Retour sur l’histoire. Juin 2011, le MoMA acquiert 223 œuvres de la collection du couple belge Herman et Nicole Daled, une collection d’œuvres conceptuelles européennes et américaines réalisées entre 1966 et 1978. "La collection Daled est une des acquisitions les plus importantes de l’histoire du musée », explique le directeur de la prestigieuse institution New Yorkaise. La Belgique n’en a pas voulue, une maladie nationale typique et bien connue, le fameux syndrome « si-c’est-belge-ce-n’est-donc-pas-intéressant ». Le jeune cinéaste Joachim Olander visiblement immunisé s’est, lui, intéressé de près à cette collection ou bien plutôt au collectionneur atypique qu’est Herman Daled et signe La Collection qui n’existait pas, un documentaire qui se veut à la fois le portrait d’un homme et l’histoire d’un courant artistique mal connu et souvent mal jugé.
La Collection qui n’existait pas de Joachim Olander
Dans une confortable maison Bruxelloise, rue Esseghem, Magritte et ses amis jouent, le dimanche, à trouver des noms aux tableaux terminés. Le titre, bien souvent a un rapport plus qu’éloigné avec ce qu’il représente… ce qui, en quelque sorte, en modifie le processus de création, transforme les formes et crée, si l’on peut dire, une œuvre « nouvelle ». Pas l’ombre d’un amoureux dans te tableau intitulé La perspective amoureuse…
De même, après avoir suivi une heure durant le « collectionneur » belge Herman Daled, le cinéaste Joachim Olander demande directement à l’artiste français Daniel Buren de donner un titre à son film… La collection qui n’existait pas. Bien joué ! Car le rapport complexe entre l’idée et la chose est bien ce qui a préoccupé, pendant près de 40 ans, le personnage principal de ce film, radiologue et collectionneur. Et ce film n’est peut-être pas l’histoire de cette collection comme on aurait pu le penser. Collectionneur, Daled n’aime pas ce mot, lui qui a accumulé, sans jamais les exposer, plus de 800 œuvres dites conceptuelles. Ce terme qu’il réfute renvoie en effet le plus souvent à une idée d’investissement, de spéculation, ce que Daled a, semble t-il, toujours ignoré. Ce qui l’anime est bien différent : il souhaite participer à une idée, soutenir financièrement ceux qui remettent l’ordre en question, en un mot sa collection n’est rien d’autre qu’un acte politique, un geste contestataire. Daled n’a d’ailleurs pas la sensation d’avoir fait cette collection, cette collection s’est construite d’elle même, de fil en aiguille, guidée par le lien d’amitié qui l’a, durant des années, attaché à Marcel Broodthaers. « Chez Daled, on peut boire, on peut manger, on peut fumer et en plus, il achète. » Justement que pouvait-il bien acheter ? Il se passionne d’abord et avant tout pour les pièces aux matériaux insolites (coquilles d'œufs, briques, moules...) de Marcel Brodthaers et prend un chemin de plus en plus abstrait, parfois une simple idée, une conversation avec un artiste (Ian Wilson considérant la conversation comme une sculpture), une phrase tapée à la machine (les statements de Lawrence Wiener)…
Complexe et insaisissable, Joachim Olander tente de suivre ce personnage (de dos, lorsqu’il se déplace), l’interroge, essaie de le saisir seul, en interaction (avec Charlier, Buren, ou encore, Nicole son ex femme) mais toujours Daled échappe… à moins que le cinéaste ait décidé de le laisser volontairement échapper. Les chapitres s’enchaînent, nous le suivons à Venise, à New York, les rencontres non fortuites (notamment avec Chris Dercon, directeur de la Tate Modern) produisent des moments délicieusement surréalistes, et Daled, au fond, semble comme sa collection, immatériel, vaporeux.
C’est avec l’exposition Live in Your Head, connue sous le nom de When attitudes become forms en 1969, l’une des plus importantes expositions de l’histoire de l’art que Daled éprouve un véritable choc. Cet événement orchestré par Harald Szeemann et qui scandalisa la majeure partie du grand public, osait un art résolument nouveau où souvent, le processus, l’improvisation, l’emportaient amplement sur la finition. De quoi séduire Daled qui comprend alors que tout peut être considéré comme de l’art pourvu que le geste soit investi d’une pensée. Collectionner des choses qui remettent en question les choses elles-mêmes posent dès lors un tas de questions passionnantes.
Qu’est-ce qu’un objet artistique ? Qu’est-ce qu’un objet tout court ? Comment s’en débarrasser ? Autant de questions mises en avant par Daniel Buren dans une scène qui opère comme une rupture, une parenthèse et un renversement du film qui se joue ainsi comme un objet lui-même remis en question.