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D’un monde à l’autre de Vincent Detours et Dominique Henry

Publié le 01/10/2005 / Catégorie: Critique

D’un monde à l’autre  est le quatrième film documentaire du tandem Vincent Detours et Dominique Henry. De la même trempe que le précédent Docteur Nagesh, par la sobriété du propos, du traitement, de l’image et du montage, il dresse le portrait d’une personne confrontée aux limites de son métier.
Un film à la fois audacieux et humble, qui suit sa propre logique, guidé par un regard libre, frontal, brut(al), sans mise en condition du spectateur, qui est libre lui aussi de regarder où il veut, comme il veut, les photos de Gaël Turine qui se prolongent parfois en séquences filmées. 

D’un monde à l’autre de Vincent Detours et Dominique Henry

Le fil de la narration nous éclaire sur les limites du métier de photographe reporter et de cinéaste dans sa relation à l’autre. Il y a une position similaire entre les deux hommes qui partagent la même aventure, les mêmes risques, la même galère, les mêmes difficultés liées à la langue qui rendent la communication élémentaire, la pauvreté de l’échange entre le photographe et le photographié…On cherche en même temps qu’eux la façon de rentrer en communication.
Le film pose la question de “comment prendre ce qui n’est pas donné ?” Magnifiquement illustrée par la séquence avec une jeune fille travaillant sur un chantier de construction qui parle à un autre travailleur dans une langue que Gaël Turine ne comprend pas toute en se laissant photographier. La jeune fille dit à son ami : “ Il va bientôt entrer dans ma bouche”. L’ami “ C’est sûr qu’il ne photographie pas les vieux gars. Il va vendre les photos ”. Elle : “ Dis-lui que ça suffit ! ” (…) Elle : “ Tu crois qu’il aime mes yeux ? ”. Le film aborde sans complaisance et sans héroïsme les difficultés d’un métier, les limites du travail dans ce qu’on peut obtenir et de ce que le public en perçoit. La séquence dans la galerie d’art met en lumière cette distance entre la réalité humaine et la réalité esthétique. On bascule d’un regard à l’autre, d’un monde à l’autre. Décalage total entre leur vie et la nôtre. Le photographe vend des photos tout en se moquant de lui-même et du grotesque de la situation.

Gaël Turine, la trentaine, fixeur d’images, est un homme réservé et taiseux. Et c’est parce qu’il est en retrait qu’il nous laisse le champ libre pour regarder avec lui, comme une invitation sans tralala, son travail. De prime abord, les questions-réponses qui accompagnent les instants photographiques paraissent naïves, mais elles sont pourtant indispensables pour comprendre la vie des déshérités, des aveugles, des travailleurs dans les mines…Très belle séquence que celle d’un adolescent de 14 ans expliquant comment il a perdu la vue et un bras suite à l’explosion d’une mine. Il avait 10 dix ans et voulait sauver le bétail égaré sur le champ de mines. Il choisi ses sujets, la thématique de son travail photographique : des femmes, des hommes, des enfants qui se battent contre la fatalité de la pauvreté. Un travail à long terme comme celui effectué sur les aveugles en Erythrée ou les adolescents de Kaboul.

 

Karen S.H.

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