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Stefan Liberski à propos de Tokyo fiancée

Publié le 15/11/2012 par Dimitra Bouras, Lucie_Laffineur et Jean-Michel Vlaeminckx / Catégorie: Entrevue

Invité par la SACD, le Centre du Cinéma et de l'Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, au FIFF, Stefan Liberski présentait Kosaburo 45, un roman écrit par Nicole Roland. Il s'agissait de parrainer cinq livres susceptibles de devenir des films, de passer de l'écriture aux images cinématographiques. Cinq œuvres littéraires pouvant faire l'objet d'une adaptation audiovisuelle ou cinématographique. Coup de cœur de cinq professionnels du cinéma pour cinq écrivains singuliers : Yun-Sun Limet avec Les Candidats (parrainé par Isabelle Willems), Patrick Delperdange avec Chants des gorges (parrainé par Pierre Penneman), Si tu passes la rivière de Nicole Roland (parrainé par Dan Cukier) et Armel Jacobs avec Tu ne jugeras point (parrainé par André Buytaers). Parmi les lauréats, nous avons choisi d'interroger Stefan Liberski, le parrain de Nicole Roland. Son prochain film, bientôt en tournage, est une adaptation de Ni d'Eve ni d'Adam, un roman d'Amélie Nothomb qui se passe au Japon. Il était donc le complice idéal pour parler d'un roman qui se passe dans la zone Asie-Pacifique.

Cinergie : Dans tes films, il y a une touche d'humour qui met un léger voile sur le drame qui se déroule.
Stefan Liberski : Ça n'a pas toujours été le cas de tous mes films, mais il y a souvent une part d'humour. J'ai l'impression que tout passe mieux avec des feintes, et pas nécessairement avec de gros rires. Je trouve, par exemple, que Proust est très drôle.


C. : Le roman Ni d'Eve ni d'Adam (2007) d'Amélie Nothomb que tu viens d'adapter s'appellera au cinéma Tokyo fiancée. Il est drôle...
S. L. : Pour moi, c'est son roman le plus drôle. J'ai beaucoup ri en le lisant. Il y a un côté Lost in translation, le film de Sofia Coppola, sans pour autant les comparer. Il s'agit de la rencontre insolite entre l'Occident et l'Orient. Les Japonais n'ont pas le même humour que nous. Ils ne sont pas du tout corrosifs ni railleurs. Ce n'est pas de la caricature. Il s'agit plutôt d'une incompréhension qui suscite souvent une drôlerie inattendue. Le Japon reste encore le « tout autre », malgré le fait qu'il soit un pays technologiquement très avancé et proche de nous. Lorsqu'on parcourt le Japon, lorsqu'on y séjourne ou que l'on y passe, il y a toujours un moment où l'on ne comprend plus grand-chose de ce qui se passe. J'ai d'abord découvert le Japon pour Bunker Paradise, mon film précédent puisque j'y ai tourné une petite partie. À ce moment-là, c'était un pays que je ne connaissais pas bien. Mais le Japon était dans l'air du temps, on avait une référence de la culture japonaise en Europe, surtout, chez les enfants, avec les mangas. Mon fils était très attiré par ce pays alors que moi, je ne le connaissais que via les films d'Ozu ou de Mizoguchi. Dans Bunker Paradise, j'ai filmé ma propre découverte du Japon. Ensuite, j'y suis retourné plusieurs fois. Par ailleurs, je connais Amélie Nothomb qui y a séjourné pendant longtemps puisque son père était ambassadeur là-bas et qu'elle est née à Kobé. Un moment, dans ma vie, il y a donc eu l'univers singulier d'Amélie, qui est étrange et outrancier avec un ton que j'aime beaucoup, et avec une langue parfaite. Ni d'Eve ni d'Adam est une histoire d'amour de deux jeunes gens de culture différente qui se rencontrent. Cela m'intéressait beaucoup, et j'ai eu le désir de filmer cette histoire.

C. : Explique-nous comment l'adaptation de ton scénario à partir du roman Ni d'Eve ni d'Adam s'est faite.
S. L. : À l'origine du projet, Amélie s'est montrée tout de suite enthousiaste. D'emblée, elle m'a dit qu'elle ne voulait rien avoir à faire avec le scénario du film parce que ce n'était pas son métier. Je lui ai dit que je lui ferais lire le résultat de mon adaptation. Ce film qui n'est pas encore tourné, mais qui devrait l'être maintenant, a connu une grosse mésaventure. Il était en préparation lorsque a eu lieu l'accident nucléaire de Fukushima. Cet événement a fait tomber tout l'édifice fragile du montage financier. On a donc tout arrêté. Plus personne ne voulait aller près de ce cataclysme atomique. Cela a été douloureux pour tout le monde, y compris pour moi. Lorsque le projet a été remonté, je me suis rendu compte que je ne pouvais plus parler du Japon comme j'en parlais auparavant. On ne peut plus parler du Japon comme si Fukushima n'avait pas eu lieu. Donc, j'ai dû refaire, trahir encore une fois le roman d'Amélie Nothomb, en y réintégrant un événement dont on n'a pas fini de ressentir les conséquences. Nouvelle adaptation qu'Amélie a acceptée avec enthousiasme. Il y a eu des allers-retours incessants avec elle.

