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La Dernière séance de Gaëtan Leboutte

Publié le 14/09/2011 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Entrevue

Ciné Ciney

Gaëtan Leboutte a été formé très jeune aux images. Comment ? Grâce à un cinéma de quartier, dans sa ville natale, Ciney. Qu'y a t-il appris ? À regarder des films dans une salle obscure, aux côtés d'autres personnes comme lui, traversées de fous rires, traversées par les larmes, et parfois même par l'ennui... Il a appris que les images communiquent des émotions qui transforment, et dont on peut parler, là, dans le petit foyer autour d'une soupe. Il a appris que le cinéma n'est pas une succession d'images construisant une histoire, mais un récit soumis au montage et au changement de plans... Bref, il a appris ce qu'est le cinéma, en a vu de toutes les couleurs et de toutes les époques.
Car le cinéma de quartier est avant tout un lieu incarné, et non un espace aseptisé où venir ingurgiter autant d'images que de chips au fromage. A lui seul, il révèle l’histoire d’une ville et de ses habitants, celle bien particulière d’un public venu dans ses murs de génération en génération pour se divertir, se rencontrer, flirter, rêver, oublier le monde du dehors et à la fois, mieux le connaître. 
Les cinémas de quartier sont comme les ibis nippons, en voie d'extinction... leur disparition n'est pas due au défrichement des forêts, mais à la barbarie spéculative.
Prochainement, l'Arenberg des galeries Saint-Hubert ne sera, lui aussi, qu'un joli souvenir : bye bye le rideau bleu, les colonnes et le café équitable. Bye-bye surtout Ecran Total, le sauveur estival des cinéphiles assignés à résidence. Que mettra t-on à sa place ? Un pôle cinéma, paraît-il... ça sonne plus branché... à moins qu'on ne le transforme finalement en centre fitness. La spéculation immobilière développe sa masse corporelle, les kinosapiens n'ont qu'à se rhabiller.

La Dernière séance de Gaëtan Leboutte

On a tous dans le cœur son cinéma de quartier. Pour moi, ce fut le Jean Vigo, pour d'autres, le Méliès, le Métropole, le Palace ou le Raimu, chacun le sien, chacun son lot de souvenirs...  À Ciney, le Caméo a accueilli, au vrai sens du terme, des milliers de spectateurs de tous âges pendant 82 ans. Le documentaire, La Dernière séance de Gaëtan Leboutte est le récit, en 52 minutes, de la phase terminale de ce lieu d'échange et de partage.
 
Cinergie : Peux-tu expliquer les prémices de ce documentaire, La dernière séance ?
Gaétan Leboutte : Je suis originaire de Ciney. Quand j'étais enfant, le cinéma Caméo organisait des séances scolaires chaque année. Il nous permettait de voir des films différents. Plus tard, j'ai continué à fréquenter ce cinéma, et puis j'ai un peu travaillé comme projectionniste. Lorsque j'ai appris que c'était la dernière saison, j'ai décidé de filmer.
 
C. : C'était pour garder une trace de ce vécu très fort ou bien pour essayer de donner conscience aux politiques de ce qu'ils allaient détruire ?
G. L. : Les deux. Je suis heureux d'avoir fait ce film. La salle n'existe plus, mais mon film est un témoignage de ce qu'il a été. J'ai envoyé des copies au cabinet du bourgmestre : je ne sais pas s’il a été vu. Aujourd'hui, le bâtiment n'est pas encore rasé, mais il est à l'abandon. On peut voir son état actuel dans les dernières images du film.
 
C. : Ces images sont d'une grande nostalgie...
G. L. : C'est vrai… Je crois que c'est quelque chose qui m'intéresse. Mon premier court métrage, Le magasin de souvenir était aussi dans la même veine... Le temps passe, plus rien ne sera comme avant.
 
