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Maxime Pistorio à propos de Cocktail Mazel Tov!

Publié le 08/06/2008 par Katia Bayer / Catégorie: Entrevue

Se laissant aller à l’interview comme s’il était « au bistrot avec un copain », il est le dernier invité de la saison de l’Envers du court (La Deux, Philippe Reynaert). Son film de fin d’études, Cocktail Mazel Tov!, dans lequel un personnage noir se cherche au milieu de kippas blanches, traite de l’identité, des minorités et des préjugés. Rencontre avec Maxime Pistorio, jeune réalisateur sensible au théâtre, à l’humour, au doute, à la liberté et à sa grand-mère.

Maxime Pistorio à propos de Cocktail Mazel Tov!

Théâtre et réalités


« Je suis enfant d’acteurs. Quand j’étais petit et que mes parents travaillaient, il arrivait très souvent que je les accompagne au théâtre. Pour moi, le théâtre, c’était l’univers, je ne connaissais rien d’autre, un peu comme les enfants qui naissent dans les cirques. De cette période, je me souviens de décalages terribles entre la réalité et la fiction. Quand à l’âge de 3 ans, je voyais par exemple ma mère jouer une estropiée, je paniquais. Progressivement, heureusement, j’ai compris que c’était pour du faux ! Mais un jour, j’ai beaucoup pleuré parce qu’à la télévision, Bugs Bunny apparaissait sur la Tour Eiffel. Je ne comprenais pas du tout comment un personnage fictif pouvait se trouver dans la réalité. Cela m’angoissait et me préoccupait en même temps (rires) ! ».

Enfancinéma


«Quand il y a un enfant parmi les acteurs, cela se sait et il est très sollicité. Mes parents ont beaucoup résisté, ils ne voulaient pas me faire travailler et que je devienne une sorte d’enfant star. Mais parfois, des projets vraiment intéressants se présentaient et je pouvais y participer. Mon tout premier rapport avec le cinéma a eu lieu à travers son histoire. Je jouais dans un téléfilm, V’la l’cinéma ou le roman de Charles Pathé, de Jacques Rouffio. J'avais un petit rôle : je jouais le neveu de Charles Pathé. Je visitais les studios Pathé, je trouvais que tout était formidable et j’avais envie de faire partie de ce monde-là ! Puis, à 12 ans, j’ai joué dans un court métrage de Pierrot de Heusch, Les pièces à trous, un film dans lequel il y avait beaucoup d’enfants. Le réalisateur avait laissé le groupe vivre, n’avait pas cherché à nous conformer à quelque chose de précis et avait beaucoup respecté notre réalité d’enfant. Quand on est enfant, de si courtes périodes peuvent prendre une importance démesurée. Pour moi, c’était la vie, c’était merveilleux.»


La caméra dans le cartable


« À l’âge de 12 ans, j’ai acheté un ordinateur et une caméra. Je voulais être écrivain ou acteur. Rapidement, j’ai commencé à jouer tout le temps avec la caméra avec mes copains d’école qui devenaient comédiens occasionnels. Tous les week-ends, on faisait des films, et même la semaine, j’apportais ma caméra à l’école. Je filmais tout, je n’arrêtais pas. Je filmais mes professeurs en cachette et les élèves à la récréation. On inventait des histoires qui se passaient dans les couloirs, les caves ou les greniers de l’établissement. C’était inlassablement des histoires mystérieuses : il y avait toujours un truc qui n’allait pas dans l’école ! Cela dit, je n’ai jamais fini ces films (rires) ! On n’avait pas de quoi faire du montage. On était beaucoup plus dans le plaisir de la créativité que dans le résultat. »

W.A.


« Woody Allen m’a beaucoup influencé. À l’adolescence, j’ai vu Harry dans tous ses états et très vite tous ses autres films. C’est devenu presque un deuxième « métier » de voir ses films !  J’étais dingue de lui pour plusieurs raisons. Je m’identifiais à lui car il avait pu tout concilier : la musique, le théâtre, le cinéma, l’écriture, le jeu. Il n’avait pas dû choisir : il avait choisi de tout faire à la fois. J’étais aussi sensible à ses préoccupations et à son humour. Personnellement, j’ai toujours été attiré par l’humour comme un outil de langage. J’appréciais aussi le traitement de la peur dans ses films. Woody Allen a peur de plein de trucs, des femmes, de la vie, … Ça me confortait terriblement de voir ce type avoir peur de tout ! Le fait qu’il allait mal faisait que j’allais mieux ! Pour Cocktail Mazel Tov !, mon film de fin d’études, c’était important de me référer à lui. »

L’IAD


« J’ai passé quatre années géniales à l’IAD, mais face à certaines réalités, de grandes illusions sont tombées dès la première année. Maintenant, je me rends compte que c’était une erreur, que j’aurais préféré les garder. Si j’étais pédagogue, je ne me permettrais pas de faire tomber les illusions des gens, je chercherais à les préserver de façon que ce soient leurs propres expériences qui les fassent évoluer. À l’heure actuelle, je m’arrange avec mes rêves. J’en ai des nouveaux et les anciens prennent une nouvelle forme, mais ça ne passe pas forcément par une désillusion douloureuse. Je pense néanmoins que l’IAD a été une bonne école pour moi. On apprend sur le terrain et on jouit de la plus grande liberté dans ce qu’on entreprend. Si on ne trouve pas sa liberté à l’école, c’est qu’on n’a pas su la prendre. »

