La photo d'une femme
J'ai découvert que je voulais faire du cinéma dans un rêve où une femme répondait à ma question sur le sens de ma vie avec des mouvements silencieux, comme au ralenti.
Le mystère du rêve, que j'ai seulement décrypté quelques semaines plus tard, disait que, dans le cinéma, on rencontre l'infini.
J'ai eu, au cours des années, l'opportunité de vérifier la sagesse du rêve, bien que le mot d'infini soit complexe. A la fois fait du travail et des doutes autant que de l'indicible. Le choix du cinéma s'est vérifié comme le choix d'un voyage.
Comme tout le monde, quand j'étais adolescente, je voulais donner un sens à ma vie. Je pleurais dans l'herbe et regardais les étoiles, et je me disais : "tout ça c'est très organisé, il doit y avoir un sens". Où est-il ? Quel est-il ? Et qu'est-ce que je dois faire de ma vie ? Pas de réponse. J'ai toujours été émerveillée par l'univers. Qu'il y ait de l'eau, de la terre, le jour, la nuit. Tous ces mouvements. Les chiens. Les petits animaux dans l'herbe. Il y avait tout ça. Emotion. Comme un sentiment religieux de reconnaissance devant l'existant. Esthétique. L'organisation et la beauté de l'existant m'éveillaient aussi à ma grandeur et ma petitesse. Parce que je pouvais le voir. Grande était ma chance. Mais en même temps, je n'avais rien à y foutre. Comme un bateau à la dérive. Il fallait que je m'intègre, en faisant quelque chose qui forme partie de l'ensemble. Ou que je m'élimine. Parce que rien ne me semblait avoir le droit d'être gratuit dans la logique de l'oeuvre du monde. Surtout pas moi. Des pensées qui me menaçaient, qui me désespéraient. Que faire ? Que faire qui ait un sens ? Qu'on soit péruvienne ou russe, qu'on passe son adolescence dans la vingtaine ou la quarantaine, je crois qu'on se pose toujours ces questions idiotes avec la même ferveur. Je faisais des photographies, j'étudiais l'architecture, la peinture, la musique, mais la question faisait toujours mal et ces activités ne me satisfaisaient pas. Quelque chose ne s'accordait pas, comme si j'en touchais le fond avant d'avoir pu m'y perdre.
Puis, un jour, j'ai fait un rêve. La photo d'une femme se mettait à bouger, comme au ralenti. La réponse c'était ça. C'était quoi ? Je n'ai pas compris tout de suite... des images qui bougent ? What's that ? Au Pérou, à l'époque, je ne considérais pas le cinéma comme un art, ni comme des images qui bougent. Il n'y avait que du cinéma américain, des machins de gros calibre. Pas de l'art. C'est drôle, parce qu'à ce moment-là, il fallait que cela soit artistique. Or, maintenant, je ne prétend pas faire de l'art, ni que le cinéma tel qu'on le pratique pour les salles soit un art. L'écriture (puisque cinéastes en Europe, nous sommes forcés d'être aussi scénaristes, d'écrire des histoires) nous force à côtoyer l'Infini. Chercher dans les méandres de la nature humaine, justifier des comportements, proposer des valeurs, poursuivre notre propre désir... elle n'a pas de limites. La réalisation c'est autre chose, comme un ring où l'on se bat physiquement, où l'instinct joue un grand rôle dans les milliers de choix qu'on fait par seconde. Où ce qu'on est finit par se voir au dehors, se réalise, projeté par chacun de nos choix, sur des personnages, des cadrages, des lieux, des lumières, un rythme... qu'on le veuille ou non, pour devenir un film. On se réalise en faisant des films. On se réalise pour faire des films. On examine sa propre vie, ses incohérences, ses tendances, ses fragilités, ses zones aveugles, ses faiblesses. Est-ce que c'était ça que je voulais comme vie ? C'était ça le sens ? Je ne sais pas. Je ne sais plus. Maintenant il y a comme un chemin. Je vois ce chemin. Impossible de juger sa justesse. Ce chemin, ces films, c'est tout ce qu'il y a.