C. : Cette nostalgie est palpable dans le film car elle porte sur des choses très concrètes.
G. L. : Oui, c'est vrai. Il y a des tas de toutes petites choses qui caractérisent ces lieux. L'odeur de la salle, le grincement du rideau, le foyer où on se retrouve pour parler du film, mais aussi de la vie. C'est un lieu de rencontres, chaleureux et humain. Je ne parle pas simplement du Caméo de Ciney, mais de tous les cinémas de quartier qui sont en train de disparaître, et à travers ça, de tous les commerces de proximité... Il n’y a pas si longtemps, on allait acheter ses légumes chez Yvette... maintenant on va au supermarché.
 
C. : Mais filmer un cinéma, c'est plus magique qu'une épicerie...

G. L :
Pour moi oui, c'est sûr. Mais ce qui compte avant tout, c'est l'aventure humaine. Ça dépend beaucoup des personnages, un documentaire. Avec La dernière séance, j'avais tout d'emblée, un lieu extraordinaire et des personnages magnifiques, Willy et Jacques. Un décor et des personnages forts, ça suffit presque pour faire un documentaire.
 
C. : Peux-tu nous parler un peu de Jacques et de Willy.
G. L :
Jacques est un passionné de cinéma. Il a longtemps été prof de français, un de ces profs comme on en rencontre parfois et que l'on n’oublie jamais... Il a fait la programmation au Caméo pendant 40 ans. C'est un orateur, un pédagogue. Il ne fait pas que montrer des films, il accompagne véritablement les gens. Du coup, ça crée une relation de confiance. Des gens comme lui sont des gens qui éveillent.

 
Willy, c'est le plus vieux projectionniste de Belgique (je crois...). Il est moins réservé, plus sanguin. Willy est un syndicaliste dans l'âme avec une très belle générosité.
Au départ, je pensais que le film allait se focaliser sur Jacques, mais finalement, ils sont devenus les deux personnages principaux. Il y a eu une complicité immédiate et très forte entre eux et moi.
 
C. : Et cette complicité rend le film très tendre. Il ne s'agit pas d'accuser.
G. L. :
Ce n'était pas le but. Je voulais vraiment montrer ce qu'était le Caméo, pas faire un film revendicateur. Je voulais me faire le témoin de ce qu'est un espace social, fondé sur le bénévolat, que les gens puissent se rendre compte de ça. Ce que je sais, c'est qu'au niveau politique, dans les petites villes comme Ciney, les décisions dépendent souvent d'une personne, par exemple un échevin qui, lui, est sensible au cinéma, ou à la culture en général. Dans ce cas, il met le dossier sur la table et de bonnes décisions sont prises. S'il n'y a pas quelqu'un comme ça, quelqu'un qui en comprend l'intérêt, c'est foutu. C'est ce qui se passe à Ciney. Aucun politique ne s'intéresse au cinéma, ils ne savent pas ce qu'était cet endroit, les gens, la soupe, les discussions... Ils n'y ont jamais mis les pieds... La commune a acheté le bâtiment qui était trop vétuste pour le raser. Il est question de construire un parking dans un premier temps, et une autre partie va peut-être être utilisée pour construire des bâtiments sociaux... Il n'y a pas de sensibilité là-dedans. Tout ce que j'espère, c'est qu'en voyant le film, ils soient touchés. C'est ce que j'ai cherché à faire.
 
C. : Le film a déjà été projeté ?
G. L. :
Deux fois oui, à Ciney. La première projection a eu lieu pour les gens du cinéma et elle a forcément bien marché puisque il s'agissait de leur histoire. La deuxième fois, toujours à Ciney, les gens avaient l'air sincèrement émus. Ils étaient touchés par l'aventure humaine, par la dignité des personnages.
 
C. : Une phrase qui résumerait ce qu'a été le Caméo ?
 
G. L. : Une phrase, c'est difficile... Plutôt trois mots : proximité, humanité, famille.
 
C. : Ton plus beau souvenir de spectateur ?
G. L. : Je ne sais pas si c'est un vrai souvenir de spectateur, mais c'est au moment où je travaillais au Caméo comme projectionniste. J'avais invité ma petite amie et je lui ai projeté un film, pour elle seule. C'était un moment particulier.
 
C. : Qu'est-ce que tu aimerais qu'on se dise en voyant ton film ?
G. L. :
Merde, c'était beau, et c'est plus là !

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