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Le sommeil des amazones de Bérangère McNeese

Publié le 01/10/2015 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

En compétition nationale de courts métrages au FIFF de Namur 2015

Les fleurs sauvages

Le sommeil des amazones raconte l'histoire de jeunes filles que la violence d'un parcours intime a failli mettre sur le flanc. Mais au lieu de crever comme des animaux blessés sur le trottoir mouillé, elles se redressent, tenues par leur rage, leur fierté, et surtout la force de leurs liens. Porté par cinq comédiennes magnifiques et émouvantes, Le Sommeil des amazones déploie sa matière narrative avec beaucoup de finesse pour capter la beauté sauvage et vivante d'une bande de filles qui se portent et se soutiennent. Deux fois élu par la presse, d'abord au Brussels Shorts Films Festival puis au Brussels Films Festival, le premier film de Bérangère McNeese confirme qu'il est une belle révélation.

Le sommeil des amazones de Bérangère McNeeseÇa commence dans la grisaille d'une gare en béton. Une jeune fille attend quelqu'un, téléphone, laisse des messages. Elle marche, elle arpente. Puis, finalement, se couche par terre. Une autre jeune fille surgit et l'entraîne avec elle, la guide dans cette ville pour elle inconnue vers un appartement comme un nid où sont lovées déjà trois autres jeunes femmes sur des matelas. Les corps s'entassent, dans l'intimité des bras et des jambes qui se chevauchent et s’enlacent. Les mots sont rares. Pas beaucoup d'explications. Là, l'hospitalité tout simplement. Le matin se lève, les jeunes filles partent retrouver leur vie, ne posent pas encore trop de questions. Entre celle qui vient d'arriver et une autre qui est restée, un échange s'installe autour du linge blanc qu'on étale dans l'appartement. Le film glisse alors dans la blancheur, le rayonnement de la lumière, les douceurs des demi-mots. Avant de s'envoler dans une nuit folle et rock'n'roll de plaisirs, d’enivrements, de fougues et de colère noire comme des blessures sans fond.

Construit en quelque sorte en trois temps qui se succèdent comme des tableaux, Le sommeil des amazones se déploie autour de moments de vie qu'il s'emploie à capter avec ampleur. Il privilégie les ellipses et une certaine économie narrative pour rester dans le présent vibrant d'instants suspendus. La caméra portée, vive, dans le sillage des jeunes femmes, saisit le groupe à travers la nouvelle venue. Les jeunes femmes s'organisent entre elles, avec peu, mais elles sont libres. L'appartement semble un cocon protecteur où tout est en commun. Les douleurs et les joies qui les traversent se racontent dans les gestes simples d'un quotidien mis en partage. Peu à peu, leurs histoires se dévoilent, ébauchées. Peines d'amour, violences d’innocence malmenée, elles sont seules, isolées. Mais désormais, elles sont entre elles et n'ont plus besoin de personne, sauf d'elles-mêmes. Avec beaucoup de grâce, Bérangère McNeese réussit à saisir les blessures, la joie, la rage qui animent chacune d'elles. Mais c'est aussi le groupe qu'elle arrive à faire exister, lorsqu'il fait face à la violence des autres, aux hommes, à l'ivresse, aux douleurs de chacune. Qu'elle filme des chorégraphies électriques, des disputes ou des confessions, tout se raconte dans la vivacité des gestes, des regards et des corps qui vibrent. Elle capte ces complicités au bord de l'amour qui se tisse dans des détresses qu'on tait par pudeur, par fierté. Et c'est finalement aux jeunes femmes, qu'elle rend hommage, les rendant à leur beauté indomptable et vivante, fleurs sauvages que rien n'arrivera jamais à abattre, amazones libres, fortes et belles, prêtes à en découdre, pourvu qu'elles s'aiment. 

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