La Position du lion couché de Mary Jiménez
Du verbe mourir
Disons le d’emblée, une fois n’est pas coutume, La Position du lion couché, le dernier film documentaire de Mary Jiménez est un grand moment de cinéma dans ce qu’il a de plus vrai et de plus vital. Ce qui préside à l’aventure que nous propose Mary Jiménez tient dans l’élaboration d’un regard si présent, si apaisé de tout conflit, qu’il nous permet de voir, au-delà des apparences, ce qui, potentiellement nous lie à l’autre, et de saisir comment cet autre est déjà l’apprentissage de nous-mêmes.
Expérience d’un lien qui naît comme il se noue, qui perdure alors que la mort le dénoue, l’acte de filmer, chez Mary Jiménez, est l’acte qui fait surgir du commun entre celui qui filme et celui qui est filmé. Son cinéma est la mise en partage avec le spectateur de cette communauté qui dépasse, et de loin, l’instant particulier d’un film.
Pour Mary Jiménez, filmer est un geste d’une telle importance dans ses implications, qu’il est avant tout une question de vie ou de mort, et il n’est guère étonnant si La Position du lion couché se déploie entre ces deux mystères que sont la naissance et la mort.
Le film commence autour d’une caméra entre Mary, un bébé et un ours en peluche. Se trouvent réunis là le cinéma, la vie et cet ours en peluche qui va nous conduire dans un établissement en soins palliatifs où Mary visite, depuis des mois, des personnes condamnées par des maladies incurables. Très vite, la nécessité de filmer va s’imposer à elle comme une façon de se confronter à sa propre mort, à sa propre vie. Filmer ces hommes et ces femmes en train de mourir, c’est, pour Mary, filmer ce qui en elle, à leur contact, s’éveille de questions et d’émotions. C’est filmer ce qui, se posant d’abord comme un refus et une séparation, devient progressivement une rencontre. Et ce lent mouvement de rapprochement, dépassant souffrance et angoisse, va trouver les complicités d’une proximité débarrassée de la honte et de la culpabilité d’être en bonne santé, d’être, pour Mary, différente. Commence alors un véritable voyage initiatique où ce qui relève du verbe mourir prend tout son sens dans le désir d’être ensemble.
Pour raconter cet exorcisme de la distance et cette apparition d’une affection commune, Mary invente un art cinématographique où, mélangeant sa sensibilité à celle des autres, sa parole aux récits des autres, chaque moment de son film devient comme l’écho, la résonance de ce qu’elle est en train de vivre et d’éprouver. Par un montage subtil autant que maîtrisé, elle rend manifeste cette découverte de la mort dans tout ce qu’elle a de nécessaire à la vie, dans tout ce qui la fonde comme instant fondamental du vivant au même titre que la venue au monde.
Si en parallèle à cette saisie de la mort, Mary filme une femme se préparant à accoucher suivant des rites anciens et collectifs, c’est bien pour faire le lien, encore le lien, avec ce qu’elle apprend auprès d’une autre femme qui se prépare à mourir. Il est possible de faire de notre mort, comme de la venue au monde d’un enfant, non pas une œuvre d’art mais une création commune, l’affirmation d’une communauté.
Et ce voyage de trouver sa résolution évidente dans cette étrange communion où, la mort étant survenue, les hommes et les femmes qui restent autour de la disparition, la vivent comme un hommage à la vie.
Film d’une douceur extrême, La Position du lion couché est bien plus que tout ce qui précède. Il est Mary Jiménez dans cette fragile beauté qui ouvre grand nos yeux sur ces mondes qui nous entourent et fait se rejoindre dans la magie du cinéma le verbe mourir et le verbe aimer.