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Marina de Stijn Coninx

Publié le 15/10/2013 par David Hainaut / Catégorie: Critique

Bienvenue chez les Ritals

Après plus de soixante années d’immigration italienne en Belgique, la large communauté des Ritals de notre pays tient en Marina "le" film qu’elle attendait. Un hommage vibrant, rendu par un ex-nommé aux Oscars, Stijn Coninx, qui signe là une belle réussite cinématographique.

Marina de Stijn Coninx

L’une des principales vertus du septième art, c’est bien sûr son universalité. Le réalisateur de Marina le clame haut et fort : « La vie est trop courte, et le cinéma trop cher pour ne faire que des films bons à être projetés dans votre jardin. »
Pour établir un parallèle, évoquons Les Barons : le film, en plus d’avoir été un succès (115 000 entrées en 2009),- notamment parce qu’il fut le tout premier à honorer au cinéma une communauté si souvent malmenée, - a réussi à faire déplacer dans les salles un public qui ne s’y rendait pas. La thématique universelle portée par des gens simples avait fonctionné à merveille, ralliant tous les publics.

Un film très attendu

Vu l’attention suscitée par Marina depuis un moment, puisque sa bande-annonce a déjà été visionnée à 50 000 reprises avant même que ne débute officiellement la promotion du film (!), le film détient en fait tous les ingrédients pour créer pareil engouement. Ses investisseurs flamands (via Peter Bouckaert producteur de Rundskop, et la VRT), francophones (les Frères Dardenne en personnes, et la RTBF) et forcément italiens (la RAI, chaîne publique italienne) l’ont compris depuis bien longtemps.
Mais l’élément qui a donné naissance au film, c’est un simple coup de fil donné en 2007 par le chanteur italo-flamand Rocco Granata, internationalement célèbre grâce à un titre, Marina, à Stijn Coninx, le réalisateur de Daens ou de Sœur Sourire.
Le premier, 75 ans aujourd’hui, interrogeant alors le second pour savoir quel pouvait être le support idéal (documentaire, livre ou film) pour fêter les 50 ans de son tube.
Il cantautore était alors loin de penser que Coninx allait non seulement lui conseiller de se lancer dans les trois entreprises, mais de se servir lui-même de sa propre histoire pour donner naissance à un long métrage, six ans plus tard.

Davantage qu’un biopic

Quatre ans après Sœur Sourire, celui qui est aussi vice-président de la cinémathèque royale, hésita un moment avant de se lancer dans une deuxième biographie consécutive. Mais le réalisateur de 56 ans, qui a recueilli pendant des années une flopée de témoignages issus de tout le pays, jusque sur le site du Bois du Cazier à Marcinelle - l’incident de 1956 est bien sûr évoqué dans le film -, a rapidement mesuré l’immense potentiel de Marina.

Car le véritable conte de fée qu’a vécu Rocco Granata à la fin des années cinquante était un prétexte idéal pour évoquer le passé minier des Italiens de Belgique qui touche, de près ou de loin, près de 300 000 immigrants, sans compter leurs proches ou amis. En somme, l’alliage était parfait pour réaliser une fiction fédératrice et au moins aussi marquante que le titre d’une chanson qu’à peu près chaque spectateur chantonne au sortir de la salle. (Vous pourrez vérifier).

Sous-titré, car tourné à 85% en italien, Marina touche dès les premières scènes tournées en Italie. Là où, à la fin des années quarante, sans le sou, le père de Rocco Granata, campé par un magistral Luigi Lo Cascio (La Meglio Gioventù), prédit aux siens que la Belgique, alors à la recherche de milliers de travailleurs, serait leur nouvel eldorado... pour à peine quelques années, croyait la famille de Rocco, à l’instar de toutes les familles d’émigrés de la première génération.

L’émotion au rendez-vous

Doté d’une charge émotionnelle puissante, qui permet de capter l’attention du spectateur, Marina n’avait pas besoin d’être raconté autrement que classiquement et de façon chronologique, pour bien comprendre le vécu des immigrés d’alors : quitter le soleil radieux d’Italie pour la bruine de Belgique, affronter un racisme terrible et bien sûr, cette fameuse mine. En filigrane, la musique, à travers l’accordéon de Rocco-le-virtuose, rythme une histoire où les auteurs ont greffé une idylle amoureuse avec une jeune flamande. Tout à fait plausible, car vécue par de nombreux compatriotes de Rocco.
Le film ne pèche que par quelques détails : la visibilité du manque de moyens, et surtout, son …affiche. Un long métrage de cette qualité, prétendant rallier tous les publics, n’avait franchement pas besoin de miser sur une affiche aussi racoleuse. Surtout qu’elle risque bien d’effrayer quelques nonni et nonne du fin fond du Borinage, de Charleroi ou du Limbourg !

Triomphe en vue ?

Le film est littéralement porté par ses acteurs, à commencer par l’enfant et l’adolescent qui jouent Rocco : Cristiaan Campagna et Matteo Simoni. Matteo, né en Flandre il y a 26 ans, a accompli exactement le chemin inverse du personnage, puisqu’il a passé un long moment en Italie pour apprendre coutumes, gestes et langue pour un résultat assez spectaculaire à l’écran.
Mais il faut aussi évoquer les prestations d’Evelien Bosmans (Helena), meilleure actrice flamande en 2012, et de Donatella Finocchiaro (Ida, sa mère), deux fois nommée meilleure actrice italienne en 2003 et 2009.

Si Marina, 20 ans après Daens, est promis à un beau retentissement national, historique peut-être, sa carrière internationale a d’ores et déjà bien débuté : diffusé en première mondiale lors du récent Festival des Films du Monde de Montréal dans la catégorie des "Grands Maîtres" en hommage à Stijn Coninx, le film a trusté son premier prix (des étudiants) en Espagne au Festival de Valladolid et concourra à Rome, la semaine de sa sortie en Belgique. Peut-être un nouveau triomphe en vue pour Coninx, le film sortant à un moment où l’immigration n’a jamais suscité autant de débats dans toute l’Europe.

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