Hubert Toint, Trombone en coulisses
Cinergie : Trombone en coulisses était sélectionné à Cannes en 1989 par la semaine de la critique. Le film est doté d’un humour Kafkaien, c’était voulu au départ ?
Hubert Toint : Oui, évidement. Humour Kafkaien, je dirais même absurde. J’ai voulu pousser l’absurde dans ses retranchements. On est parti d’une situation absurde, inspirée de la réalité que nous connaissions, que nous connaissons toujours.
C : Est-ce que si je te dis que le format de la photo des 10 trombonistes et celle des 15, c’est une métaphore du cinéma, tu es d’accord ?
H. T. : Oui, je suis d’accord avec toutes les interprétations que chacun en fera. Ça peut être une métaphore du fait qu’il n’y a pas de la place pour tout le monde. Je me suis retrouvé au Festival de Cannes, et on est sur une sorte de photo, de papier photographique qui est limité. Il n’y a pas de place pour tout le monde. Ceux qui sont hors de la photo, veulent, bien entendu, être sur la photo. Et parfois, certains sont même prêts à tout faire pour ça.
C : C’est en cela que le film est actuel puisque que tout le monde veut être sur la photo, soit sur l’écran télé soit sur un magazine, soit sur Internet.
H. T. : Oui, je suis d’accord avec toutes ses interprétations-là. Et puis toutes celles qui pourraient naître dans l’esprit et l’imagination des spectateurs.
C : Le numéro 13 décide d’être absolument inclus dans la photo. Pour ça, il fait du chantage auprès du conseiller. Et d’autre part, il assassine, et ça c’est un trait d’humour, avec un trombone le 9ème trombone.
H. T. : Oui, qui s’apercevant de cela, avoue que lui, en a déjà tué deux pour être là où il est. Et qu’il est prêt à en assassiner un troisième pour sauver sa vie mais c’est un peu tard...
C : Il y a aussi un rappel à l’ordre qui est constamment fait par l’instituteur vis-à-vis d’un jeune étudiant qui a l’air de contester que la photo des 10 trombonistes soit aussi évidente qu’une loi physique.
H. T. : Je crois que ça amène plusieurs réflexions. D’abord que toutes règles trop strictes conduisent forcément à l’envie, voire la nécessité, de les détourner. On constate aussi, et surtout, que c’est ceux qui sont au pouvoir qui magouille. Ces magouilles sont très familières à l’exercice et à l’obtention de ce pouvoir. L’ordre est important dans les sociétés où il faut faire croire aux gens qu’il y a un paradis. Être sur la photo, c’est le paradis. C’est l’élite qui s'y trouve, et il faire croire ça à ceux qui n'y sont pas pour les maintenir dans l’état dans lequel ils se trouvent : l'état de désir d’être sur la photo, d'oublier tout le reste. Sinon ça ne marche pas.
C : Et là, il y a une façon de le détourner qui est assez habile. Il y a aussi une chose qui n’est pas soulignée mais suggérée. Le groupe de tromboniste ne joue pas. Il est là dans une représentation symbolique de pouvoir.
H. T. : Je te remercie de dire que les choses ne sont pas trop soulignées mais évoquées. C’est évidemment un peu l’objectif. On a pas envie de souligner au marqueur de couleur tout ce qu’on dit, tout ce qu’on exprime. Je pense que c’est un peu le propre d’une œuvre d’art. Je pense qu’un film est aussi une œuvre d’art. Oui, bien sûr le symbolique a beaucoup d’importance, et puis ça fait partie de l’absurde.
C : Après Trombone en coulisses, on est un peu surpris que tu aies abandonné la réalisation pour te consacrer à la production. Tu comptes y revenir ?
H. T. : Je n’ai jamais abandonné la réalisation dans ma tête. Et je poursuis depuis toujours un chemin qui m’est propre et qui est passé par des années de production. J’y ai trouvé beaucoup de satisfactions et une façon de démultiplier mes envies. Je me souviens avoir répondu à tes questions en 89 au pied des marches, à Cannes. Tu me disais, pourquoi se lancer dans la production ? Et je te répondais, à cette époque, dans un article paru dans Cinergie, parce que c’est une manière pour moi de réaliser les choses que j’ai envie de voir se réaliser. Donc, j’ai quelque part continué la même ligne. Sauf que maintenant, je me dis qu’il est temps de revenir à la réalisation. C’est quelque chose que je n’ai jamais perdu de vue, jamais vraiment abandonné. Je souhaite passer à une vitesse supérieure, au long métrage.
C : Est-ce que tu peux nous parler de ton projet ?
H. T. : C’est un long métrage, comme je l’ai dit. C’est l’adaptation d’un roman de Jacqueline Harpman qui s’appelle Le Bonheur dans le crime. On travaille depuis des années sur le scénario. Mais il est quasiment prêt maintenant. On pourra bientôt passer au financement.
C : De quelle manière as tu travaillé pour le scénario ?
H. T. : Je n’ai pas travaillé avec Jacqueline Harpman. Je l’ai rencontrée une fois pour lui dire que je souhaitais adapter son roman. Elle a été surprise et amusée en disant qui peut s’intéresser à ce roman. Je pense que c’était surtout de l’humour chez elle, et de la pudeur. Elle m’a donné son accord. On a commencé à travailler avec Isabelle Willems. Je n'écris pas le scénario, je ne me sens pas le talent de tout faire moi-même, j’aime bien travailler avec des scénaristes. J’ai travaillé pendant pas mal de temps avec Isabelle qui a fait un travail formidable parce que l’écriture d’Harpman est très belle, c’est un véritable écrivain. Du coup, on lit et on se laisse emporter sans se rendre compte des problèmes de structures notamment qui sont, eux, incontournables quand on adapte au cinéma. On a beaucoup travaillé pour trouver une structure qui fonctionne au cinéma. À un moment donné, je suis parti avec ce scénario en France où il est apparu qu'il y avait encore trop d’éléments qui restaient incompréhensibles au niveau international. Avec l’accord d’Isabelle, j’ai décidé de retravailler avec un autre scénariste. Isabelle avait le sentiment d’être arrivée au bout de ce qu’elle pouvait faire. Finalement, après quelques tâtonnements, j'ai rencontré un scénariste avec qui je me suis formidablement bien entendu, Alexis Galmot, un des scénaristes de Cédric Klapisch. Il avait fait notamment le film avec Marie Gillain, un type vraiment talentueux. On a encore refait 2 à 3 versions ensemble.