Radio-Ciné : une émission de Henri Roanne et Gérard Valet (1960-1972)
Radio-Ciné, une émission de Henri Roanne et Gérard Valet (1960-1972)
Au début, il y avait l’amour du cinéma
Au moment où je suis rentré à l’INR, en 1959, il y avait une émission prestigieuse dont j’étais un auditeur assidu, "L’Amour du cinéma", réalisé et présenté par Dimitri Balachoff et Tania qui était une émission passionnante à laquelle il m’était arrivé de participer autour d’une table ronde, puisque Dimitri invitait, chaque semaine, un panel de critiques pour discuter des films nouvellement sortis.
Le conflit des amants
À un moment donné, il y a eu un conflit dont je ne connais pas vraiment les tenants et les aboutissants entre Dimitri et la direction de l’époque et ce conflit a porté sur la manière dont "L’Amour du cinéma" avait rendu compte du film de Louis Malle, Les Amants (grand scandale pour la Belgique de cette époque-là). Je pense que Dimitri, comme d’habitude, est monté sur ses grands chevaux, la direction n’a pas cédé, on a dit « on va continuer ce magazine même sans lui ». Moi, j’avais quelques scrupules quand on m’a demandé de le faire et parmi les gens qu'on m’a adjoint il y a quelqu’un qui est devenu mon complice dans des tas d’autres éditions, dans des tas de films, dans des tas de réalisations qui est Gérard Valet. Il avait une très bonne pratique du montage radio, de la mise en onde etc., et nous avons donc décidé de faire une autre émission.
Radio-Ciné
"L’Amour du cinéma" est devenu RADIO-CINE. En fait on a appelé ça RADIO-CINE parce que ça correspondait à ce que nous voulions faire : une séance de cinéma, ce qui à d'ailleurs allongé la durée de l'émission. "L’Amour du cinéma" durait une demi-heure, RADIO-CINE durait une heure. On a repris la structure d’une séance de cinéma de l’époque. Ça commençait par l’actualité, et l'actualité, bien sûr, c'était l'actualité cinématographique: des interviews, les sorties etc., ensuite, des publicités: c'étaient des bandes de lancement des films qui sortaient, puis, il y avait un documentaire, qui était un dossier radiophonique un peu plus approfondi sur l’un ou l’autre sujet relatif au cinéma et, enfin, le grand film: ça veut dire que nous racontions, via des extraits de bandes sonores, les films qui sortaient.
Le film radiophonique, une invention belge
Mine de rien, ça représentait un travail incroyable, d’abord, de copiage puis de repérage, d’écriture, d’enregistrement des commentaires sur la bande-son elle-même. C’était un travail passionnant. Je pense qu’on peut dire qu’on a été les premiers à le faire de cette manière-là. Ça a été repris ailleurs, dans d’autres radios. Honnêtement, il n’y avait pas de type aussi vicieux que Gérard sur le plan de la technique pour pousser le raffinement du son aussi loin ! (rires) RADIO-CINE a dû démarrer je dirais en 1960, et a duré jusqu’au moment où j’ai décidé de quitter l’INR devenue RTB, de quitter en tant que parmanent, c’est-à-dire fin 72.
Le film belge est-il radiophonique ?
Oui effectivement. Je me souviens d’un RADIO-CINE qui était un peu particulier, que j’ai fait avec André Delvaux. Il s’agissait… je ne peux plus me souvenir avec exactitude de quel film, mais en fait, là c'était un résumé du film qu' André commentait au fur et à mesure. Je racontais le film et, en même temps, André l'analysait; c’était une extraordinaire leçon de cinéma parce qu , si André a été un très grand cinéaste, il a été plus encore un pédagogue absolument génial.
Radio-Ciné fait de la résistance
Ces années-là, il y a un long métrage qui a fait sensation, c'était le film de Emile Degelin: Si le vent te fait peur, pour lequel il y a eu une grande controverse, et que, moi en radio, j'ai soutenu, notamment par le fait que la musique de Martial Solal a été reprise par nous pour l'indicatif de Radio-Ciné, ce qui était aussi une manière de soutenir le film. Je dois dire honnêtement qu’à l’époque je trouvais, je trouve encore, quoi qu’aujourd’hui ça s’est un peu arrangé, que la critique belge n’a jamais vraiment soutenu les films belges ;
Au risque de paraître prétentieux, je peux dire que j’ai été un des rares à dire : « il ne faut pas considérer les films belges avec commisération, il faut pouvoir parler de leurs défauts etc... il faut accompagner et stimuler et faire connaître ce mouvement qui est en train de se créer en Belgique ».
Quand aujourd’hui je rencontre des gens qui me disent « quand l’Homme au crâne rasé est sorti, ça été tout de suite fabuleux », ce n’est pas vrai : ça été désolant ! Moi y compris, je le dis honnêtement, la réaction de la critique a été qu’on n’a pas compris ce film. Il a fallu la réaction de Michel Cournot dans le Nouvel Observateur disant « on a découvert un des grands cinéastes du siècle » pour que subitement la critique belge porte attention à cette œuvre et lui donne la place qu’elle mérite.
Donc, je trouve effectivement qu’on n’a pas,- je parle de manière générale avec quelques exceptions dans lesquelles j’ai tendance à m’inclure - , on n’a pas soutenu le cinéma belge en faisant des comparaisons absolument absurdes avec des cinématographies étrangères et en ne tenant compte ni des conditions économiques ni d’une culture particulière ni d’une identité, etc.