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Bouboule de Bruno Deville

Publié le 12/02/2015 par / Catégorie: Critique

Bouboulec'est Kevin, un jeune garçon en surpoids, couvé par une mère accaparante et désemparée, récemment séparée de son mari. Un jour son médecin lui annonce qu'il doit perdre du poids s'il ne veut pas mettre sa vie en danger, Kevin débute alors l'aquagym. Mais le jeune adolescent abandonne rapidement, désormais décidé à entamer un entraînement commando avec son nouvel ami Patrick (mais appelons le Pat, "Patrick c'est un nom de coiffeur"). Et force est de constater qu'entre les pains saucisses et les bières, Kevin perd du poids. Bouboule c'est l'histoire d'un jeune garçon en colère contre son poids, son père effacé et le regard des autres. Fort de ses nouveaux amis, il est prêt à tout pour se faire entendre, non sans une certaine maladresse.

Bouboule de Bruno DevilleLentement la caméra s'éloigne du torse de Kevin, nu, charnu et fragile. Cette première séquence est forte de sens. Bruno Deville ne délaissera pas ces plans "déplaisants" que la plupart des réalisateurs esquivent. Au contraire il s'y attarde, s'entête à montrer la différence pour mieux la faire oublier. Car les choses sont comme elles sont et elles le resteront, qu'on y prête attention ou non. A plusieurs reprises, la caméra de Bruno Deville saisit cette disgrâce, plein écran, au ralenti, offrant sans complexe l’embonpoint du jeune homme, comme pour exorciser le mal être qu’il engendre.

Car Bouboule c’est avant tout un film sur la différence, sur l’acceptation de soi et le long processus qui l’accompagne. Le film, s'il souffre de quelques faiblesses narratives, dépeint les marginaux avec un tendre regard et une certaine poésie. Par moments, Bruno Deville se disperse, partagé entre ces différentes idées (l'obésité, la violence, le suicide, le manque de repères), ce qui affaiblit quelque peu le ressort dramatique. Le génie du réalisateur tient principalement dans son habileté à traiter cette initiation à la violence avec une douceur qu'on sent sincère. L'atmosphère du film dégage un certain malaise, parcouru ça et là par une note poétique ou humoristique, rassurante et salvatrice pour le spectateur, effrayé à l'idée de voir son jeune héros perdre pied. Dans ce numéro d'équilibriste, Deville parvient à maintenir cette violence sous-jacente sans jamais s'y jeter, coupant ses séquences in extrémis, lorsque la tension semble atteindre son point culminant. Séquence après séquence, il installe un sentiment d’angoisse, à la fois jouissif et oppressant, à la manière d'un We need to talk about Kevin1 (dans une moindre mesure évidemment).

Bouboule doit aussi beaucoup à sa galerie de personnages farfelus, instables mais attachants, traînant leur différence comme le plus lourd des fardeaux. David Thielemans (Kevin) est très touchant, parfois volontaire et rebelle, à d’autres moments, fragile et apeuré. Découvert par hasard, il pourrait bien se réinviter devant l’objectif, c’est en tout cas tout le mal qu’on lui souhaite.

Bouboule de Bruno DevilleSwann Arlaud (Patrick) est le partenaire idéal pour Kevin. Passionné par l’armée, mais manifestement trop frêle pour prétendre à un poste, il s’invente une vie auprès de tous, esquivant sa triste réalité. Kevin, qui souffre de l’absence de son père, voit en lui un modèle masculin, défendant corps et âme son ami et ses mensonges. Bruno Deville donne vie à des personnages d’une profonde humanité, entre maladresse et bienveillance, mais fini par les délaisser quelque peu. Le personnage de Patrick aurait mérité d’être creusé davantage, tant il possédait un potentiel filmique.

Pour son premier long métrage, Bruno Deville s’enquiert d’un sujet qui lui tient à cœur, puisque plus jeune, il fut lui-même une victime. Il avait déjà réalisé un court métrage (La Bouée-2000) qui traitait de l’obésité d’un enfant de 8 ans. Et c’est peut-être son expérience en tant que « gros » qui lui donne cette assurance et ce crédit dans le traitement des images.

Bouboule est un premier film intéressant, sensible, à la mesure de la bande originale qui l’accompagne, signée M. Sous ses airs naïfs et innocents, le film témoigne avec justesse de la fragile et mince frontière qui existe entre tendresse et cruauté.


(1) De Lynne Ramsay - 2011

 

 

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