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9999 d'Ellen Vermeulen

Publié le 10/02/2015 par / Catégorie: Critique

Le tribunal rend son verdict: "Vous êtes jugé coupable. L'expertise psychiatrique ayant établi que vous souffriez de troubles mentaux, vous n'êtes pas jugé responsable de vos actes. Vous serez néanmoins incarcéré. Votre date de libération est fixée au 31/12/9999. Affaire suivante!" Brr... Il a l'air terrible ce documentaire sur les camps nord-coréens. Tiens non, c'est en Belgique.

9999 d'Ellen VermeulenMerksplas, province d'Anvers. C'est dans cet établissement pénitentiaire que la jeune réalisatrice flamande Ellen Vermeulen a choisi de filmer cinq de ces prisonniers si particuliers. Résumons: Après avoir violé la loi, des personnes sont jugées irresponsables et ne peuvent donc être condamnées. Elles doivent par contre suivre un traitement dans des établissements spécialisés. Faute de place, elles se retrouvent emprisonnées avec pour seule date de libération l'année 9999. Ne bénéficiant ni de soin ni de suivi, elles attendent leur passage devant une commission qui déterminera si leur état s'est amélioré; condition indispensable pour espérer une sortie. "Mais comment voulez-vous qu'on aille mieux dans ces conditions?" demande, amer, l'un des protagonistes du film.

Le dispositif filmique repose sur une idée aussi simple qu'efficace: les plans sont fixes, le cadre -très photographique- situé à hauteur de regard. Puisque le mouvement est proscrit à la cellule, il le sera au cadre. Et comme ces individus ne bénéficient pas d'horizon, le spectateur n'en aura pas non plus. Les bords du cadre deviennent des murs, à moins que ça ne soit l'inverse. Pour tout hors-champ, ce territoire peuplé d'imaginaire, d'inconnu et d'espoir, une nappe sonore discrète mais constante: celle du brouhaha continu du lieu et des prisonniers ordinaires dont ils se méfient tant. Ainsi, la réalisatrice réussit à faire ressentir chez le spectateur un fort sentiment d'enfermement.

Mais il y a de la vie dans ce cadre étriqué et la parole et le silence n'en paraissent que plus forts, tout comme le regard de ces malades esseulés, abandonnés, et dont la fumée de cigarette semble être leur meilleure conseillère. S'il est parfois aussi froid que les barreaux d'une cellule, 9999 est en tout point remarquable et projette un peu de lumière sur cette situation honteuse. Une situation qui vaut chaque année à l'Etat Belge une condamnation de la cour européenne des droits de l'homme. Chaque année, la Belgique verse une amende, et ainsi de suite. Responsable, mais pas coupable.

En attendant, ce sont désormais 1100 Sysiphes de la taule qui espèrent que leur libération interviendra avant le bug de l'an 10000.

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