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Orgesticulanismus de Mathieu Labaye

Publié le 02/12/2008 par Anne Feuillère / Catégorie: Critique

Orgesticulanismus « Orgesticulanismons ! »



Orgesticulanismus est le premier court métrage d’animation d’un ancien élève de La Cambre, produit par Caméra etc. Animateur dans cette maison de production consacrée principalement au film d’atelier, Mathieu Labaye a déjà réalisé en son nom propre deux courts métrages. À Media 10-10, son premier film professionnel aura fait l’unanimité, empochant le Prix du Meilleur Court Métrage d’Animation remis par le Jury Officiel et celui du Jury Presse.

C’est qu’Orgesticulanismus, au bord d’un cinéma expérimental, est un film qui cherche, se libère, énergique, frénétique, jubilatoire, tellement vivant. Très ambitieux techniquement, il s’organise en dehors des genres codifiés du court métrage, sans scénographie étouffante ou conventions dramaturgiques attendues. D’une étonnante richesse formelle, tant par son travail autour du dessin que par ses articulations à la bande sonore et à la musique, Orgesticulanismus est d’une grande inventivité et se construit en trois temps sur une idée assez simple.

Tout est dans ce titre plutôt imprononçable qui semble une sorte de barbarisme formé à partir de plusieurs mots qui frappent : « le geste, la gesticulation », « l’orgasme, l’organisme» et « l’anima animée ». Trois plans de projections qui articulent le film en quelque sorte. Orgesticulanismus n’est pas une fiction, il ne raconte pas d’histoire, mais cherche à mettre en scène « le mouvement », du pur mouvement, l’essence même du cinéma. Il n’est pas documentaire, et pourtant il se construit autour d’un témoignage, celui de Benoît Labaye, le père du réalisateur, qui conduit le cheminement du film à travers sa voix en off. Mathieu Labaye monte d’abord des photographies d’un enfant qui grandit au fil du temps. Devenu adulte puis vieillissant, cet homme semble s’immobiliser pour s’arrêter enfin, totalement cloué dans une chaise roulante. En voix off, l’homme raconte son expérience : « C’est par le mouvement qu’on s’approprie sa propre vie. Par la liberté d’aller, de venir, d’avoir des gestes d’amour, de colère, peu importe. Quand on est privé du mouvement comme je le suis, si on veut survivre, il faut réinventer le mouvement autrement. ». Comme pour faire œuvre de réparation, Orgesticulanismus va frénétiquement reconstruire le mouvement pour le donner à voir, à sentir, l’abstraire enfin, mettant en scène dans le geste, la colère, la révolte, le débordement des énergies, la joie, l’apaisement. 
Cette dernière image photographique d’un homme cloué dans sa chaise roulante se transforme en un dessin : le même homme est relié à des fils, immobile toujours, dans sa chaise roulante. Lui succèdent d’autres personnages (petite fille qui descend d’une chaise, vieillard qui se redresse, gros monsieur qui fait pipi), eux aussi reliés à des fils, dont le film décortique le mouvement, le reproduisant plusieurs fois. Répétition mécanique des gestes de petites marionnettes. Et puis, voilà que le premier des personnages, celui de la chaise roulante revient, tente de se lever de sa chaise, tombe mais se transforme en un autre personnage. Chaque image désormais sera celle d’un autre corps, d’un individu nouveau. Dans ces multiplications de personnages qui mutent les uns les autres par le vecteur du mouvement, c’est le mouvement lui-même qui se figure, s’échappant de cette toile d’araignée pour s’évader dans une danse de plus en plus frénétique. Sur une musique extrêmement rythmée, entre jazz et electro, signée Fabian Fiorini, ces mutations superposées explorent la richesse des mouvements de la danse, moment de jubilation totale où les corps jouissent de leurs propres possibilités, sortant d’eux-mêmes, en extase, jusqu’à se heurter à leurs limites et exploser. Alors, au-delà même des gestes,  les corps sont devenus  des images abstraites, ronds de couleurs, anneaux flottants, le mouvement s’étant comme libéré, se figurant désormais de l’intérieur, pure sensation, respiration, pulsation.

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