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Où est l'amour dans la palmeraie? de Jérôme le Maire

Publié le 12/01/2007 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique

Le réalisateur Jérôme le Maire a quitté la Belgique depuis deux ans avec sa femme et ses deux petites filles. « Nous voulions quitter l’Europe, changer de mode de vie, vivre plus simplement, en famille ». Ils choisissent donc de s’installer dans une palmeraie du sud du Maroc, isolée comme une île au milieu du désert.

Où est l'amour dans la palmeraie? de Jérôme le Maire

Jérôme et les siens se retrouvent donc dans une situation d’immigrés dans une culture qui n’est pas la leur. C’est là que Jérôme s’est mis en quête. Armé de sa caméra, une question simple mais passionnante l’interpelle : Où est l’amour dans la palmeraie ? L’amour tel qu’il le connaît, dans sa conception « romantique » et donc européenne, peut-il exister dans ce contexte ? L’amour a-t-il droit de cité dans un paysage aussi aride, dans un pays où les traditions les plus archaïques ont la dent dure, où les femmes sont encore trop souvent considérées comme inférieures ? Ou bien Jérôme devra-t-il remettre en question sa propre conception de l’amour et faire fi de sa culture natale pour mieux comprendre son pays d’adoption ?L’amour, Jérôme cherche à le filmer, à le voir, à le comprendre : est-il dans le nikâh (mariage) ? Dans le Coran ? Dans t’khlidi (la tradition) ? Ou dans la s’hour (la sorcellerie) ?

L’amour est-il au souk (marché hebdomadaire) ou au moussem (fête locale annuelle) ? Comment l’amour peut-il naître dans la séparation des sexes, dans cette obsession de la virginité, dans les mariages arrangés ? Comment l’amour peut-il naître dans un paysage aussi rigoureux, dans le respect de règles ancestrales strictes et immuables ? Comme l’aurait dit Patrick Schulmann, « Et la tendresse, bordel ? » Ce film est donc l’histoire d’une quête, mais aussi celle d’une rencontre : celle entre Jérôme, qui va visiter le moindre recoin de la palmeraie, et Mansour Jibrane, 40 ans, son guide, lui aussi en quête d’amour, ou plutôt d’une épouse.
Jérôme va donc étudier les comportements entre les hommes et les femmes et tirer quelques précieux témoignages de la population locale. D’abord, tous semblent se mettre d’accord : il n’y a pas d’amour dans la palmeraie mais « ça doit exister »... Pour d’autres encore, l’amour n’est qu’un vague concept, secret, qui doit rester caché. C’est pour ça que les femmes doivent rester voilées. Mohammed lui, aime sa femme parce qu’elle nettoie son linge… Pour lui, la vie dans la palmeraie est lamentable : il n’y a pas d’argent, pas d’alcool, pas de travail. Qui aurait le temps de penser à l’amour ?

Pour les hommes, les femmes ne sont « pas vraiment une préoccupation ». Ici, les épouses sont « données » à leurs maris. Et en cas de deuil, ceux-ci se mettent en quête d’une nouvelle épouse après quinze jours… Pour certains encore, « L’amour n’existe que pour une certaine classe sociale, ceux qui n’ont aucun problème de subsistance. » Et Jérôme le Maire de montrer la méfiance incroyable qui règne entre hommes et femmes. D’après certains, la femme n’aimerait que les hommes riches. Dans la palmeraie, les préjugés ont la dent dure… 

L’amour, personne n’y croit. La génération des parents, pour la plupart illettrés, refusent ça à leurs enfants et les élèvent dans le respect des traditions. On ne verra jamais d’hommes et de femmes marchant main dans la main. Trop inconvenant, trop impudique… Sur le marché local, nous voyons les hommes d’un côté et les femmes de l’autre, en clans séparés. Une image qui fait froid dans le dos. Plus grave encore, de nombreux jeunes gens nous donnent une explication encore un peu plus édifiante : l’amour selon eux est DANGEREUX. En effet, un jeune homme surpris avec une jeune fille sera battu publiquement puis se verra obligé de l’épouser sous peine de faire 5 ans de prison. L’amour est donc un péché, quelque chose avec lequel on ne joue pas. L’amour ici n’est pas un jeu. Il est même l’une des raisons pour lesquelles beaucoup de jeunes garçons portent des armes.Bref, difficile pour nous, européens, de comprendre des traditions ancestrales caduques aux motivations dépassées et souvent irrespectueuses des droits élémentaires de l’homme et de la femme. Et pourtant, le film de Jérôme le Maire ne fait pas dans le pathos, dans le pamphlet ravageur et dénonciateur. Au contraire, les hommes et les femmes interviewés sont, pour la plupart, des gens heureux, charmants et extrêmement chaleureux. Paradoxal ? Car derrière les interdits, ce que révèlent les images de le Maire, c’est bien souvent une timidité et une tendresse assez touchantes. Le meilleur exemple en est Mansour, le guide, à qui le réalisateur essaie de trouver une épouse. Sous ses propos machistes et dépassés, Mansour est pourtant un homme terriblement timide et impressionné par les femmes. Quand le réalisateur organise une rencontre entre Mansour et une jeune célibataire prénommée Sanaa, celui-ci se retrouve tel un petit garçon rencontrant une fille pour la première fois. Il la rejettera malgré tout. Pas son style, trop bavarde… Et comme il le répète à qui veut l’entendre, il n’est pas prêt à se marier car il ne veut pas perdre sa liberté. Une excuse comme une autre pour cacher sa gaucherie et sa maladresse. Et Mansour de s’en aller vers le soleil couchant en chantant « I’m a poor lonesome cowboy »…Outre Mansour, d’autres portraits touchants se dévoilent au cours des recherches de Jérôme. Il faut voir la tristesse et la peur d’une jeune fille promise à un homme qu’elle ne connaît pas et dont la nuit de noces prochaine la terrifie. En effet, selon la tradition, si une jeune fille ne saigne pas lors de la nuit de noces, elle sera répudiée par son époux et le reste de sa famille. Un scandale qui fera le tour de toute la palmeraie.

Jérôme le Maire se contente de filmer sans porter le moindre jugement de valeur sur les comportements. Il aime profondément ses personnages et cherche à comprendre les traditions, leurs bons côtés et souvent, la tristesse, la frustration et la peur qu’elles engendrent. Dans ses images, dans l’énergie des jeunes garçons, dans la beauté incroyable de jeunes filles aux sourires innocents, il parvient même à montrer ce que jamais personne autour de lui n’osera avouer : le désir.
Dans la palmeraie, malgré le désir, c’est un immense mur invisible fait de traditions, de peur et de répression qui sépare encore les hommes et les femmes.
Alors, où est l’amour dans la palmeraie ? Bien caché dans les esprits et dans les cœurs, enfoui sous les décombres de la tradition. Il ne demande que de gros efforts pour sortir.

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