Un nouveau Magasin aux couleurs belges ! Si Patrice Leconte est venu en visite au Pôle Image de Liège en octobre, c’est bien parce qu’un producteur belge a littéralement craqué sur son vaste chantier d’animation qui verra le jour en 2012 : Le Magasin des Suicides.
Le Magasin des Suicides de Patrice Leconte
Nous sommes en juin 2009. Patrice Leconte, le réalisateur césarisé de Ridicule, fait l’événement aux Cartoon Forum de Lyon. Il y évoque le projet le plus fou de sa prolifique et éclectique carrière, Le Magasin des Suicides : une animation tournée dans une assez sublime 2D en relief et tirée du roman à succès de Jean Teulé. Présent à l’époque dans la salle, Sébastien Delloye, le producteur belge d’Entre Chien et Loup, tombe sous le charme, et convainct, dans la foulée, Philippe Reynaert et Wallimage de s’investir dans cette longue et passionnante aventure, que rejoindra également la RTBF. En quelques mots, l’histoire pour le moins cocasse de cette comédie hirsute, raconte le quotidien de la famille Tuvache, composée de cinq membres. Les parents, commerçants, qui vendent toutes sortes de produits pour permettre aux clients de se suicider, le frère aîné, dépressif mais créatif, la sœur complexée et enfin Alan, le cadet, qui va soudainement bouleverser les plans de tout le monde, avec une joie de vivre complètement marginale. 1500 décors fabriqués chez nous Avant d’entamer une belle et fructueuse discussion avec le réalisateur, le privilège nous est offert de visionner deux brèves séquences du film. "C’est toujours un peu bizarre de montrer un extrait comme ça", précise un Leconte intimidé sur le coup. Trop peu pour un jugement global évidemment, mais suffisant pour deviner le potentiel chef-d’œuvre. Via un procédé particulier de mise en relief, les travaux en Belgique se sont concentrés sur les plantureux décors - au nombre de 1500 ! Une vingtaine de dessinateurs et d’animateurs seront d’ailleurs encore à l’ouvrage jusqu’en décembre, pour boucler douze mois de labeur.
Ex-critique des Cahiers du Cinéma mais aussi ancien dessinateur du magazine BD Pilote aux côtés de personnalités telles que Gotlib ou Goscinny. "Je n’ai pas continué là-dedans parce que bosser seul ne me plaisait pas trop", Leconte a plusieurs fois frôlé des projets proches d’un monde qu’il connaît à merveille. "C’est vrai. À une époque, on m’a demandé de réaliser une version de Tintin. Il n’était pas encore question de motion capture, mais bien de prises de vue réelles. Mais trouver des sosies au Professeur Tournesol et au Capitaine Haddock ne m’enchantait pas trop, d’autant que ça avait déjà été fait. J’ai poliment refusé, tout comme je l’ai fait plus tard avec La Marque jaune.
Inadaptable en réel
Dès lors, pourquoi avoir accepté ce Magasin des Suicides, un film qui devait initialement lui aussi se tourner en prise de vues réelles ? Et pourquoi tarde-t-il à nous rappeler qu’il en a complètement chamboulé son dénouement ?
"Comme je n’ai pas le talent d’un Tim Burton, le filmer dans la réalité m’était impossible. Par contre, quand Gilles Podesta, le producteur français, m’a suggéré d’en faire un film d’animation, tout s’est soudainement éclairé dans ma tête. J’ai dit oui et l’après-midi-même, j’étais déjà au boulot. Je précise que j’étais dans une période exceptionnellement creuse ! Pourquoi en ai-je changé la fin ? C’est très bizarre. J’en ai parlé avec l’auteur, qui était tout excité de voir son livre adapté. Mais dans son livre, le personnage qui amène l’optimisme finit par mettre fin à ses jours. C’était pour moi en totale contradiction avec tout ce qu’il véhiculait dans le récit. Je me suis dit qu’on ne pouvait pas faire ça au cinéma, au risque d’avoir l’esprit foutu pour une semaine. Et Teulé m’a dit sans la moindre hésitation : T’as raison, change la fin!"
Unique, ce film que l’on comparera forcément plus aux Triplettes de Belleville qu’à Avatar, le sera forcément. Pour sa technologie, sa splendide bande-originale – partiellement enregistrée dans les propices salles de Flagey – et un humour noir aussi british qu’inhabituel, ou encore, parce que pour la première fois de l’histoire, un film d’animation a fait appel à un couturier (Jean-Paul Gaultier) pour les costumes du film. Et enfin, parce que le réalisateur, si habitué à faire tourner les plus grands, a cette fois fait appel à des comédiens moins connus pour la post-synchro. "Ces dernières années, j’ai regardé beaucoup de films d’animation. Et il n’y a rien à faire, mais quand je vois par exemple un renard passé avec la voix de Patrick Timsit ou de quelqu’un de connu, je pense à ce quelqu’un de connu. Et pas au renard. C’est pour cela que j’ai volontairement fait appel à des comédiens expérimentés, mais que le grand public ne connaît pas ou peu." Parmi les heureux élus, on citera néanmoins Bernard Alane (qui campa le fameux Hibernatus auprès de Louis de Funès).
Contre-pied à la 3D
Egalement mis en boîte à Montréal et à Angoulême, ce film d’animation à l’ancienne tranchera avec la mode des films en 3D. "Franchement, il faut reconnaître que beaucoup de films en 3D se ressemblent trop. J’avais très envie de m’échapper de tout ça, tout en créant un film d’animation pas spécialement destiné aux petits enfants. En général, les films d’animation leurs sont dédiés. Les producteurs savent très bien que les enfants y vont avec leurs parents, quitte à y retourner avec leurs grands-parents ensuite. Nous, malheureusement, nous n’aurons pas cette chance-là. Mais nous assumons notre choix, bien sûr." Rôdé à la pression et gavé de succès publics, Leconte ne craint presque plus l’échec. "Je suis arrivé à un âge où je ne réalise plus que des films pour mon propre plaisir". Quid des critiques, contre qui il s’était soulevé ("Je le regrette parfois, et mieux vaut que je n'en parle plus, car je l’ai payé cher!") – à juste titre, selon nous – il y a une dizaine d’années, pour contester la virulence anormalement gratuite envers les films français ? "J’espère quand même être à la hauteur des attentes. Car elles existent, dans le sens où le bouquin a très bien marché et que des tas de gens l’ont lu" (NDLR: il figure même dans les programme des Collèges français). "Mais il y a aussi une attente par rapport au support, par rapport à ce que le film raconte et comment il le raconte". Attendu, on en conviendra, le résultat devrait normalement être visible pour le prochain Festival de Cannes.