Bien qu’il soit sorti sur nos écrans le mois dernier, Cinergie ne voulait pas passer sous silence le magnifique Je vais bien, ne t’en fais pas du français Philippe Lioret, en bonne partie post-produit en Belgique. Déjà couronné de plus de 800.000 entrées en France, où il est sorti en septembre, ce drame du réalisateur de L’Equipier, avec Emilie Dequenne, est à ne pas manquer.
Je vais bien, ne t’en fais pas
À peine débarquée d’un voyage en Espagne, Lili, incarnée par Mélanie Laurent (la révélation d’Embrassez qui vous voudrez), apprend que son frère jumeau, Loïc, a quitté la maison, suite à une énième dispute avec leur père. Le mutisme des parents, et, surtout, le silence obstiné de Loïc à son égard, sème le doute dans l’esprit de la jeune fille. Un doute qui va la ronger, au propre comme au figuré.
Philippe Lioret va filmer cette descente aux enfers puis la renaissance brinquebalante avec beaucoup d’émotion et sans le pathos où s’enfonce souvent le cinéma français lorsqu’il s’agit de deuil et/ou de maladie (qu’on pense à la lourdeur des Corps Impatients). Sa mise en scène est aérée, presque aérienne, et toujours dans le prolongement du mouvement des personnages. Elle jouit, en outre, d’une très belle photographie de notre compatriote Sascha Wiernik, dont c’est le premier long métrage.Les interprètes sont au diapason, leur sincérité fait mouche, tout comme la simplicité de leurs dialogues. Lioret déclare à ce propos vouloir éviter tout psychologisme, car il y a, dit-il, autant de psychologie que d’individus et donc pas de psychologie du tout.
Il faut particulièrement citer Kad Mérad, du duo comique Kad et Olivier, qui efface le doute sur ses capacités d’acteur dramatique laissé par sa prestation en demi-teinte dans Les Choristes ; et Aïssa Maïga, que l’on ne cesse de croiser dans des seconds rôles remarqués (L’Un reste, l’autre part ; Les Poupées russes ; Paris, je t’aime) et qui va bien finir par exploser. Mais surtout, il y a bien sûr Mélanie Laurent, dont Lioret a su révéler le magnétisme. Si l’on suit Lili dans ses obstinations, ses lubies, ses erreurs et ses causes désespérées sans éprouver aucune sensation de trop-plein ou de gêne, c’est grâce à elle. Le film est souvent sur le fil. Comme dans la réalité - mais le cocktail est plus délicat au cinéma - le rire n’est jamais très loin des larmes, ni la violence de la passivité.
Lioret ose le mélange dans la fluidité. Après le microcosme du phare dans L’Equipier ou de l’aéroport de Roissy dans Tombés du Ciel, il utilise les banlieues pavillonnaires et sans caractère de Paris, ainsi que la plage bretonne, comme des toiles dont la neutralité offre toute licence aux personnages, de telle sorte qu’on ne marche jamais avant eux.
Il multiplie aussi les espaces « bulles », prolongement du ventre de la mère où l’on dit que naît le lien indéfectible qui peut unir des jumeaux. Il y a cette tente canadienne étroite et humide où Lili reprend goût aux plaisirs charnels, la voiture du père où sont possibles les confidences, le studio d’enregistrement où un ami fait écouter à Lili la chanson que Loïc lui a enregistrée avant de disparaître… A chaque fois, un duo, figure centrale du film, y joue son existence, suspendue à l’avenir de celui qui brille par son absence, le duo Lili-Loïc.
Philippe Lioret, qui refuse l’autobiographie auteuriste, nous offre ce film et son infinie tristesse comme un cadeau de Noël (allez, c’est presque la période !) qui réchauffe le cœur.