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Rencontre avec Patrick Dechesne & Alain-Pascal Housiaux

Publié le 15/12/2014 par Anne Feuillère / Catégorie: Entrevue

Des fantômes et des pierres

 Sélectionné au dernier festival de Rotterdam puis dans la compétition Emile Cantillon au Festival du Film Francophone de Namur, L’éclat furtif de l’ombre, le premier long métrage de Patrick Dechesne et Alain-Pascal Housiaux, raconte les chemins d’un exil forcé avec beaucoup de pudeur et de silence. Voyageant entre la vie d’un chauffeur de taxi à Liège et ses souvenirs de la guerre en Ethiopie, le film tisse une temporalité intime en forme de ronde, les éclats fragmentés d’une vie déracinée, vouée à l’effacement et à la dissolution. D’une grande beauté formelle, le passage derrière la caméra de ce tandem de directeurs artistiques, est une gageure, un projet ambitieux, dont la portée politique est délicatement bouleversante, car, écrivent-ils, « comme un sang d’ombre écoulé aux bas-côtés du monde, la réalité de l’exil moderne attise un feu où la béance intime de chacun se reflète. » 


Cinergie
 : Vous êtes tous les deux décorateurs, scénographes, directeurs artistiques. Quel désir vous a conduit à la réalisation ?
Patrick Dechesne : C’est un long parcours qui part du théâtre en passant par la scénographie et la rencontre avec l’Ethiopie. Depuis longtemps, nous gardions des traces cinématographiques de ce que nous traversions, de notre travail mais aussi de ce qui se passait sur le plateau, le tournage, les gens. Cette trace cinématographique nous suivait mais nous n’en faisions pas grand-chose. Ce pays a soulevé la possibilité qu’on passe à la réalisation. Cela devait arriver naturellement.

C. : Ce premier film est ambitieux, faussement simple. Ce fut un projet difficile à porter ?
P.D. : Il n'a pas été facile à porter, non. La préparation du film s'est étalée sur environ six ans. Mais cette durée était nécessaire à son élaboration, à notre travail, mais aussi à celui que nous voulions mener avec les comédiens. Nous sommes retournés assez souvent en Éthiopie pour faire ces trajets avec les gens, repérer les lieux, apprendre à se rencontrer et travailler ce dépouillement de l’image que nous cherchions. Nous voulions cette espèce de radicalité pour toucher au plus sensible de ce rapport à l’exil. Il fallait que le spectateur puisse faire son propre chemin au sein du film.
Alain-Pascal Housiaux : Ce projet est né de presque rien, d'une rencontre avec la terre, avec le caractère des Ethiopiens. Notre activité principale étant la construction de décors pour le film des autres, c'est sur le film Teza d’Haile Gerima que nous avons rencontré cette terre, cette lumière, et ces gens. Et ce cheminement du spectateur dont parle Patrick, nous voulions l’initier nous-mêmes dès le départ pour nourrir l'écriture du film. Nous sommes partis à la découverte de ce pays avec l’envie de nous perdre dans cette terre, dans cette culture d’abord parfaitement inconnue pour nous. Se glisser dans cette difficulté-là a été l’un des ferments du film. Ce sentiment d’étrangeté, cet effet de dépaysement, au fil de nos retours successifs sur près de dix ans, nous l’avons petit à petit creusé pour l’amener vers le thème de l'exil.

L’éclat furtif de l’ombre, le premier long métrage de Patrick Dechesne et Alain-Pascal HousiauxC. : Et comment avez-vous concrètement travailler ce sentiment ?
P. D. :
Les premières fois où nous sommes retournés en Ethiopie, nous sommes partis avec une caméra que nous avons plantée sur une espèce de charrue - on s'est d’ailleurs resservi de ce système, que nous avons perfectionné, pour tourner - et nous nous sommes mis en marche avec les gens. La caméra les prenait dans les talons. On marchait, on suivait les gens, on changeait de personne, on voyageait ainsi dans les différentes régions. Quand nous sommes revenus avec tout ce matériel, nous nous sommes adressés au GSARA et Hervé Brindel, que ces images passionnaient, nous a conseillé d'y retourner pour incarner ces personnages dont on ne voyait que les pieds. Nous nous sommes dits pourquoi pas et nous avons commencé à travailler.
A-P. H.: Avec ce système composé de deux boîtes d'eucalyptus, un bois très souple, tendre et élastique, la caméra était comme à fleur de sol, elle permettait d'annihiler le mouvement du porteur et d’entrer en vibration avec le marcheur. Plusieurs personnes nous ont dit que nous avions filmé une Afrique un peu bizarre, qu'on n'a pas du tout l'habitude de voir. Et beaucoup se demandaient où allaient ces gens, pourquoi ils étaient partis ? Quel facteur les avait mis en mouvement ? Au fur et à mesure de nos rencontres, de nos retours successifs, par consolidation des liens d'amitié et de cette possibilité de remonter des talons jusqu’au visage, d'étendre le champ des regards, ce thème de l'exil s'est construit et avec lui, un personnage qui embrasse l'inconnu. Mais il est poussé, jeté dans cet inconnu, c'est un départ violent. Le voilà en route pour sauver sa peau, pour retrouver des gens, pour recoller à une communauté. Et pour finir, il se perd à l'intérieur de cette terre éthiopienne, où l’on peut vraiment se perdre étant donné ses contrastes et ses richesses. Le film laisse de côté les routes, les villes, les villages… Il n’y a que cette campagne éthiopienne qu’on traverse d'Ouest en Est, de la frontière du Soudan jusqu’à Djibouti, en suivant le croissant de la frontière érythréenne. Nous ne voulions vraiment pas nous arrêter sur des constructions humaines.

