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Des hommes de Khristine Gillard

Publié le 01/05/2008 par Philippe Simon / Catégorie: Critique

Paroles de femmes

Bruxelles, gare du Nord, un quartier populaire en continuelle mutation, un monde de labeur où des hommes, dans le vacarme incessant des machines, accouchent de ces tours de verre anonymes et façonnent le nouveau visage d'une capitale en route vers son devenir tentaculaire de métropole européenne. À côté, à quelques rues de là, étranger au clinquant d'une certaine modernité, persiste un monde de prostitution où des femmes s'exposent en vitrine. Théâtre quotidien d'une sexualité aux lumières de néons, ces vitrines mettent en scène des corps apprêtés où une certaine idée de l'amour physique appelle l'assouvissement d'un désir dont nous ne connaissons que la mise en spectacle, les images et le silence.

Des hommes de Khristine Gillard

Des hommes, premier film documentaire de Khristine Gillard, part de cette présence de deux mondes, de cette évidence répétée d'un monde d'hommes et d'un monde de femmes. Tour à tour, elle y filme ces chantiers masculins et ces vitrines féminines en un montage qui dépasse la simple opposition sexuée, associant par son regard de cinéaste ces deux mondes comme les deux moments d'une même vie.

Et pourtant, l'enjeu de son film dépasse, et de loin, cette juxtaposition simpliste de deux mercantilismes existentiels. Car ce qui l'intéresse, ce qui la touche avant tout est ce qui se vit, ce qui se joue d'affectif, de vrai, d'essentiel derrière ces vitrines dont son film ne nous livre que des fragments, s'arrêtant aux éléments d'un décor, à la répétition d'un geste, à ces moments fugaces qui précèdent ou concluent une transaction sexuelle.
Pour Khristine Gillard, les hommes au travail ne sont qu'un prétexte pour mieux rendre compte de la présence si particulière de ces femmes qui se vendent sexuellement aux hommes. Et si sa caméra, toute de pudeur et de complicité, traverse en de lents allers-retours la frontière entre la rue et l'intimité d'une chambre, c'est pour mieux nous donner à entendre le hors champ que masque cette vitrine.
De là, cette parole sans visage qu'elle a su entendre, retenir, comprendre lors de ses rencontres structure tout son film. Parole magnifique qui prend toute son importance, toute sa charge émotive alors que les images qu'elle nous livre nous laissent à peine deviner la vie de ces femmes.
Des hommes par la radicalité de son écriture, sa façon de filmer à la périphérie de ce qui se vit et sa manière d'organiser les voix de ces prostituées qui nous disent, nous racontent ce qu'elles pensent de l'homme et de l'amour, est un film surprenant et peut-être essentiel. Car donnant la part belle à ces mots de confidence, à ces abandons de parole, il rompt avec tous les clichés, les idées reçues, les attendus que la prostitution suppose et loin des arcanes un rien fatiguées des jugements économico-sociaux, pose notre éducation sentimentale, notre devenir affectif comme une question de première importance, comme une nécessité dont nous ne saurions faire l'économie, faire le déni. Si quelques faiblesses de mise en scène trahissent un premier film, Des hommes reste un grand moment de cinéma et comme il réussit à nous faire entendre autrement une parole de vie, il nous renvoie à ce que nous vivons nous-même, à cette situation périlleuse où des hommes et des femmes parlent d'amour et cherchent au-delà des mots, une façon d'être ensemble.

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