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Nos cœurs sont vos tombes de Roger Beeckmans

Publié le 01/04/2004 par Philippe Simon / Catégorie: Critique
Nos cœurs sont vos tombes de Roger Beeckmans

Le Temps du pardon

 

Quelques dates pour servir de repères. D'avril à juin 1994, le Rwanda est le lieu d'un effroyable génocide. Plus d'un million de Tutsi et de Hutus modérés y sont massacrés dans l'indifférence générale. Sept ans plus tard, en avril 2001, se déroule à Bruxelles, le procès dit des "Quatre de Butane" qui voit quatre présumés génocidaires reconnus coupables et condamnés à de lourdes peines de prison. Au cours de ce procès des veuves d'un petit village rwandais, Sovu, trouvent le courage de venir témoigner et racontent ce qu'elles ont vécu. Pour elles, sans justice, il n'y a pas réconciliation possible. D'autant que face à elles, les accusés dont deux religieuses, ne manifestent pas le moindre remord pour les crimes qu'ils ont commis. Aujourd'hui, en 2004, dix ans après les massacres, le gouvernement rwandais et les églises prônent l'heure du pardon national alors que dans les prisons locales quelques 80.000 suspects attendent toujours d'être jugés. Alors que de plus en plus de génocidaires reviennent à la vie civile avec tout ce que cela comporte de tension et que dans les villages des tribunaux "populaires", les Gacaca, s'organisent en vue de rendre justice, seule instance permettant au difficile travail de deuil de se faire. Nos coeurs sont vos tombes, le dernier documentaire de Roger Beeckmans se construit à partir de ces trois moments et tente de comprendre comment les rescapés du génocide et leurs bourreaux peuvent aujourd'hui apprendre à vivre ensemble.

 

Mémorial de Murambi

Pour Roger Beeckmans comme pour beaucoup d'autres se "vivre ensemble"n'est possible que par un travail de mémoire et une volonté de justice. Son film illustre et participe à cette nécessaire reconnaissance collective des crimes qui seule autorise le pardon. Son enjeu se voit clairement énoncé lors du séjour que fait Roger Beeckmans dans le village de Sovu où il retrouve les femmes venues témoignés en 2001 et où il découvre leur situation de désarroi extrême et de menace latente "laissant planer de sombres doutes sur une réconciliation imposée d'en haut et qui ne vient pas du coeur". Cinéma de la responsabilité, Nos coeurs sont vos tombes est nourri de bonnes intentions et tout entier dans ce désir de lutter contre l'oubli et de refuser ce négationnisme où l'on enferme les victimes dans les geôles du silence. A la fois informatif et moralement efficace, il use du cinéma pour servir une cause en prenant à son compte le point de vue des victimes mais se faisant il évacue ce qui dans le cinéma est de l'ordre de l'expériencesubjective, cette part aventureuse de celui qui filme et qui crée l'émotion.

Document journalistique où un discours préétabli conditionne interviews et prises de vue, Nos coeurs sont vos tombes se ressent de cette absence d'un regard personnel qui suppose chez le réalisateur zones d'ombres et fragilités, mise en risque et interrogations. Nous comprenons bien le souci éthique qui anime Roger Beeckmans, son élan humaniste et sa sensibilité pointue née au contact des victimes. Ce qui nous empêche d'y participer pleinement tient dans son option formelle, celle d'un reportage documenté se servant de l'image de l'autre pour illustrer un engagement et qui donne à son film cet aspect lisse, poli et univoque qui désamorce une bonne partie de son propos.

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