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Ecole de photographie de la Ville de Bruxelles, Agnès Varda: Rencontre avec Clémentine Deférière et Charles Paulicevich

Publié le 15/07/2012 par Dimitra Bouras et Arnaud Crespeigne / Catégorie: Entrevue

Nous sommes conviés à découvrir l'école de photo de la Ville de Bruxelles, qui a pris officiellement le nom d'école de photo Agnès Varda, lors de sa journée « portes ouvertes », en juin 2012. Sur le chemin, un peu perdus sur les berges laekenoises du canal, nous rencontrons un groupe de jeunes à l'allure artistique, qui se rendent au même endroit que nous. Clémentine Deférière, la directrice, nous reçoit, fière et heureuse de nous présenter son école.

Clémentine Deférière : C'est une école de promotion sociale qui s'adresse aux étudiants de plus de 18 ans, et qui dispense ses cours en après-midi ou en soirée pour permettre à tout un chacun de combiner sa vie professionnelle et d'étudier la vidéo ou la photo, soit pour se réorienter, soit pour devenir plus performant dans ses aspirations ou sa passion.

Cinergie : Quel est le niveau d'étude minimal exigé ?
C. D. : Il faut avoir atteint l'enseignement secondaire du second degré. Nous dispensons 3 années d'étude à raison de 3 soirs par semaine, et délivrons un certificat de qualification de vidéaste, reconnu par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Nous avons plus de 400 étudiants, 60 % en photographie et 40 % en vidéo.

C. : Quel est le public intéressé par l'enseignement de cette école ?
C. D. : Nous accueillons un public très varié, aussi bien des personnes qui recherchent un diplôme et qui veulent se lancer dans la profession, que des passionnés qui ont besoin d'aide technique, que ce soit en montage, en son ou en prises de vue. Le programme comporte également des cours d'écriture de scénario, de fiction en deuxième année et de documentaire en troisième. Par exemple, nous avons accueilli une réalisatrice qui est venue apprendre les différents métiers qui cohabitent sur un plateau. En fin de troisième année, les étudiants qui souhaitent recevoir le certificat de qualification reconnu doivent présenter une épreuve intégrée et suivre un stage d'une quarantaine d'heures dans un studio audiovisuel pour découvrir le métier.

C. : Auparavant, cette école ne dispensait que des cours de photo. Depuis trois ans, la vidéo y a fait son entrée. Curieusement, vous nous parlez uniquement de vidéo… Cela voudrait-il dire que vous êtes emportés par le succès de la vidéo et que la photo est passée au second plan ?
C. D. : Pas du tout. Mais il faut bien se rendre compte que le numérique a pris une telle place dans la photo que les cours se sont spécialisés. Les étudiants en photo reçoivent également des cours de vidéo. Un photographe averti doit pouvoir réaliser une vidéo, même à partir de son appareil photo.

C. : Cette école est plus technique qu'artistique ?
C. D. : Oui, j'insiste beaucoup là dessus. C'est une école avant tout technique, qui ne nie pas du tout l'artistique, qui le développe, mais la fonction principale de notre école est de donner une bonne technique aux étudiants. D'ailleurs, vous verrez que notre équipement est impressionnant.

C. : Existe-t-il d'autres écoles comme celle-ci ?
C. D. : Nous sommes la seule école qui existe en Belgique donnant une formation en vidéographie en promotion sociale. Nous avons créé cette section et les programmes de toutes pièces. Les premiers vidéastes qui ont commencé leur cursus ici sont diplômés depuis juin 2012. En photo, nous sommes la seule école à dispenser la formation complète jusqu'au certificat de qualification.

C. : Est-ce qu'il y a un examen d'entrée? C. D. : Pas vraiment. Il y a une discussion qui s'établit avec les professeurs responsables pour tester les motivations de l'étudiant. Nous avons généralement deux gros groupes en première année et nous terminons la dernière année avec le tiers de ce nombre : les deux premiers tiers s'arrêtent pour la plupart au cours de la première année.

C. : Cette école va prendre le nom d'Ecole de photo Agnès Varda. Pourquoi avoir choisi le nom de la cinéaste ?
C. D. : Agnès Varda fait la jonction entre la photographie et le cinéma. Elle nous fait l'honneur d'assister à cette inauguration. 