Interview de Patrick Dechesne et Alain-Pascal Housiaux, réalisateurs

C. : Ce trajet, vous l'avez donc effectivement suivi dans le film ?
P. D. : Oui. Bon, on n’a pas tout fait à pied (rires). Mais on l'a fait à chaque voyage en Éthiopie. Il faut quand même souligner que ce film existe grâce au soutien et la ferveur de toute une équipe avec qui nous sommes soudés depuis le début. Le caméraman, le preneur de son, Nico Bunnik, David Mennessier, Marie-Hélène Dozo, Frédéric Noirhomme, Hélène Louvart.... Si nous n’avons pas toujours fait tous les voyages en groupe, le preneur de son est venu régulièrement avec nous par exemple. Et de fait, nous avons voyagé dans tous les lieux que nous avons filmés. C'est ainsi que nous avons rencontré Abebe, le comédien qui joue le jeune Adisu. C'est lui qui nous a guidés dans les montagnes de Lalibela.
A-P. H. : Lors de nos pérégrinations, nous étions d'abord appelés par les décors. Les idées de progressions de la narration étaient en ferment, et puis les rencontres avec les différents lieux permettaient, selon leurs caractéristiques, qu’elles prennent forme. Comme la scène de danse avec les ombres, par exemple, que nous avons filmée près de la frontière érythréenne où la lumière est très électrique, très blanche, où le moindre angle de pierre est incroyablement détaillé...

C. : Le territoire a donc nourri la narration ?
P. D.: Le territoire, les confrontations entre la Belgique et l'Éthiopie, les rencontres successives que nous avons faites au fil de l'évolution du scénario. En fait, nous avons pu toucher à la poésie, à quelque chose d'un peu impressionniste, grâce à la confiance entre nous. Les gens que nous filmions avaient leur poésie personnelle et intégraient ce qu'on leur demandait en toute confiance. Au fur et à mesure du tournage, nous nous sommes rendu compte que les choses prenaient une dimension qu'on avait certes espérée, mais qui outrepassait toutes nos attentes. Un traducteur nous a accompagnés tout au long de ces voyages bien sûr. Mais parce qu’il avait beaucoup à faire, nous avons souvent travaillé par dessins. Tsega, la vieille dame à l’âne, nous l’avions dessiné les mains dans les pierres, et nous avions travaillé avec elle à partir de ces dessins. Dans cette séquence, quand Adisu est debout, avant de lui dire que son âne est parti, elle le regarde sans rien dire et tout ce temps est d’une très grande justesse ! Quand nous avons tourné cette scène, je me suis vraiment demandé où elle était allée trouver ça. Je pense que c’est dû à la culture, à la poésie qui habitent ces gens.
A.P.H. : Nous demandions aux acteurs des choses très abstraites. Ce geste qu’elle a trouvé, trier ses pierres et les jeter, est vraiment à elle. Sans doute qu’il ne lui est pas inconnu, mais elle y met une force et une détermination…
P.D. : Ce type de travail, on n’y arrive pas en une fois. Nous sommes aujourd’hui dans des logiques de productions de plus en plus rapides. Nous n’aurions jamais pu arriver à un résultat pareil sans ce temps de préparation nécessaire pour instaurer ces relations de confiance. Ce type de projet nécessite beaucoup d’énergie et de temps. Au niveau artistique, il faut se battre tous les jours et remettre chaque jour le couvert pour que personne ne réduise le projet à quelque chose de vite fait bien fait.