C. : Qu'est-ce que tu préfères dans la pratique du cinéma, le repérage des endroits où l'on va filmer, les jours de tournage, les semaines de montage?
S. L. : J'adore le tournage, le moment où le film se fait. Je ne ferais que cela, mais enchaîner les films est très difficile. Donc, entre les films, il faut bien faire quelque chose. J'ai écrit beaucoup de sketches pour Canal-plus Belgique (les SNULS), j'ai joué moi-même dedans, mais ce que je préfère, là où je me sens vraiment bien, c'est l'instant où l'on réalise des images.

C. : Tu as participé au tournage de La Cité des femmes, le film de Federico Fellini?
S. L. : Lors d'un festival, j'ai rencontré Liliana Betti, qui a été, pendant des années, son assistante. Je l'ai rencontrée lors d'une Mostra à Venise. On a sympathisé.
Elle m'a invité à venir sur le tournage de La città delle donne. Cela a été un moment-charnière dans ma vie. J'ai décidé de rester là-bas, de suivre le tournage, et de rester dans l'entourage de Fellini. Un monde dans lequel il n'y a pas de poste bien défini. C'était une sorte de ménagerie, si l'on ose la définir comme cela, qui circulait autour de lui. J'en ai fait partie.

C. : As-tu fait appel à un scénariste pour travailler Ni d'Eve ni d'Adam ?
S. L. : Non, je n'ai fait appel à aucun scénariste. J'ai été en discussion permanente avec mon producteur, Jacques-Henri Bronckart sur l'évolution du scénario. Pour moi, un bon producteur est quelqu'un qui a ce type de regard-là. Il n'a pas lu le roman, et s'est bien gardé de le lire. La lecture du roman influe sur la lecture d'une adaptation.


C. : Dans le débat, tu as parlé de changement de ton entre un roman et son adaptation. L'as-tu fait pour Tokyo fiancée?
S. L. : Non, parce que tous les éléments qui m'attiraient étaient réunis, y compris des passages très drôles que j'ai peut-être davantage mis en exergue. Mais il y avait cet équilibre entre la découverte et l'humour. Et puis surtout, c'est un roman assez érotique. Dans l'œuvre d'Amélie, c'est particulier. Lorsqu'elle a lu la première adaptation, elle s'est étonnée. Elle ne savait pas que ses personnages étaient nus aussi souvent dans ce roman, qu'il y avait cet univers flottant que sont les bains publics. L'écrit est différent de l'image que l'on voit. Ce n'est pas une métaphore éthérée, c'est plus cru. Elle était étonnée, mais en même temps, elle reconnaissait qu'elle était cette jeune femme qui découvre l'amour physique.

C. : Pourquoi veut-on adapter un roman ? Uniquement pour lui donner un public supplémentaire?
S. L. : C'est une rencontre qui devient vecteur. Parfois, on se dit que c'est une facilité, parce que comme cela existe déjà par écrit, il y a un début et une fin possibles. Et puis, on se rend compte qu'il faut énormément travailler pour l'adapter au cinéma. On est souvent à la recherche - j'en parle souvent avec Bouli Lanners - d'un roman susceptible d'être adapté. Je viens de lire un roman dont je suis persuadé que cela ferait un film extraordinaire. Les gens d'images ont souvent cette perspective-là par rapport à certains romans qui ne sont pas seulement que de beaux textes. Cette grille écrit-image reste constante dans ce métier.

C. : Quelqu'un a dit : « Un message codé est une note de musique »...
S. L. : Oui, la musique signifie beaucoup, et à la fois rien. Elle est essentielle dans les films. J'y attache beaucoup d'importance. Elle peut tellement changer une émotion, l'approfondir où la complexifier, être un contrepoint à l'action. C'est un élément essentiel qui représente cinquante pour cent du film. Surtout si elle est inattendue, ce qui est tout à l'opposé de films américains comme Harry Potter. Là,il y a un son musical sur l'ensemble du film : c'est horripilant.

C. : Est-ce qu'il y a une musicalité dans ta lecture d'un roman que tu penses susceptible d'être adapté?
S. L. : Ah tiens... très intéressante question.. dans la lecture, je ne crois pas. C'est plutôt un désir d'images que de sons. Mais à l'inverse, certaines musiques me donnent des envies d'images. Lorsqu'un livre me remue, lors de la lecture, j'envisage des images qui n'ont pas encore été réalisées... un film que les autres n'ont pas fait. Je suis incapable de lire ou travailler en écoutant de la musique. C'est trop fort. Je n'arrive pas bien à vivre avec cette commodité, lorsqu'on reçoit des amis, de disposer d'un fond sonore. Est-ce qu'on a peur du silence ? Je ne sais pas, mais cela me dérange. Soit, j'écoute la conversation, soit la musique.

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