Un monde de douleur et de peine alors même que les cerisiers sont en fleur.
Issa
Un monde de douleur et de peine alors même que les cerisiers sont en fleur.
Issa
C’est à la naissance de son fils qu’Aya Tanaka décida de retourner au Japon pour rendre visite à son père et à sa grand-mère. En s’expatriant, elle craignait d’être devenue une étrangère. Elle désirait surtout revenir aux sources de sa famille et mieux comprendre la vie de son père, pendant le long temps d’absence qui les avait séparés. Elle voulait se rendre avec lui à Harimano, ce petit hameau caché au fond des montagnes, revoir le lieu de sa naissance et comprendre les raisons qui l’avaient exilé à Tokyo à cause de ses engagements pacifistes et syndicalistes.
Aya Tanaka se souvient de ce lieu avec émotion. Son père l’y amenait chaque année en vacances chez ses grands-parents. Ceux-ci menaient une vie ancestrale, comme dans un vieux conte. Quand elle apprit qu’ils allaient quitter Harimano, elle craignit que cet endroit ne disparaisse et qu’elle ne puisse jamais plus y revenir. Mais quelques années encore s’écoulèrent avant qu’elle ne fasse le voyage avec son père.
Le film dévoile, peu à peu et de manière passionnante, l’histoire de celui-ci où s’éclairent mutuellement les mondes du Japon traditionnel et contemporain. Autrefois, dans les villages, le fils aîné héritait de tout et s’occupait de la maison. Le fils cadet partait s’il le pouvait ou héritait d’une petite parcelle de terrain. Ce fut le cas du père d’Aya qui devint instituteur après des études de sciences naturelles. Son frère aîné s’occupa de la maison jusqu’à sa mort à 56 ans. Après son décès, leur mère descendit dans la vallée, abandonnant tout ce qui ne lui était pas indispensable pour survivre. Elle ne monta plus à Harimano avec la ferme décision de n’y revenir qu’à sa mort. La rencontre avec sa grand-mère fut une épreuve pour Aya. Lorsqu’elle lui présenta son fils, celle-ci ne le prit pas dans ses bras et la cinéaste en conçut du chagrin, se sentit rejetée par celle qui l’avait aimée. Plus tard, dans la pièce vide d’Harimano où se trouvait naguère l’autel des ancêtres, son père l’empêche de filmer. Il ne faut pas filmer un cocon vide, dit-il. Ce serait trahir ta grand-mère. Il n’y a plus de dieux ici. Et Aya lui obéit. Ce rapport étroit entre le père et sa fille est émouvant, tendu parfois. C’est un face-à-face, un moment de vérité, souvent. La cinéaste se souvient qu’enfant déjà, elle cachait à ses camarades de classe que son père était communiste. Plus tard, elle participa avec ses parents à des manifestations contre la guerre au Vietnam. Son père incarnait pour elle le pacifisme d’après-guerre et le refus des enseignants que l’école forme de futurs soldats. En 2004, 180 enseignants de Tokyo furent punis pour avoir refusé de chanter l’hymne national. Ils protestaient contre l’envoi de soldats en Irak. Selon l’article 9 de la constitution, le Japon avait en effet renoncé à posséder une armée et à livrer la guerre. À deux ans de la retraite, le père d’Aya n’a rien perdu de ses convictions et participe activement aux réunions syndicalistes, demeure combatif. Mais on le sent fatigué, en colère. On le retrouvera plusieurs années plus tard, en 2012, dans le film très émouvant de la cinéaste Eau douce, eau salée consacré à son frère.
Le cinéma d’Aya Tanaka est fait d’audace, de sincérité et de vérité. C’est un engagement absolu.