A-P.H : Et ce n’est pas parce que c’est difficile qu’il ne faut pas inviter les autres à tenter d’en faire autant ! (rires)
P.D: Cela se gagne dans la confiance, toute cette finesse.
A-P.H. : Nous sommes d’ailleurs partis dans trois minibus, il y en avait un pour le matériel et les deux autres étaient dévolus à l’équipe. Tout le monde était là, il y avait les deux personnages féminins, les soldats ont continué le voyage avec nous….

C. : De l’Ethiopie, vous avez consciencieusement évité toute « carte postale ».
P. D. : Nous ne voulions pas stigmatiser les images. Nous avons tourné en Éthiopie, mais le film pourrait se passer n’importe où. De la même manière, en Europe, nous voulions une ville portuaire.
A-P H. : Une espèce de bout du monde, comme le port d'Anvers ou de Hambourg, Le Havre ou Rotterdam, ce côté un peu déshumanisé que peut offrir l'Europe. On y retrouvait ce même personnage après une ellipse, il a dépassé les 70 ans, il est chauffeur de taxi dans une ville européenne qu’on ne nomme pas. Pour des raisons de production, c’est Liège, et c'est très bien.

L’éclat furtif de l’ombre, le premier long métrage de Patrick Dechesne et Alain-Pascal HousiauxC. : Le monde occidental que vous filmez est un monde désert lui aussi.
A-P. H.: Oui, en tout cas désincarné.
P. D.: Si ce n'est qu'on est très proche des personnages. La ville est déshumanisée, mais on reste souvent en plan serré, proche des visages et des corps. Nous voulions cette grande proximité de la caméra avec les personnages à l'écran.

C. : Que ce soit les oiseaux, les pierres, l’eau, tout le film se construit par un travail de résonances des motifs narratifs, des éléments parfois très simples qui tissent le récit.
P. D.: Nous voulions que le film soit intemporel. Nous avons fui l’anecdotique. Ça a d’ailleurs été un combat au niveau scénaristique. Quand les gens lisaient le scénario, ils se demandaient s’il ne manquait pas de pathos, d’émotion, mais nous voulions absolument rester dans cette rigueur. On a d'ailleurs mélangé les costumes pour ne pas trop marquer les époques. On a joué sur la fluidité, pour que le spectateur fasse de lui-même ce trajet entre présent et passé.
A-P. H.: C'était aussi un pari que de proposer un film où le spectateur a également la possibilité d'ajouter une pierre à l’histoire. Il peut aller puiser dans ses souvenirs, dans ses propres départs ou son rapport à ses grands-parents par exemple, avec le jeune Adisu. Ce sont des portes ouvertes. Avec des objets usuels, une très grande économie de moyens et d'éléments dans l'image, nous avons tout le temps essayé de laisser au spectateur la possibilité de prendre, d'intégrer, d'ajouter son vécu au récit et de venir faire résonner en lui ce questionnement sur l’exil.

C. : C’est aussi pour cela que vous avez délibérément laissé la fin ouverte ?
A-P. H.: Quand j’ai découvert ces images, j’ai trouvé que Joseph, qui incarne Adisu âgé, nous offrait une plénitude enivrante. Le déplacement, ce visage extrêmement serein, ce jeu d’ombres que provoque le défilement des branches, tout cela sculptait tellement son visage que par moment je voyais en lui les traits d’un nourrisson, alors que ce monsieur a largement dépassé la septantaine. C’est une sorte de retour, et c'est pour ça qu'on a voulu que cette image termine le film, un film qui, dès le départ, se souhaite comme une lettre ouverte.
P. D.: Nous avions fait des repérages à Hambourg près de la frontière du Danemark et il y avait une jetée enneigée qui s’enfonçait très loin dans la mer, comme une aiguille. Pour nous, c’était la fin du film. Il s'enfonçait sur cette digue si lointaine qu'il semblait marcher sur l'eau. Cette fin est la transposition de cette blancheur, de cet horizon où le personnage partait seul. On a proposé à Joseph de se coucher sur le pare-brise, et on a laissé glisser la voiture. Cette image est le fruit d’une réelle conjonction des lumières. Il n’y a eu aucun travail de surimpression. Pour nous, il part dans ses souvenirs, il s’en va voyager éternellement dans sa mémoire, flotté comme un bateau de jonc sur le lac. Tous ces arbres qui passent sont aussi des étincelles de souvenirs, ils vont se reconstituer pour former une histoire, même si ce n’est pas celle qu’il a réellement vécue. Ce ne sont plus que des bribes. C’est un film en forme d’éclats, comme le raconte le titre. Cette narration nous l’avons voulu ainsi et la fin prend aussi cette forme.

