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Je suis à toi de David Lambert

Publié le 15/12/2014 par Fred Arends / Catégorie: Critique

Le Droit du plus fort ?

Après le remarqué Hors les murs en 2012, David Lambert propose, pour son second long métrage, une nouvelle histoire contrariée et passionnée entre deux hommes qui vont s'opposer sur le terrain des émotions et du corps pour une œuvre au final assez noire sur les relations de désir et de pouvoir.

 

Buenos Aires - Hermalle

Lucas, jeune Argentin de Buenos Aires, offre ses services sexuels sur Internet. Suite à l'invitation de Henry, boulanger belge, il se retrouve à Hermalle, village triste de la région liégeoise. D'emblée, Lambert travaille sur les oppositions de ses deux personnages principaux : au corps mince, jeune et sec de Lucas répond celui vieux et gros de Henry. Très vite, ils vont s'affronter sur le contrat qui devait être le leur. En échange d'un toit, Henry fait de Lucas son apprenti en désirant surtout en faire son amant. Dans la lignée de Fassbinder qui décrivait souvent les rapports amoureux sous l'angle de de la domination et de rapports de classe et établissant l'amour comme un échange économique (Le Droit du plus fort), Lambert réussit à maintenir une tension constante entre ces deux hommes que tout oppose et qu'il refuse, intelligemment, de départager dans la volonté de chacun de prendre à l'autre (son corps, son argent). C'est dans la peinture de ce rapport fort, souvent violent, que le film est le plus abouti, soutenu par deux comédiens peu connus, mais néanmoins excellents dans des rôles risqués, notamment par la mise en scène de leur corps, et pas toujours aimables. Si Nahuel Pérez Biscayart, révélé par le très beau Glu, est parfait en anti-héros séducteur et ambigu, l'interprétation de Jean-Michel Balthazar, comédien habitué des Dardenne, est absolument remarquable. Sensible, drôle et effrayant, il compose un Henry complexe et étonnant. Les scènes dans l'atelier de boulangerie où le sexe côtoie la comédie musicale sont de petits bijoux de finesse.

Enfin !

Je suis à toi de David Lambert

Si l'on peut se sentir déçu par le développement narratif, le personnage féminin est particulièrement faible, Monia Chokri, vue chez Xavier Dolan, ne semblant pas trop à sa place, et sa relation avec Lucas peu enthousiaste, Lambert a le très grand mérite d'aborder de front la représentation de la sexualité. Dans un cinéma belge aujourd'hui plutôt prude de ce côté-là, voire carrément pudibond, il fallait de l'audace pour imposer cette vision-là, ces plans-là (sexe en érection, fellation, sperme). Alors que le cinéma français, par exemple, a depuis longtemps produit des œuvres où la sexualité est la matière même du film (Romance X, Intimacy, etc.), le cinéma belge-, excepté évidemment certains films produits hors système de subvention habituel-, semble avoir toujours peur de ce qu'une représentation directe du sexe pourrait lui faire comme tort. Et ce, d'autant plus en ce qui concerne les relations homosexuelles, encore peu présentes dans le paysage.
David Lambert entrouvre une porte, soutenu par Frakas qui a produit le film. Et sans doute aurait-il pu aller plus loin sans que cela ne déforce le propos au cœur duquel le corps tient une place primordiale. Il ne faudrait cependant pas réduire Je Suis à toi à un film d'auteur avec quelques plans dits « pornos », car le cinéaste offre avant tout une vision des relations humaines, où s'entrechoquent tristesse, humour et pessimisme.

Habitué du Pink Screens Queer Film Festival qui commence le 5 novembre et où il avait déjà présenté Hors les murs, David Lambert viendra y présenter Je suis à toi. Au cœur de ce festival exceptionnel dédié notamment aux sexualités et genres différents, il recevra, on l'espère, un éclairage débarrassé de tout complexe, et de tout tabou.

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