Olivier Smolders n’est pas que l’un des cinéastes les plus doués de sa génération, c’est aussi un écrivain, auteur d’un essai sur la pornographie qui est d’une drôlerie proche de Bouvard et Pécuchet. Il est également l'auteur d’un livre étonnant sur Paul Nougé et de La part de l’ombre qui retrace ses vingt ans de parcours au cinéma.
Voyage autour de ma chambre, son dernier opus, a reçu le Prix du Meilleur Court Métrage Documentaire à Média 10/10 et commence sa vie dans les festivals.
Olivier Smolders : Voyage autour de ma chambre
Paroles d'un réalisateur
Du temps de l’argentique à l’espace de la vidéo
Un jour, j’ai fait le lien entre ce projet sur l’espace et des petites vidéos personnelles que j’avais tournées lors de voyages en famille. Je me suis rendu compte que tout le monde filmait beaucoup, mais qu’on ne regardait que très peu ces images, alors j’ai pris mon courage à deux mains, et je me suis mis à regarder ces vidéos, pour voir de quelle manière j’avais filmé ces paysages.
Cela m’est apparu comme une évidence : autant l’argentique et le super 8 conviennent pour parler du temps, autant la vidéo est le support à utiliser pour l'espace. J’ai donc décidé d’utiliser uniquement des images vidéo ; ce qui était un peu particulier pour moi, puisque je ne l’avais jamais fait auparavant. Finalement, ça a donné Voyage autour de ma chambre.
Ce lien entre le temps et l’argentique, l’espace et la vidéo, vient probablement du fait qu’aujourd’hui, on peut être dans sa chambre devant sa télévision et avoir l’impression d’être partout, dans le monde entier, ce qui est évidemment une illusion puisque entre le monde et nous, il y a des images. »
La parole et le silence
« La difficulté d’un film de ce genre est l’équilibre qu’il faut trouver entre des idées, des mots, des phrases, une voix off et des sensations : des images et un univers sonore. Cet équilibre est difficile à trouver puisque ces films viennent à la fois de choses très sensibles et intraduisibles, d’images et de la manière dont elles sont agencées les unes aux autres, mais en même temps, ils reposent sur un discours. L’essentiel du travail a été de naviguer de la façon qui me paraissait la plus juste entre les deux. Personnellement, le discours n’a jamais été ce que je préfère dans le cinéma.
D’ailleurs le propos dans ces deux films est, selon moi, assez convenu, il énonce des lieux communs. Il ressasse une idée souvent répétée : l’homme est peu de chose sur terre, à la fois en termes de temps et d’espace, il y a l’infiniment petit et l’infiniment grand. Sans renoncer à l’évidence de ce discours, ces films essayent de travailler le ressenti qui peut encore exister derrière ces propos. J’essaye donc de faire un trait entre les émotions particulières liées aux images, aux couleurs, aux sons, et entre l’universalité recherchée par le propos. Dans ce genre de films, la tentation est grande de se laisser reposer sur les images et les sons, de reculer sur le discours, mais j’ai finalement préféré conserver le propos parce que je crois qu’il balise les choses, même s’il décontenance le public. Il permet d’atteindre un public plus large ; les films sont tournés vers lui. Contrairement aux autres films que j’avais faits précédemment. »
L’ordre et le désordre
« Je me pose souvent une question dans la vie de tous les jours, et elle revient dans ces films-là, c’est la question de l’ordre et du désordre : qu’est-ce qui est préférable ? Une maison extrêmement ordonnée où chaque chose est à sa place, ou bien une maison pleine de désordre ? Les deux sont mortifères. Dans le premier cas, tout est tellement à sa place que l’on a l’impression que personne n'y vit, que l’homme n’a pas pris possession du territoire, dans le deuxième, c’est comme dans une tête où il y a trop de désordre, c’est un rapport maladif à la réalité.
La grande jubilation d’un film comme Voyage autour de ma chambre, c’est qu’on peut y construire une structure narrative faite d’ordre et de désordre. Elle donne à la fois l’impression que tout est extrêmement ordonné, avec un fil conducteur qui permet de passer d’une idée à l’autre, et en même temps, du désordre qui emboîte de force des choses qui n’ont rien à voir les unes avec les autres. L’important, c’est d’avoir une grande liberté, contrairement à la fiction ou à certains documentaires. Je veux donc dire le plaisir intense que j’ai eu à réaliser un film aussi libre, c’est une chance inouïe que j’ai eue. »
Le zen et le kitch
« Etant enfant, j’ai toujours admiré le travail de sculpture de mon père. Une grande partie de son travail tourne autour de la méditation, de l’inspiration zen de l’Asie, etc. La différence entre le travail de mon père et le mien, c’est qu’il a eu un parcours artistique plus cohérent que le mien. Moi, j’ai toujours été en balancement entre l’écrit, le kitch, la provocation, le mauvais goût, la pornographie, la bêtise … Et d’un autre côté, l’élan mystique, Robert Bresson, le repli sur soi, l’intériorité,… J’ai toujours avancé d’une manière bancale en mettant un pied dans un et un pied dans l’autre. »
Voix off, voix des sirènes ?
« Il est très compliqué pour moi d’utiliser la voix off. Le premier film que j’ai fait était presque intégralement parcouru du début à la fin par une voix off. On me l’a reproché tout en me disant qu’elle était très bien. Pour moi la voix off est un peu un pis-aller. C’est le chemin des mots, de la voix, qui traduit les choses qu’on n’arrive pas à traduire autrement. Un de mes fantasmes serait de me passer de la voix.
Aussi bien la voix off que le dialogue. À chaque fois, je me rends compte que c’est une sorte d’utopie et que j’échoue. La voix off est une crainte pour moi, il faut l’écrire en faisant en sorte qu’elle soit précise, compréhensible, pas trop littéraire ni trop familière, mais il faut aussi l’interpréter correctement, avoir le bon ton. Et c’est là que je rejoins ce que disait Serge Daney : un rien, un détail infime, fait qu’une voix touche ou qu’elle agace. C’est très difficile de savoir si l’on est dans le bon, parce que le ton utilisé ne sera peut-être plus à la mode dans 10 ans, il reste toujours un petit accent, etc. »
Cinéma et peinture
« Les rapports entre les deux sont de l’ordre de l’inspiration, du style, de l’histoire des formes dans un espace à deux ou trois dimensions. La seule fois où j’ai fait un film sur un peintre, c’était moins un film sur la peinture que sur la bêtise, la folie, sur la biographie d’un peintre imaginaire. Je pense qu’il est très difficile de faire des films sur la peinture. Je me rends compte qu’ils sont rares les films qui ont réussi à contourner l’écueil du passage de la peinture au cinéma. Pour autant, cela n’empêche pas qu’il y ait beaucoup d’images qui font référence à des images peintes. »
Le corps
« Le corps reste un des grands sujets de l’histoire de l’art. C’est là que se concentre le mystère de l’existence, de l’âme. Sommes-nous quelque chose sans notre corps ? Je pense que le cinéma est passionné par les corps depuis toujours. Une grande partie de cinéma de fiction s’est détachée du corps pour se tourner vers la psychologie, mais le corps reste au centre des priorités. Filmer l’autre, ça commence par filmer le corps de l’autre. Il y a pour moi plus d’intensité et d’émotions dans l’échange de regards entre deux personnes et dans leurs gestes que dans les longs discours qu’ils pourraient tenir pour verbaliser ce qu’ils sont, ce qu’ils croient être et ce qu’ils croient que ce que les autres sont. En réalité, on devrait moins parler ! »