C. : Par instant, dans son errance, Adisu se confond presque avec le décor, il se minéralise. À d’autres moment, les images sont si oniriques qu’il se donne à voir sur un mode irréel du fantôme. Votre personnage semble disparaître dans ce temps de l'exil devenu perpétuel.
A-P. H. : On est hélas trop souvent interpellé dans les médias par des informations dramatiques sur ces questions d’immigrations où l’on nous parle du nombre, de la masse. Dans cette notion de masse, l'anonymat est permis. Au départ de ce problème de société qu'il faut prendre à bras le corps, à bras le cœur, il ne faut pas évoquer cette notion de masse, mais partir d’un seul individu par le biais d'une focale très resserrée. Quand on est très proche de quelqu’un qui va partir, qu’il ne reviendra peut être jamais, que c’est sans doute dangereux, on a toujours le geste de le retenir. C'est aussi le cheminement de ce geste que nous avons voulu suivre. Nous avons voulu fondre notre personnage dans les décors jusqu’à l’évanouissement mais pour pouvoir le reprendre, ne pas le perdre complètement. Nous voulions aussi que le film soit très pudique. Il faut cette pudeur quand on s’approche d’aussi près de l'intimité de quelqu'un.

Interview de Patrick Dechesne et Alain-Pascal Housiaux

P. D.: De la dignité aussi. On a vraiment essayé de toucher au plus simple de l'intériorité. Ça a été le plus gros travail d’arriver à faire en sorte que les personnages soient dans leur plus grande solitude sans montrer leur souffrance. Joseph a vécu la même chose. Il n'est pas Éthiopien, mais Haïtien. Lui-même est parti lorsqu'il avait vingt ans. Il était certain de revenir après plusieurs années. Mais à partir du moment où on fait ce pas de partir, nous a-t-il dit, on se retrouve dans un tel tourbillon de solitude, une telle nécessité au jour le jour, qu’on ne revient jamais.
A-P. H.: C'est une part de son histoire. Lui, fuyait le régime des Tontons Macoutes. Il voulait continuer des études de géologie, et retourner là-bas plus tard. Joseph n’est pas du tout acteur, c’est un chauffeur de taxi, c'est comme ça que nous l'avons rencontré. Le personnage qu’il incarne n’était pas au départ du scénario. Nous pensions que le personnage du jeune homme allait se dissoudre dans le désert. Mais petit à petit, il nous a semblé qu’il nous fallait ce personnage en contrepoint. Nous avions besoin de lui pour faire le trajet inverse. Il est plus proche de nous dans le temps, il est dans notre civilisation européenne. On peut le croiser, rentrer dans son taxi et c'est à travers lui, à travers ce chemin de déconstruction du temps, qu'on replonge dans son passé, sa jeunesse. Il nous fallait un personnage en miroir. Et puis, avec le chauffeur de taxi, vient aussi l'idée du passeur, quelqu'un qui nous amène d'un endroit à l'autre. Cela induit un temps plutôt lent, il travaille la nuit, il n’a pas beaucoup de client. Mais il n’a pas de client parce que le spectateur est avec lui dans le taxi, c’est lui le client, invité à aller d’un point à un autre.
P. D.: Lorsque nous avons commencé à travailler avec Joseph, nous allions dans le port d’Anvers après ses journées de travail. Nous partions avec lui et nous passions de longs moments au bord de l’eau. C’est ainsi que ces séquences se sont construites. Toutes les répétitions étaient filmées. Nous allions étapes par étapes dans cette solitude partagée.

C. : Le film est traversé de beaucoup de symboles chrétiens. Est-ce quelque chose que vous avez voulu volontairement nourrir ? Ou est-ce le pays et les comédiens qui ont apporté cette dimension presque mythologique au film ? Je pense à cette fuite dans le désert, à cette espèce de portée en croix du personnage…
A-P. H. : Nous ne sommes pas arrivés en conquérant dans ce pays quand nous avons commencé à écrire le film. Nous devions être à l’écoute des gens pour pouvoir construire et travailler ensemble. Nous n’avons pas cherché à éluder cette dimension du sacré très présente en Éthiopie. C’est une terre qui a associé sans difficulté les trois religions du livre. Pour ce portée en croix, pour nous, il s’agit plutôt d’une sorte d’albatros. Nous voulions que ce corps soit porté par les autres, mis en contact avec le ciel pour faire référence à cette chasse aux oiseaux à l’ouverture du film. Il chasse, il a une arme qui peut tuer, ce dont le grand-père anticipativement le met en garde. Tout cela rejoint des éléments religieux que nous n’avons cherché ni à gommer ni à appuyer.
P. D.: C’est la même chose avec les pierres qui sont aussi très symboliques. Mais on s'en est servies parce qu’elles sont très présentes en Ethiopie, elles font partie de la vie des gens. Les gosses, par exemple, ont toujours des pierres à la main pour jouer, pour se défendre contre les chiens errants…

