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La faveur des moineaux de Serge Mirzabekiantz

Publié le 15/01/2015 par Sarah Pialeprat / Catégorie: Critique

Après un court métrage sombre et obsédé sur la mort d’un enfant, One (2007), Serge Mirzabekiantz signe un deuxième court, La faveur des moineaux, un titre énigmatique pour un film qui ne l’est pas moins. Deux enfants. Une forêt mystérieuse. Un père en forme d’ogre mais pas l’ombre d’une fée dans ce conte cruel et hautement symbolique.


Sur les accords simples et beaux du Spiegel im spiegel d’Arvo Pärt, de grands arbres se balancent dans un jour qui commence ou est peut-être en train de finir… Là-bas, une demeure imposante se découpe dans le ciel, une fenêtre, un voilage et une chambre au luxe suranné… C’est bien le jour qui vient… Dans la chambre de granny, deux frères s’affrontent avec la violence et la cruauté de l’enfance, à coup de pieds et de poings. C’est que la tension est à son comble. Albert, 11 ans et Edgar, 13 ans se préparent pour l’inspection minutieuse de leur père, mains croisées dans le dos, au garde à vous, avant la traditionnelle chasse annuelle. Redingote et lavallières sont de mise. Cette année, comme l’année dernière, c’est le jeune Albert qui a le privilège d’utiliser le fusil de leur défunt grand-père. Un honneur ! Edgar fulmine.

Serge Mirzabekiantz suit, dans un cadre rigoureux, d’une beauté sombre et rigide les deux enfants dans la forêt et parvient à installer une tension insoutenable, une sourde menace. Chaque arbre, chaque brindille semble à sa place, comme prévenu d’un drame à venir. Aussi, dans cette nature imposante qui fragilise plus encore les personnages, Albert et Edgar errent, chacun de leur côtés, armés de fusils, inquiets et perdus. Avec une habileté désarmante, le cinéaste utilise un montage alterné qui nous laisse croire à la confrontation et s’en détourne de façon astucieuse pour nous entraîner ailleurs, vers une autre histoire. En semant ça et là des plans mystérieux, en coupant sèchement certaines séquences, en insérant une série d’éléments symboliques (du moineau vivant au moineau mort, en passant par le moineau empaillé), le cinéaste brouille les pistes, nous dupe et crée sans cesse la surprise et le renouveau avec délicatesse.
Dans un monde où l’on ne reçoit pas d’encouragements mais des brimades et des armes, dans un monde oppressant où la désobéissance est inenvisageable, les enfants vont devoir se choisir, construire un futur et enterrer peut-être, le passé. Et c’est ailleurs encore que le cinéaste finalement nous conduits, vers la lumière, tout en douceur comme si nous étions nous, spectateurs, ces petits moineaux blessés qu’il voudrait protéger de ses mains.

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