Premier cercle


« En arrivant à l’IAD, j’ai eu envie de faire du comique, du léger et de m’adresser à ceux qui ne maîtrisent pas les codes du cinéma. J’aime bien que ma grand-mère voit mes films et qu’elle les comprenne. Un jour, il s’est passé quelque chose quand je lui ai montré un de mes travaux, un court métrage de troisième année (Les fleurs artificielles). Il était inabouti, mais malgré ses défauts, il avait plu à l’école. Par contre, quand je l’ai montré à ma grand-mère, elle n’a rien compris ! Mais rien du tout ! Ensuite, on a regardé ensemble Sonate d’automne d’Ingmar Bergman et elle a tout compris ! C’était ma faute, et non la sienne, si elle n’avait pas percuté pour mon film. J’étais gêné, je me sentais idiot d’avoir fait un film qu’elle ne pouvait pas comprendre. J’avais eu le défaut des débutants : un langage plus compliqué qu’il ne le fallait. Pour mon film de fin d’études, j’ai cherché à éviter cet écueil. »

Cocktail Mazel Tov !


« Je voulais réaliser une comédie qui traiterait de l’identité, de l’intégration dans un milieu, et des préjugés. [Une jeune fille juive souhaite présenter son petit ami noir à sa famille. Par un concours de circonstances, il réalise une vidéo pour la bar-mitsva du frère et passe pour « le nouveau Spielberg » !] Les préjugés étaient très importants : je souhaitais utiliser ceux des spectateurs et les retourner à un moment donné. L’histoire se situe dans la communauté juive, parce que je  pense qu’on a beaucoup de préjugés à son égard, sur la difficulté d’y entrer, par exemple. C’était difficile à écrire. Je faisais lire les différentes versions du scénario à mes amis et à mon professeur et l’on me  disait : « attention, tu vas trop loin ». Je ne voyais pas comment tourner en dérision une culture sans avoir l’air de lui vouloir du mal. À un moment, j’ai eu l’idée d’insérer un personnage principal noir (Marc Zinga) dans cette histoire juive. 

Ça devenait encore plus risqué, jusqu’au moment où je me suis rendu compte que ce personnage pouvait être lui-même porteur de grands préjugés. Il croit qu’il est impossible d’être admis dans la communauté juive, mais ses préjugés sont tellement grands qu’il crée lui-même une exclusion indirecte. Il s’exclut tout seul en fait ! Ce personnage a été la clé : il n’était pas un noir, mais un non-juif appartenant lui aussi à une minorité. Ce que je croyais être un problème a finalement été une solution. »

Marc Zinga et Carlo Ferrante


« Marc est un ami proche. Il a un jeu très intéressant. J’avais envie qu’il soit là dès le départ pour qu’on fasse quelque chose à deux. Cela me mettait en confiance qu’il soit à mes côtés. Il joue un personnage très intérieur, très peu démonstratif face au personnage du père de sa copine très exubérant, très expressif, agaçant tout le monde qui balance des ″Allez, Spielberg″ à tout bout de champ ! J’aimais bien cette juxtaposition de personnages et de jeux. »

Le théâtre de recherche.


« J’ai rencontré  Dominique Serron, une metteuse en scène de théâtre qui montait Roméo et Juliette. Elle voulait utiliser la vidéo. Benoît Mariage, qui m’avait encadré pour mon film, m’a recommandé à elle. Du jour en lendemain, en travaillant avec elle, je me suis rendu compte qu’en conciliant ciné et théâtre, j’étais enfin moi-même. Une fois le travail achevé, elle m’a proposé de devenir son assistant pour son nouveau spectacle, La Princesse Turandot de Carlo Gozzi [avec Fabrizio Rongione et Laurent Capelluto]. La méthode de Dominique Serron est de faire des expériences qui peuvent être très longues : le but est de trouver des éléments qui vont être ceux du spectacle à venir. Son travail m’intéresse : la réflexion d’un metteur en scène, par rapport à la forme théâtrale, selon moi, est parfaitement transposable au cinéma. On cherche la forme qui correspond au fond à travers tous les outils qui sont à notre disposition et qu’on se choisit. »

L’ombre d’un doute (titre provisoire)


«  Je suis en train d’écrire un film sur le doute, sur la remise en question de soi. À l’IAD, j’ai vécu certains doutes comme des limites, des freins. C’était comme si je boitais à cause d’eux. Dans l’année qui a suivi la fin de mes études, grâce au théâtre et à la réflexion, j’ai réalisé qu’en fait, le doute était un trésor. Je pense que cela va à contre-courant d’une certaine idéologie dominante où l’on encourage les gens à avoir la foi pour que leurs projets se réalisent. Moi, je n’y souscris pas. Je crois que ceux qui doutent sont des privilégiés. »

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