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Bruxelles sauvage de Bernard Crutzen

Publié le 15/12/2015 par Marceau Verhaeghe / Catégorie: Critique

Faune capitale

Sortir son chien, le soir, dans les rues désertes de Woluwe, et tomber nez à nez avec un renard, rentrer de virée le dimanche à 6h du matin et croiser une famille de chevreuils le long de l’avenue de Tervuren, rouler dans les petites rues de Watermael et devoir s’arrêter pour laisser passer maman cane et ses canetons en file indienne, découvrir dans la parc Baudouin les constructions communautaires des perruches à collier, plus belles et plus solides qu’une sculpture d’Arne Quinze, voilà des rencontres qui peuvent survenir chaque jour à Bruxelles.

Bruxelles sauvage de Bernard Crutzen

 

Pourtant, à chaque fois, elles nous laissent une impression d’émerveillement, presque de magie, comme si le fait de croiser le chemin de ces compagnons naturels dans notre environnement urbain avait quelque chose d’incongru. Etonné de sa réaction lors d’une confrontation fortuite avec un goupil, Bernard Crutzen s’interroge. Avec la ville, avons-nous construit un décor à notre seul usage ? Pourquoi, dans notre esprit, cette scission si nette entre la nature et l’urbain ? De quelles peurs ancestrales pensons-nous ainsi nous protéger ? Sur ce questionnement, le réalisateur entame une enquête qui va durer deux ans, le mener de surprise en surprise, et accoucher d’un film étonnant.

De l’octogénaire Marie-Louise qui nourrit dans son jardin un renard qui s’est invité en même temps que ses chats jusqu'au professeur qui voue son temps libre à la préservation des lucanes cerf-volant, c’est tout un monde qu’il va découvrir. Fait de gens ordinaires, peuplé de renards et d’insectes, mais aussi de fouines, de faucons pèlerins, de cygnes, de canards, de chauves-souris, de crapauds, de couleuvres, de biches ou de sangliers, tous ayant passé avec l’homme de curieux contrats de cohabitation. Et les questions arrivent en foule, bien sûr. Quelle est la place des animaux sauvages dans notre cité ? Comment les humains réagissent-ils à la présence d’animaux sauvages et comment ceux-ci se situent-ils en ville ? Entre peur et fascination, quels rapports entretenons-nous ?

Bruxelles sauvage de Bernard Crutzen

 

De rencontres curieuses en scènes cocasses (l'intervention des pompiers pour récupérer deux œufs de cane perdus dans un massif au sommet d'un immeuble…), le film nous fait découvrir un Bruxelles insolite, peuplé d'une faune rôdant le plus souvent dans la marge de notre périmètre visuel, souvent inconsciemment restreint au domestique et à l'apprivoisé. Oscillant sans cesse entre l'anecdote, le portrait sociétal et le documentaire animalier, Bernard Crutzen ne perd pourtant jamais le fil de son sujet : observer l’interaction de l’homo urbanicus avec ces intrus qui s’invitent dans son quotidien. Le garde forestier bruxellois, la dame aux pigeons, le bénévole du centre de revalidation, l’ornithologue accroché à sa lunette devant les tours de sainte Gudule, le SDF campant dans un parc et qui fait cause commune avec le renard…, les gens sont au centre de son film. Beaucoup de tendresse, mais point de sensiblerie pourtant dans cette observation. Car il y a une face sombre aussi dans nos rapports avec la faune des villes qu'il faut, hélas, évoquer : animaux écrasés, chassés de nos jardins, capturés, tués parfois. Feu Peter Ustinov disait volontiers que les bêtes sont là pour nous rappeler que si l’homme est un animal, tous les animaux ne sont, heureusement, pas des hommes.

Coproduit par la RTBF et la sprl Zistoires, le film a reçu le soutien d’Inter environnement Bruxelles. Après avoir été présenté au Festival Nature à Namur, il est sorti en salle à l’automne 2014. Parallèlement à sa carrière TV entamée ce printemps, il fait l’objet de l’édition de ce beau DVD, distribué par Dalton. Outre le film, on y retrouve quelques petites capsules bonus qui complètent la vision. Entre autres, on y voit la fin de l’histoire de Marie Louise et de son protégé roux, et on y découvre aussi pourquoi le réalisateur ne parle quasiment pas d’un autre acteur pourtant incontournable de la vie en ville : le rat. Regard original, tendre, malicieux et finalement revigorant, jeté sur notre ville et ses habitants, Bruxelles sauvage questionne avec pertinence nos rapports avec notre environnement.

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