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Illégal d’Olivier Masset-Depasse

Publié le 25/10/2010 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

L’innocence enfermée

Après avoir remporté un prix amplement mérité à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, le dernier film d’Olivier Masset-Depasse, Illégal, tente sa chance dans son pays d’origine, au Festival du Film Francophone de Namur. Le coup de poing magistral du réalisateur belge risque bien de secouer les consciences endormies et un système politique qui a perdu de vue la signification du mot « humain ».

Illégal d’Olivier Masset-Depasse

Après un premier long métrage poignant sur un amour tumultueux et tourmenté (Cages), rien ne laissait présager qu’Olivier Masset-Depasse prendrait le chemin qu’il emprunte aujourd’hui. Une surprise donc, et quelle surprise. Si c’est le nom des frères Dardenne qui, jusqu’à présent, incarnait pour le monde un cinéma belge social et engagé, il faudra désormais compter sur celui de Masset-Depasse. Oser un film sur une femme Russe sans-papiers interprétée par son épouse francophone Anne Coesens, voilà qui, sur le papier, semblait relever de l’exploit, mais qui, sur la pellicule, force le respect.

Anne Coesens dépasse ici le cadre de la performance pour se livrer toute entière, entre détermination et vulnérabilité. Intensément habitée par ce personnage de mère privée de tous ses droits (Tania), la comédienne porte le film bras tendus et mains ouvertes.
Tania est née en Russie. Elle se voit refuser son titre de séjour en Belgique par une lettre froide et sans appel. Armée d’une bouteille de Vodka et d’un fer à repasser, la jeune femme décide tout net d’entrer dans le monde de l’illégalité en brûlant ses empreintes digitales, première scène choc qui nous fait pénétrer de plain-pied dans l’impossibilité d’un retour en arrière. Quelle douleur a t-on laissé là-bas pour s’infliger un tel supplice ici ? Une question à laquelle le réalisateur ne répond jamais directement et choisi de laisser les faits parler d'eux-mêmes. Huit ans plus tard, le jour de l’anniversaire de son fils Ivan, Tania est contrôlée dans la rue. Alors que son fils parvient à s’échapper, elle est emmenée manu militari dans un centre de rétention. C’est pour elle l’enfer d’un système insensé qui commence. Enfermée, ballottée, interrogée, Tania ne s’appartient plus, mais appartient aux rouages d’une autorité toute-puissante.

Littéral, frontal, Illégal ne fait pas dans la démonstration, mais impose une réalité crue et sans détour. En imposant des personnages forts et éminemment romanesques, le film s’éloigne du documentaire aux allures de fiction, pour devenir une véritable fiction documentée. Il y a Tania bien sûr, colonne vertébrale de ce grand corps narratif et émotionnel, mais aussi tout autour d’elle, d’immenses figures féminines qui donnent au film une puissance dramatique quasiment poétique. Aïssa (Essé Lawson), l’Africaine tabassée qui relèvera fièrement la tête jusqu’à son dernier souffle ; Lieve (Christelle Cornil), la gardienne du centre, agent d’un système qui lui échappe, comme lui échappe en même temps les véritables mobiles de ses détenues. Les questions qu’elle pose ne sont-elles pas celles que tout citoyen pourrait se poser ?

Olivier Masset-Depasse décortique, avec justesse et acuité, la structure carcérale, la violence, l’injustice d’un système sans jamais tomber dans le pathos larmoyant ou la complaisance, en se consacrant tout entier à l’humain.

En choisissant de s'enfermer entre les quatre murs d'une prison (lieu quasi unique du film), en filmant au plus près, en restant attentifs aux plus infimes détails, le cinéaste réussit à s’emparer de la moindre respiration, de la moindre émotion. Mais cette mise en scène volontairement étouffée et étouffante est contrebalancée par une dynamique qui, à chaque instant, nous prend et nous surprend par ses belles échappées. Et même si le désespoir se fait tactile, si la violence injustifiée nous empoigne, il émane d’Illégal une douceur et une pulsion de vie que la caméra parvient à traduire par la proximité et l’intimité qui lient le cinéaste à des personnages bouleversants.

Si Illégal est un film politique, il n’est pas pour autant un film à thèse qui voudrait imposer un discours pragmatique. Si Illégal est profondément politique, c’est parce qu’il interroge l’identité, et ce que signifie être humain. C'est par la puissance du cinéma qu’il trouve la vérité de son rapport nécessaire au politique. 

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