C. : Cette dimension sacrée vient poser l’exil comme une question presque par essence originelle.
A-P H. : On ne peut pas croire aujourd’hui que l'exil n’arrive qu’aux autres, qu’il ne peut pas se retourner. On n'a pas le droit de se planquer derrière une culture. La vie telle qu'on la partage dans notre société - avec cette violence, cette brutalité quotidienne - peut se retourner. Le nombre de gens qui, d'un jour à l'autre, voient leur vies construites basculer totalement et tomber dans la précarité est immense. C'est la même chose. Il faut prendre les choses en main, il est temps. On ne peut pas se dire que c'est simplement le problème du Sud. Cela résonne jusqu'ici, on ne peut pas continuer à se barricader. Cette réalité de l'exil contemporain nourrit un feu, oui et l'exil intérieur de chacun peut s’y refléter.
P. D. : On ne voulait absolument pas que le spectateur puisse mettre le récit à distance parce que ça ne se passe pas chez lui. On a voulu garder ce côté universel, ne pas l’éluder. Frédéric Noirhomme et Hélène Louvart, ont accordés un soin immense à ces cadrages et à la lumière pour construire la beauté de cette image, qui s'est confirmée avec le montage de Marie-Hélène Dozo. 
A-P H. : Au final, ces images sont esthétiquement fortes et belles, et on le revendique vraiment. Nous le voulions vraiment par respect pour rendre une identité à ces gens qui sont généralement anonymes, dont la vie a basculé dans l'ombre.

C. : Vous avez tous les deux commencés vos carrières dans le théâtre. Est-ce que cet esprit a nourri votre travail ? Vous avez tourné dans cet esprit de troupe ?

L’éclat furtif de l’ombre, le premier long métrage de Patrick Dechesne et Alain-Pascal HousiauxP.D. : Il y a quelque chose de plus direct dans le théâtre, une prise de risque pour les comédiens et chaque jour remet le couvert, oui. Quand on faisait du théâtre, on a très vite associé les peintres, les sculpteurs, un photographe. Toute cette notion de construire un spectacle à plusieurs a toujours été présente. Dans la conception du film, ici, on a travaillé à deux, mais tout le travail s’est fait en rebonds avec David Mennesier, le conseiller musical. Avec Marie-Hélène aussi, on s’est vu très vite, très tôt pour commencer à travailler un montage, faire des essais, on partait filmer, elle montait. Tout le film s’est vraiment construit avec ce travail peut-être plus semblable à celui qu’une troupe de théâtre fait chaque soir en recréant le spectacle.
A-P.H : Le théâtre a cette faculté de construire un personnage que nous avons continué d’élaborer dans notre travail de scénographe. Que ce soit une table ou un tissu qui doit habiller une fenêtre, qu’est-ce que ce travail de création peut apporter au personnage ? Quand nous avons quitté les pieds des personnages pour aller jusqu’au visage et au regard, nous avons fait ce travail, suivi cet élan.
P.D. : Et puis nous connaissons cette difficulté qui consiste à rester devant une caméra pour dégager quelque chose. Nous avons beaucoup de respect, de confiance et d’amour pour ce qui nous est ainsi offert.
A-P.H. : D’ailleurs, quand nous avons décidé de faire basculer le film dans les mots, nous nous sommes adressés à une comédienne, Sara de Roo. Nous voulions qu’à un moment le film quitte cet univers du silence, qu’il bascule dans les mots. Nous l’avons souhaité pour ne pas l’enfermer essentiellement dans le ressenti. C’est ce troisième personnage féminin qui entre dans ce taxi, le seul client d’ailleurs, en dehors de nous, spectateur. Elle parle d’elle mais elle lui donne sa voix.

C. : Avez-vous montré votre film en Ethiopie ?
P.D. : Pas encore. L’Ambassade d’Ethiopie nous a soutenus ici pour la première du film à Bruxelles et on va essayer d’établir avec eux un parcours du film à travers le pays mais c’est vraiment à organiser et il va probablement être montré au Festival d’Addis-Abeba.
A-H.P. : Mais évidemment, nous voulons le montrer à tous ceux qui ont participé à sa construction. Et puis nous avons un nouveau projet d’écriture qui pourrait nous ramener en Ethiopie, l’histoire d’un trajet, d’un exil inverse. 

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