Après Isla en 2001, portrait touchant des habitants de Cuba et d’une société fragilisée, Sonia Pastecchia, fille d’immigrés italiens part à la recherche du territoire perdu avec un nouveau documentaire, Campo Santo (Champ sacré). Le point de départ de sa trajectoire familiale la conduit à la rencontre des nouveaux arrivants du village natal de ses parents et propose ainsi un discours universel sur le thème de l’identité.
Campo Santo de Sonia Pastecchia
Tous si loin ces enfants qui sont les miens
« Depuis mon enfance, j'ai été bercée par des allers - retours entre la Belgique et l'Italie. À la mort de ma grand-mère ce bercement a cessé. Au fils des ans, son corps avait fait corps avec le village. Devenant ainsi un champ sacré. Son deuil m'a révélé un autre deuil à faire, celui d'une terre mère. Aujourd'hui je retrouve ce territoire devenu à son tour une terre d'accueil. D'où s'élèvent les récits de nouveaux arrivants. »
Le film s’ouvre sur une photo en noir et blanc d’une jeune femme d’un autre temps. Une voix se fait entendre, « tu es belle, grand mère ». La photo fait place à une autre, la même femme 50 ans plus tard : sa voix souriante répond « hé oui, mais je suis née belle ». Cette femme, c’est Tarquinia, la grand-mère de la réalisatrice. Elle est celle qui n'est jamais partie et, en restant et mourant là où elle est née, à Esanatoglia, dans l’est de l’Italie, devient une sorte de métaphore des origines, un ancrage.
Esanatoglia est un village pittoresque. Avec ses 2000 habitants et ses 7 églises, ce village de la région des Marches, il y a de cela 50 ans, a vu partir ses enfants, contraints de trouver une terre qui pouvait leur offrir un travail. Aujourd’hui, les choses ont changé, et le petit village sert d’asile à d’autres enfants de là-bas : Ukraine, Argentine, Macédoine, Albanie. De terre d’exil, Esanatoglia est devenue terre d’accueil.
La caméra parcourt cette petite ville typique, ses ruelles, ses clochers et ses fontaines et entre dans les maisons où de nouveaux habitants essaient de bâtir une nouvelle vie, loin de chez eux.
À la question « Qui est-tu ? », les Athéniens répondaient autrefois « Je suis Athénien ». Autant dire que l’exil ne saurait se réduire à un problème d’avoir, mais d’être. Il dépasse, en effet, et de loin, la modique question de l’appartenance. L’exilé ne pleure pas une parcelle de terre qui, de fait, ne lui appartient plus, mais il pleure ce rapport à l’être qu’il a perdu et qui le définissait. Et c’est bien là la démarche de Sonia Pastecchia : chercher à savoir ce que l’on a perdu en partant, connaître les images qui restent du pays qu’on a quitté, pouvoir choisir le pays où l’on voudrait mourir. Le documentaire fait le portrait de ces familles qui sont loin de chez eux. La caméra interroge l’environnement étranger, parcourt les pièces dans un panoramique à 360° pour arriver sur un portrait de famille, face caméra, un peu mal à l’aise. Si le procédé semble parfois un peu trop systématique, la sincérité de la réalisatrice ne peut en aucun cas être mise en doute. Loin du film à thèse, il n’en est pas pour autant gratuit ou désengagé. Un lien fort et intime se tisse entre la réalisatrice et ces nouveaux arrivants qui osent lui offrir leurs rires et leurs larmes, les chants de leur pays. C’est cette sensibilité et cette proximité qui lui permettent de belles trouvailles comme ces mains d’enfants levées dans la classe répondant « présent », un présent ici qui signifie, en finesse, l’absence ailleurs.