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Ateliers : Jasna Krajinovic

Publié le 01/01/2004 / Catégorie: Dossier

« Sans eux, je n'aurais jamais eu confiance en moi »

Si Jasna Krajinovic a décidé un jour de pousser la porte de Dérives, c'est parce que l'univers des frères Dardenne l'émouvait et l'inspirait, elle qui privilégie aussi, dans son cinéma, l'humain et le retour aux racines, à la terre, au territoire. Son premier long métrage, « Saya et Mira, rêves perdus », n'aurait sans doute pas pu se faire sans les précieux conseils des Dardenne, et surtout sans leur soutien, moral, financier et technique, à travers cette asbl qu'ils dirigent depuis plus de vingt ans. Une asbl qui, selon la réalisatrice d'origine slovène, se veut « à l'écoute sans jamais imposer sa vision des choses ». Rencontre.

Ateliers : Jasna Krajinovic

Cinergie : Comment se sont passés les premiers contacts avec les frères Dardenne ?
Jasna Krajinovic :
Ce sont les premiers que j'ai appelés, tout simplement parce que ce qu'ils font me plaît. Au tout début, j'avais juste une idée, mais j'ai eu un rendez-vous, et là, je me suis rendue compte de mes erreurs. Avec eux c'est un peu sans pitié, tu y perds des plumes, et tu en sors avec quelque chose de plus petit, mais de plus juste. C'est comme si tu avais des béquilles jusque-là, qui tombent et puis tu es un peu déséquilibré, mais ça te confronte avec toi-même... Comme à chaque apprentissage, ça fait un peu mal.

 

C. : Que voulez-vous dire ? Ils étaient un peu durs ? 
J. K. : Mais c'est bien de passer par là ! D'être ainsi « déplumée ». Disons que tu as une idée qui est vraiment à toi, mais qui n'est pas bien développée : eh bien ils t'aident à la faire évoluer, même si c'est radical. Ce qu'ils disent, même si c'est parfois dur à avaler, s'avère souvent juste. Et ils ne te donnent pas de leçon : ce n'est pas parler pour parler, même si tu ne t'en rends pas compte sur l'instant.

Ils savent lire entre les lignes. Ils imaginent vraiment le film.

 

C. : Est-ce important pour vous d'être ainsi secondée dans la préparation d'un film ?
J. K. :
C'est certain, parce que sans cette honnêteté, en tant qu'étrangère ça n'aurait jamais fonctionné. Si je n'avais pas eu ces gens à mes côtés, j'aurai craqué.

 

C. : Comment sont-ils en tant que producteurs ?
J. K. : Comme je l'ai dit, ce ne sont pas des gens qui discutent beaucoup, mais quand ils disent quelque chose, c'est vrai. Jean-Pierre ne parle pas beaucoup, mais quand il le fait ça remet tous tes mécanismes en place, comme au kiné quand il te débloque un truc et que t'es bien après. Et puis ils sont aussi réalisateurs, donc ils connaissent la réalité d'un tournage. 

 

C. : Justement, comment s'est déroulé le tournage ? A quel niveau sont-ils le plus intervenu ?

J. K. : Une fois que le dossier était bouclé, j'étais prête à tourner. Je suis donc partie en Bosnie avec l'ingénieur du son et le cadreur de Dérives, qui connaissaient bien le dossier et pouvaient donc me comprendre. C'est ça qui est bien avec Dérives : tout le monde connaît ton dossier, d'où cette vision commune, à tous les niveaux. Pour l'argent, ils ont avancé, même si le budget n'était pas encore certifié. C'est-à-dire qu'eux, pendant que je tournais, cherchaient l'argent... Parce que si tu attends trop, ça peut te faire rater ton film. C'est rare que ça se passe comme ça ailleurs, et c'est bien.

 

C. : Il y a donc une prise de risque qui n'est pas à négliger...
J. K. : Mais ils te préviennent que le financement n'est pas toujours sûr. C'est toute la différence entre un travail créatif et un travail commercial.

 

C. : À ce niveau-là, n'avez-vous jamais dû faire face à certaines contraintes ?
J. K. : Avec Arte, qui coproduisait le film, oui. C'est eux qui m'ont obligé à rajouter « Rêves perdus » dans le titre. Alors que les Dardenne essaient de comprendre ton univers, sans jamais rien t'imposer. Même s'ils ont un certain droit de regard, leur approche n'est pas de censurer, ni d'interdire. Ils ne vont pas t'obliger à faire quelque chose si ce n'est pas ton truc. Ce qui est très rassurant : faire un film, c'est tout un chemin à parcourir, mais avec eux ça reste « ton » chemin.

 

Grégory Escouflaire

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