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Atlantic de Jan-Willem van Ewijk

Publié le 15/05/2015 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Une disparition

Inspiré par ses amis, sa passion, ce lieu qu'il connaît bien, Jan-Willem van Ewijk filme l'histoire de Fettah, un jeune garçon qui vit dans un petit village au Maroc, aide son père pêcheur, se destine à épouser sa jolie cousine. Son temps, il le passe à surfer, à s'envoler au dessus des vagues. Mais Fettah rêve. Et il décide pour poursuivre ses rêves d'amour, d'horizons et de liberté, de rejoindre l'Europe sur sa planche à voile. Commence alors une traversée épique, folle, dangereuse...  

Atlantic de Jan-Willem van Ewijk Coproduit par Marion Hänsel, le second long métrage de Jan-Willem van Ewijk est une aventure étonnante, tissée dans des destinées elles aussi peu communes. Lui d'abord, a quitté sa carrière d'ingénieur en aérospatiale pour réaliser un premier long métrage quasiment autoproduit, Nu, qu'il aura mis quatre années à terminer. Et son second film Atlantic est une aventure originale qui raconte une épopée solitaire et tragique. Van Ewijk a entièrement tourné son film, coécrit avec l'écrivain marocain Abdelhadi Samih, dans un petit village de pécheurs où se retrouvent chaque été les adeptes de windsurfing, une discipline sportive qui mixe planche à voile et surf. Ce sport, il en est lui même un adepte. Le lieu, il le connaît bien, ainsi que ceux qui tournent dans son film, figures populaires et plusieurs fois champions de la discipline. Et peut être est-ce pour cela que tout sonne si juste dans Atlantic.

Entièrement porté par Fettah Lamara, son personnage principal, Atlantic doit beaucoup de sa force et de son intensité à ce comédien improvisé, à la grâce de sa présence. La caméra jamais ne le lâche, qu'elle le filme minuscule dans l'immensité des paysages ou collée à son corps en caméra portée, au plus près de son souffle, de sa parole qui chuchote en voix off à nos oreilles sa vie secrète, ses rêves intimes, ses confidences. C'est son parcours qu'elle suit, son regard qu'elle accompagne. Entièrement irradié par la mer, omniprésente, ses couleurs, ses vagues, son souffle, Atlantic est une tragédie qui ne dit pas son nom. Loin des discours moralisateurs, des lieux communs sur l'immigration, Ewijk filme un rêve, une pensée intérieure, l'obsession d'un homme. Cerné de figures féminines, enfermé entre la roche et l'eau, la liberté, Fettah la trouve sur la planche. Et Atlantic dévoile en de très grands plans d'ensemble sa fascination pour ce sport, ses prouesses mais aussi le lointain, la mer et son horizon d'espoir, d'inconnu, promesses d'aventures, de liberté, même la plus absolue. Mais le film flotte dans des couleurs plus proches du scintillement argenté de l'eau que des ciels bleus éclatants. Ewijck se refuse à la carte postale, il évacue le typique, s'éloigne des clichés, qu'il frôle parfois, à trop vouloir échapper aux explications, à se tenir au plus près des symboles. Fettah n'est pas pour autant exemplaire d'une quelconque situation. Il n'est représentatif que de lui-même. Et Ewijk filme son corps en osmose ou en lutte avec les éléments, ses regards et ses émotions à fleur de peau. Il filme des gestes quotidiens, un père pêcheur qui travaille (le grand Mohammed Madj), des relations de complicités, des jeux d'enfants, un repas partagé au bord de la mer... Si le film commence à partir du périple de Fettah, il remonte dans le temps et installe son histoire dans la temporalité éparpillée de causalités proches et lointaines. Travaillé d'ellipses, d'allées et retours temporels qui déconstruisent sa chronologie, Atlantic vogue dans une intériorité tissée dans des moments quotidiens, des confessions, des regards imprimés sur la peau. Et le désir de Fettah de partir, grandit comme le vent fait gonfler une voile.

Atlantic de Jan-Willem van Ewijk On sort du film en restant un peu sur sa faim. Les explications à ce départ semblent par instant peu vraisemblables. Certaines situations paraissent légères par rapport aux enjeux de la narration. Mais peut-être est-ce parce qu'avec ses ellipses, ses silences, ses décors épurés, ses grands plans d'ensemble bordés de mer, ses ciels largement ouverts à l'horizon, ses souffles de vent et de vague, Atlantic dans ses choix narratifs et stylistiques, décline le vide, l'absence, le manque. Et peu à peu, comme son personnage principal, il semble se dissoudre dans sa matière fragmentée, avalé par ses propres manques, dans l'ailleurs de ce rêve évanescent comme un mirage. Alors, on sort d'Atlantic hanté par le bruit de l'eau et le visage de Fettah Lamara, son regard intense, sa douceur rêveuse, sa voix comme un chuchotement intime à notre oreille qui murmure sa soif d'absolue. Et son inéluctable destin, éparpillé au vent, évanoui dans l'océan.

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