Rencontre avec Marion Hansel - "En amont du fleuve"
Cinergie : La plupart de vos films sont des adaptations de livres que vous avez aimés et dont vous avez perçu immédiatement les images, les décors et les personnages. La rencontre avec Hubert Mingarelli a donné naissance à une collaboration plus étroite, la coécriture du scénario. Pouvez-vous nous parler de cette rencontre ?
Marion Hansel : Il est sûr que quand j’ai lu, il y a quelques années, le premier roman de Hubert Mingarelli, Quatre soldats, je lui ai trouvé une écriture discrète, pertinente, économe. J’étais alors davantage frappée par son écriture que par l’histoire qu’il racontait. J’ai tout de suite éprouvé l’envie de découvrir qui était cet auteur. J’ai lu ensuite La dernière neige qui m’a bouleversée. Jusqu’où un adolescent peut-il aller par rapport à un désir ? Quelle concession est-on prêt à faire pour atteindre un rêve ? Ce thème, je l’ai trouvé très intéressant et fort. Les droits d’adaptation du livre n’étaient pas libres, mais le contact avec l’écrivain était établi. Par la suite, Hubert m’a dit qu’il avait écrit des nouvelles encore inédites, sous le titre de Noir océan. J’adaptai deux de celles-ci dont j’ai fait une seule histoire. Je lui ai envoyé les différentes versions du scénario à mesure que je les écrivais. Nous étions à l’unisson sur ce choix de l’adaptation. Ensuite, nous nous sommes rencontrés et nous nous sommes liés d’amitié.
Après Noir Océan, il y eut La Tendresse qui est un scénario que j’ai écrit toute seule.
Je n’avais pas envie d’écrire immédiatement après un autre scénario original. J’ai demandé à Hubert s’il n’avait pas envie de co-écrire un scénario avec moi sur un thème que je lui proposai : trois hommes de cinquante ans, taciturnes, essaient de se rencontrer et de se connaître. Tout cela ressemble aux personnages dont Hubert parle dans plusieurs de ses romans. J’étais aussi intéressée par l’absence de femmes, de mères dans son univers.
Nous avons travaillé ensemble sur l’absence du père. Nous avons surtout réfléchi au désir de l’un des demi-frères. Celui qui n’avait pas connu son père, qui ne connaissait même pas son nom car sa mère ne le lui avait jamais révélé. Survient, ensuite, à la mort du père, la découverte d’un demi-frère et la rencontre avec lui.
Le film raconte un double voyage. C’est un voyage dans la recherche psychologique, psychanalytique de cet enfant qui a souffert toute sa vie, jusqu’à cinquante ans, de cette absence de père et en même temps, le voyage physique de ces deux demi-frères qui remontent un fleuve vers l’endroit où ils ont appris que ce père avait trouvé la mort dont on ne saura pas s’il s’agit d’un suicide ou d’un meurtre.
C . : Comme dans plusieurs de vos films, il s’agit d’un huis clos où les personnages se trouvent confrontés l’un à l’autre, dans l’aridité des montagnes qui enserrent l’eau du fleuve.
M.H. : La nature peut être inquiétante parce que l’on sent que l’on est vraiment loin, isolé et seul. C’est un paysage de rochers. Le petit caboteur ne peut même aborder que difficilement, s’arrêter le long des berges. Cette nature peut ajouter une pression, une tension, une angoisse au cours de la remontée de la rivière.
C. : Ce huis clos revêt une qualité d’intimité et d’émotion particulières lorsque les deux demi-frères, enfermés dans la minuscule cabine du bateau, se parlent avant de s’endormir.
M H. : Je les ai filmés presque toujours dans la pénombre. Les questions et les réponses sont échangées sans que l’on puisse voir leurs regards. On entend leurs voix, ténues, presque comme un chuchotement.
C. : Le film nous fait découvrir, progressivement, les caractères des demi-frères, davantage à travers leurs gestes, leurs réactions qu’à travers leurs mots, car ils se montrent peu enclins à raconter l’histoire de leurs vies respectives.
M.H. : Les deux demi-frères parlent peu. Il y en a un qui pose prudemment et timidement des questions à l’autre, presque toutes en relation avec le père. Et l’autre qui ne répond jamais de manière volubile, si ce n’est par de petites phrases manifestant qu’il n’a pas envie de parler de ce père. Il reste terriblement elliptique dans ses réponses.
Lentement, on comprend que l’un est le patron d’une entreprise de camionnage. C’est un gamin qui s’est fait tout seul et qui est arrivé à devenir son propre patron. Mais on comprend aussi que la fierté qu’il éprouve de sa réussite s’écroule parce que son seul désir était qu’un jour, s’il rencontrait son père, il puisse lui dire : « Voilà ce que j’ai fait de ma vie ». Ce qui n’est plus possible.
Et l’autre demi-frère qui écrit des romans éprouve peut-être un même manque mais d’une manière différente car il a connu son père. Mais il dit aussi : « Notre père, mes romans, il ne les a jamais lus, et peut-être ne savait-il même pas que j’en écrivais. » Ils sont tous les deux en manque de reconnaissance. Et je pense que c’est quelque chose d’universel. Le film traite de cela.
C. : Comment avez-vous choisi vos acteurs ?
M.H. : Dès le départ de ma collaboration avec Hubert Mingarelli, je lui dis que je désirais qu’on écrive une histoire pour les trois comédiens que j’avais déjà choisis et dont j’avais déjà l’accord : Olivier Gourmet, Sergio Lopez et John Linch. C’est vraiment de l’écriture sur mesure.
C. : La brève apparition de John Lynch me rappelle son rôle dans The Quarry où il incarne un homme en fuite…
M.H. : Après avoir laissé le bateau, les deux demi-frères rencontrent un troisième personnage, un peu énigmatique. Il parle avec un accent étranger, c’est un anglophone. Il porte un fusil de chasse et dit travailler pour la protection des animaux. On ne sait si c’est vrai ou faux. Il a assisté à la mort de leur père, mais son rôle demeure mystérieux. Il appartient à chaque spectateur de projeter sur lui sa propre interprétation du personnage. Et le film n’apporte aucune réponse, il n’est pas une enquête policière. Le personnage du père, les circonstances de sa mort, posent des questions qui resteront sans réponse.
C. : Un jeune chien apparaît comme un personnage à part entière du film, comme c’était déjà le cas dans Noir Océan.
M.H : Il apparaît en effet comme le confident de chacun des demi-frères et cela tour à tour. Et sa disparition dans l’eau de la rivière rappelle à Omer la présence dans son enfance d’un chien pour lequel il éprouvait de la tendresse. « J’ai eu un chien, dit-il, et je l’ai vu mourir, je l’ai caressé. Il s’appelait Copain. » Et ce souvenir donne au personnage une dimension de grande humanité.