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Ex-voto de Caroline D’hondt

Publié le 09/12/2010 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

Peintre de miracles

Après Correspondances, un premier documentaire qui partait à la rencontre des passagers du métro de Bruxelles et de Mexico, Caroline D’hondt retourne au Mexique pour un voyage entre terre et ciel. Avec Ex-voto, elle esquisse le portrait d’un pays à travers les yeux du peintre Alfredo Vilchis Roque donnant formes et couleurs aux miracles quotidiens.

Ex-voto de Caroline D’hondt

Le Mexique, malgré une stricte séparation entre l’église et l’état, reste profondément catholique. Ce catholicisme, qui a pactisé avec les croyances indiennes, forme aujourd’hui une religion particulière, entre christianisme et paganisme. Dans des églises de village, des saints indiens vêtus comme les membres de la communauté locale côtoient leurs homologues habillés à l'européenne, les seconds étant presque ignorés des habitants. Derrière le saint, respire donc encore le dieu païen. Sans doute n'a-t-on jamais assez de dieux avec soi… D’ailleurs la vie des hommes et des dieux, là-bas, n’est pas aussi séparée que l’on pourrait le croire.


Alfredo Vilchis Roque est un retablero, un peintre d’ex-voto. Son carnet de croquis à la main, il marche dans une immense décharge publique à ciel ouvert. Nombreux sont là pour récolter les quelques bouteilles de verre ou de plastique qu’ils pourront aller revendre au kilo pour quelques pesos. Une vieille femme, burinée et desséchée par le soleil, lui raconte comment, grâce à la Vierge, elle a échappé de peu au camion prêt à l’ensevelir sous les déchets. La scène sera dépeinte, avec force détails, par Alfredo sur une petite plaque de métal, un Ex-voto.

Le terme latin « ex-voto » signifie « suivant le vœu ». Il est, par définition, la matérialisation d'un remerciement en conséquence d'une action de grâce obtenue. Celui qui le commande au peintre, exprime sa reconnaissance dévote à la divinité qui serait intervenue directement et avec bienveillance pour l'épargner, lui, ou ses proches, d'une mort certaine ; ou bien qui l'aurait soulagé de façon miraculeuse. L'ex-voto représentant la scène est ensuite placé à l’église ou sur un autel à l’intérieur du foyer.

Mi-peintre, mi-chroniqueur, Alfredo Vilchis Roque récolte ici et là les histoires, et c’est tout un pays que nous voyons se dessiner peu à peu. En suivant le peintre, Caroline D’hondt part à la rencontre des exclus, les récolteurs de déchets, les Mexicains chassés des Etats-Unis, les putains, car Alfredo Vilchis Roque est avant tout un peintre contemporain, un écrivain public des désastres actuels, et son monde, lui, n’exclut personne. Loin de vouloir poser des jugements, s’éloignant par-là de ce que la religion préconise, tous, sous son pinceau, ont le droit d’exprimer leur reconnaissance. Amoureux, paysans, exilés, adultères, femmes battues, ivrognes, ils remercient Dieu, la Vierge, Saint Juan Diego et surtout la Vierge de Guadalupe, protectrice du Mexique. En véritable humaniste, le peintre sait ce qu’écouter signifie, et la parole déjà est une libération offerte à ceux qui, en principe, n’ont jamais droit au chapitre.

Observatrice discrète de ce monde où profane et divin tout à coup se rencontrent, la réalisatrice ne cède ni au didactisme, ni aux préjugés. Avec respect et humilité, prenant le temps qu’il faut, elle se fait, à l’image de son personnage, la recenseuse, la glaneuse de la parole, avançant d’entretiens en entretiens, choisis pour leur force narrative et leur puissance évocatrice.

Ainsi, Ex-voto se tient tout entier dans la chronique des bonheurs et malheurs des petites gens, à l’écoute d’une parole archaïque, celle qui se chuchote et se pleure et vient se déposer dans l’espérance d’un monde meilleur, hors du monde.

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