barbara Broadcast, on voulait trouver des physionomies intéressantes. Pour le rôle du père, on cherchait quelqu’un avec une mine un peu chiffonnée, avec un côté un peu bonbon, rondouillard, poupon presque. Le personnage devait en avoir marre et faire vaguement référence aux méchants des westerns italiens. Pour le fils, on pensait à une physionomie beaucoup plus anguleuse, avec un visage émacié et un côté beaucoup plus dur.
On a commencé à chercher des comédiens qu’on considérait comme bons et qui pouvaient correspondre naturellement à ces physionomies. On est tombé sur Christian Crahay et Cédric Eeckhout : ils étaient d’ailleurs tous deux en tête de nos listes. On les a contactés, on leur a donné le scénario, on a fait un bout d’essai et on s’est rendu compte, pendant le casting, qu’il y avait, entre eux, la connivence qu’on cherchait et qui devait être présente dans le film. On a été séduit par ce qu’ils étaient capables de dégager et transmettre, ils ont un potentiel dramatique très large et évident. Le hasard a fait que Christian a été le professeur de Cédric à l’IAD donc la connivence, l’intimité de cette relation s’explique, ce rapport père/fils, professeur/élève existait déjà. Cela a certainement nourri leur jeu puisqu’ils se connaissaient bien, s’appréciaient beaucoup mais n’avaient jamais joué ensemble.
Un titre généralement assimilé à une fin
"È finita la Commedia", c’est un clin d’œil à un certain nombre de comédies italiennes des années 60 : certains réalisateurs, au lieu de mettre "The end" comme à la grande époque hollywoodienne des années 50, inséraient "È finita la Commedia" ("La comédie est finie"). C’était un peu une métaphore de la comédie humaine : maintenant, ça suffit de rire, c’est terminé. Le choix du titre correspond aussi au glissement dramatique effectué dans l’histoire : on passe de l’humour noir à l’obscur. Maintenant, la comédie est finie.