Charles Paulicevich, professeur de photo

Au pied des panneaux sur lesquels les étudiants photographes exposent leurs œuvres, nous entamons la discussion avec Charles Paulicevich, photographe et professeur de photo, de philosophie de l'enseignement photographique. Qu'est-ce qu’une reproduction du réel figée dans le temps et dans un cadre spécifique ? Qu'est-ce qui déclenche l'envie d'inciser l'horizon pour le découper à des dimensions standards ? Que faut-il pour qu'une image soit belle ? Etc.
Charles Paulicevich : C'est ce qu'on nous disons aux gens qui viennent ici pour partager leur passion : les images ratées ne sont que des coups de pinceau, et à un moment donné, le tableau se fait. Dans une seule image, tous les essais vont se retrouver. Le psychiatre Serge Tisseron, qui s'est penché sur les relations que nous établissons avec les diverses formes d’images, donne certains chiffres : admettons qu'il y ait 80 millions de films photo, à l'époque où les films se faisaient, vendus dans le monde. De ces 80 millions, 40 millions rentrent dans les labos, et de ces 40 millions, il n'y a que 20 millions qui sont récupérés. Il en déduit que l'instant où on prend la photo est suffisant pour métaboliser ce qui se passe.

C. : C'est quoi être prof de photo dans une école de promotion sociale ? Qu'est-ce qu'on enseigne aux étudiants, pour la plupart adultes, qui viennent suivre, pendant trois ans, des cours de photo ?
Ch. P. : On enseigne la même chose que dans la plupart des écoles de photo, mais en accentuant le côté pratique. Dans le cadre de la promotion sociale, les gens qui viennent ici ont, pour la plupart, un travail et ou une vie de famille. Ils viennent ici pour partager leur passion, comme on ferait du sport, pour évacuer le trop plein de tension. L'orientation de l'école est de placer un niveau d'exigence très haut, non pas dans le résultat de leurs travaux pour nous, mais dans le résultat pour eux, pour que la photo leur serve professionnellement et humainement.

C. : Actuellement, tout le monde a un appareil photo chez soi. Faire des photos est devenu un acte banal. Qu'est-ce qu'on vient chercher quand on veut suivre des cours ?
Ch. P. : Il faut prendre le problème dans l'autre sens. Qu'est-ce que signifie le métier de photographe de nos jours en comparaison avec l'histoire du métier ? Il y a eu une époque où on sélectionnait les photographes sur leur carrure, parce que le matériel photo de l'époque pesait très lourd et parce qu'il fallait savoir jouer des coudes pour s'imposer et obtenir l'image qu'on voulait obtenir. Après, on choisissait le photographe qui possédait du bon matériel pour produire une image qui avait de la valeur selon les critères de l'époque, principalement celui de flatter l'ego de la petite bourgeoisie. De nos jours, l'appareil numérique de type reflex est devenu accessible, et c'est tant mieux, mais du coup, on va attendre d'un photographe qu'il ait une vision, un rapport au monde qui lui soit singulier et qu'il va pouvoir inscrire dans l'image. C'est ce qui définit l'orientation que prend cette école, entre une technique très forte, avec du beau matériel, des enseignants très compétents d'un point de vue de la technique photographique et le développement d'un regard singulier à chacun.

C. : Nous sommes ici dans un labo, cela veut dire qu'on enseigne encore l'argentique. Est-ce parce que l'argentique forme le regard différemment ?
Ch. P. : L'avantage de l'argentique, c'est la matière qui est donnée à toucher. Voir l'image se révéler, c'est vraiment un moment magique quand on met le papier dans le bac du révélateur ! Et puis, il faut donner l'occasion aux gens de découvrir toutes les différentes sortes d'appareils qui existent pour choisir celui qui leur convient. A priori, l'appareil que l'on utilise définit les photos que l'on fait. Une fois que notre caractère photographique est imprimé, peu importe l'appareil.

C. : Vous donnez également cours d'histoire de la photo. Il n'y a donc pas que des cours techniques.
Ch. P. : L'idée est d'apporter tout ce qu'il faut pour sensibiliser et former les gens à pouvoir élaborer les images qu'ils ont dans l'esprit. Le gros avantage de cette école, c'est qu'ici il y a un matériel très vaste. 

Visitant les salles de cours, nous rencontrons des étudiants en plein travail. Kat Moutoussamy est en train de peaufiner le montage de son travail de première année en vidéo.
Kat Moutoussamy : Je me suis retrouvée ici par le biais d'amis. Je cherche à avoir plus de compétences techniques. La structure qu’offre cette école et le fait d'être en groupe, permet échanger avec d'autres. J'ai un projet de documentaire depuis trois ans, et je suis venue acquérir ici les compétences techniques pour le réaliser. C'est peut-être parce que je suis d'origine africaine que je suis attirée par la musique, mais j'ai envie de faire un film sur des musiciens congolais.

C. : Qu'est-ce qui fait qu'après avoir commencé dans cette école, tu y es restée ?
K. M. : J'ai trouvé une écoute des professeurs par rapport à nos faiblesses. Il n'y a pas d'esprit de compétition, on est tous là pour travailler sur des projets personnels et chacun les développe à son rythme. C'est une formation technique et artistique. On a commencé les premiers mois à faire de la photo, et c'est ce qui nous a permis de faire appel à notre sens artistique. J'aime la compréhension des profs. Ils se rendent bien compte que les gens ici ont par ailleurs un travail et une famille.

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