Métier : Journaliste - Rédacteur
Ville : Bruxelles
Province : Bruxelles-Capitale
Pays : Belgique
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En faire sans en faire
J'ai eu extrêmement envie de faire du cinéma quand j'ai réalisé qu'il y avait un moyen d'en faire sans en faire. C'est-à-dire qu'il était parfaitement possible de devenir un cinéaste considéré sans en foutre une secousse. Comment ? En s'appropriant sournoisement le patient travail effectué par d'autres. Ce que j'ai fait.
Mon premier film, les Cahiers du cinéma, est en effet montré partout depuis quelque temps, au Mans, à Berlin, à Nice, à Genève, bientôt à Tours et à Moscou, alors que je n'en ai pas tourné un seul plan et que je n'ai participé ni à sa conception ni à son montage. Il s'agit d'une totale imposture et j'engage tous les autres gros pagnoufs à faire pareil. Si vous voulez être sacré cinéaste de Belgique qui compte en vous les roulant dans la farine, attribuez-vous donc tout de bon la paternité du premier ouvrage bien léché et bien oublié venu frigoussé par quelque artisan aussi obscur que gobe-mouches, et contentez-vous d'en assurer tapageusement le service après-vente. Ça marche.
Les Cahiers du cinéma est un film d'instruction militaire que j'ai volé aux services de propagande cinématographique de l'armée belge, que j'ai signé, et qu'on a projeté tel quel ici et là avec juste un générique farceur où, lit-on dans une Encyclopédie des films de Belgique, "les personnalités les plus casse-bonbons du moment sont créditées de fonctions aberrantes." On a eu souvent bien du mal à croire que le commentaire off incroyablement plouc greffé pour le document n'était pas de mon crû, mais qu'il s'avérait bel et bien certifié d'origine. Et que c'était vraiment avec ça qu'on entendait dresser les pioupious. Le deuxième volet de ce "ready-made", qui s'adresse plus particulièrement aux petits gars de la marine, a été baptisé Sortez vos culs de ma commode par son père adoptif : Jean-Pierre Bouyxou. Ni lui ni moi ne sommes prêts d'oublier le tollé occasionné par la grande première de ce doublé à la Cinémathèque royale de Bruxelles. Pour y attirer la fine fleur cinéphilico-marxisante tout imbibée du dogmatique jargon militant d'alors des revues Les Cahiers du cinéma, Cinétique et Tel Quel, nous avions souligné dans le programme qu'il fallait appréhender nos films comme des "interventions matérialistes-dialectiques décisives sur le champ des pratiques signifiantes". Et les bachi-bouzouks que la formule avait harponnés ont fort mal pris la plaisanterie.