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Guy Gilles , un cinéaste au fil du temps

Publié le 11/12/2014 par Serge Meurant / Catégorie: Livre & Publication

Ce très beau livre est l’aboutissement du travail passionné de quelques admirateurs de Guy Gilles (collaborateurs, critiques, programmateurs) pour sortir l’œuvre du cinéaste de l’oubli dans lequel elle était tombée. Il réunit des textes divers (essais, entretiens, journal de tournage, textes de Guy Gilles lui-même), et une très riche iconographie constituée de photogrammes, de photos de tournage, de magnifiques photographies.

Publication : Guy Gilles , un cinéaste au fil du tempsContemporain de Philippe Garrel et de Jean Eustache, Guy Gilles (né à Alger en 1938) met en scène des adolescents blessés, incapables de grandir et de s’adapter à la société. Son œuvre cinématographique est empreinte de romantisme, d’un sentimentalisme assumé. Elle est hantée par des images du passé (celles de son enfance heureuse en Algérie), par la déception d’espoirs trahis d’une vie nouvelle. Dès ses débuts, le cinéaste s’est trouvé pris entre deux feux contradictoires : son amour pour le cinéma français des années 1940 et son désir de participer à l’aventure radicale des cinéastes des Cahiers. Il rêvait d’un cinéma qui réconcilierait l’un et l’autre, à travers les acteurs et les actrices de ses films. Il demeura à l’écart, et le caractère inclassable de son œuvre explique en partie l’oubli qui le frappa.
L’univers de Guy Gilles est celui d’une homosexualité, suggérée souvent, secrètement cultivée, à travers la beauté des visages et des corps adolescents. Patrick Jouané apparaît, tout au long de l’œuvre, comme un double du cinéaste. « Je n’étais pas acteur, dit-il dans un entretien, mais interprète. J’interprétais une sensibilité qui était celle de Guy… et la mienne… J’étais son modèle. Là où il pouvait poser des mots et des images. Et puis, ce qui m’intéressait, c’était l’expérience humaine. »

L’amour à la mer (1964), Au pan coupé (1967), Le clair de terre (1970) et Absences répétées (1972) sont le sommet de cette œuvre qui, sans cesse, approfondit les mêmes thèmes, en répète les mouvements, de façon de plus en plus dramatique, où le jeu des séductions mène à la mort et au suicide.

Le choix des actrices des films de Guy Gilles, Edwige Feuillère, Jeanne Moreau, Delphine Seyrig, répond à cette sensibilité homosexuelle dont témoigne Patrick Jouané. Elles ont la quarantaine, elles ont déjà vécu, ce sont des femmes faites à côté de garçons esquissés. C’est par son écriture cinématographique singulière et neuve que l’œuvre nous interpelle. Elle s’affirme, au montage, par une succession de plans fixes, très courts et serrés, d’une beauté fulgurante, qui confère aux films une grande puissance poétique. Cette scène mentale se traduit aussi par des décadrages, de faux raccords qui expriment, avec une extrême justesse, la fermeture au monde, l’impossible partage de l’espace, qu’il soit intime ou social. Cette blessure originelle échappe à toute parole littéraire, convenue.

L’écriture de Guy Gilles privilégie le détail à l’ensemble, le morcellement à la saisie globale d’un plan. Démarche comparable à celle de Marcel Proust auquel le cinéaste consacra un magnifique documentaire :Proust, l’art et la douleur, 1971.

Il y a aussi cette sûreté de l’œil, la beauté du cadre, l’harmonie des couleurs et des lignes, partout présentes, souveraines.

Il faut saluer le magnifique travail effectué par l’éditeur sur les photogrammes des films de Guy Gilles pour en restituer les récits, les portraits, les modèles et les objets. Il permet d’entrer par le biais du livre dans l’univers du cinéaste, d’en tracer les lignes de force, de se convaincre de sa beauté et de son actualité.


Guy Gilles , un cinéaste au fil du temps.Sous la direction de Gaël Lépingle et Marcos Uzal.
Ed. Yellow Now/ Côté cinéma. 2014, 247 pages.