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Rencontre avec Tanguy Roosen, président du CSEM

Publié le 01/07/2015 par Dimitra Bouras / Catégorie: Entrevue

Le Conseil supérieur de l'éducation aux médias a une longue histoire derrière lui. Aujourd'hui, le Csem compte une cinquantaine de membres effectifs et une cinquante de suppléants, issus des milieux de l'éducation et des médias, qui planchent sur une myriade de projets tantôt liés à l'éducation aux médias, tantôt à l'éducation au cinéma ou aux nouvelles technologies. Des idées qui fusent, qui n'attendent que d'être concrétisées, qui vont toutes dans le même sens : éduquer les jeunes, et les moins jeunes, face à ce foisonnement médiatique, cinématographique et numérique qui les entoure. Le tout est de convaincre les politiques face à l'urgence de la situation...

Des idées qui fusent, qui n'attendent que d'être concrétisées, qui vont toutes dans le même sens : éduquer les jeunes, et les moins jeunes, face à ce foisonnement médiatique, cinématographique et numérique qui les entoure. Le tout est de convaincre les politiques face à l'urgence de la situation...

Cinergie : Quand a été créé le CSEM ?
Tanguy Roosen : Une première mouture du Csem a été créée dans les années 1990 et puis il a été complétement réformé par le décret de 2008. Ce décret a étendu ses missions et, par la force des choses, a étendu également la composition du Csem. Aujourd'hui, c'est une centaine de membres issus du monde de l'éducation, de la culture, des médias, de l'éducation aux médias qui se rencontrent par groupes de travail pour créer des projets. Le conseil organise une réunion plénière tous les deux mois pour découvrir la présentation des projets.

C. : Pourquoi a-t-il été créé ?
T.G. : Il s'agissait de permettre à un nouveau dispositif d'enseignement de pouvoir commencer à investir le monde scolaire. C'est suite à un rapport qui avait été financé par la fondation Roi Baudoin. Partant du constat que les médias prenaient une place de plus en plus importante dans la vie du citoyen et qu'il fallait dès lors, comme on l'avait fait à une époque pour la littérature, donner les outils aux citoyens d'abord dans le cadre scolaire pour développer un point de vue critique par rapport aux médias, et parfois être eux-mêmes aussi producteurs de contenus médiatiques. Après plusieurs expériences concluantes, le législateur a souhaité, en 2008, étendre les compétences du Csem au-delà de l'école. Nous visons l'éducation aux médias tout au long de la vie, de la plus tendre enfance jusqu'à la vieillesse. Contrairement au monde scolaire qui est très structuré et où il est aisé de pouvoir intégrer des programmes d'éducation aux médias, le monde non scolaire, très demandeur, est moins organisé : il s'agit d'éducation permanente, d'aide à la jeunesse, d'associations de jeunes et d'adultes. La tâche est donc plus complexe. 

C. : Quelles sont ses missions ?
T.R. : Cette institution a comme mission, d'une part, d'être un lieu de rencontres structuré et organisé de professionnels et, d'autre part, il a une mission non réglementaire celle de rendre des avis dans tous les domaines qui concernent l'éducation aux médias. Il a aussi pour mission d'accompagner un certain nombre de grosses opérations. Par exemple, dans le domaine de la presse, Ouvrir mon quotidien est une opération qui consiste à distribuer des journaux dans les écoles, Journalistes en classe qui consiste à faire venir des journalistes des différents médias dans les écoles. Dans le domaine du cinéma, l'opération Écran large sur tableau noir qui permet de faire venir des classes d'élèves dans des cinémas : ils voient un film dans son entièreté et les professeurs peuvent repartir avec un dossier pédagogique abordant de nombreuses thématiques pour revisiter le film en classe. Une autre opération, c'est Appel à projets qui permet de financer des projets dans le fondamental et dans l'enseignement secondaire dans les écoles. Ces opérations sont suivies par un comité d'accompagnement qui aident ces opérations à connaître un plus grand retentissement, une meilleure diffusion en communauté française.

C. : Comment définiriez-vous l'éducation aux médias ?
Tanguy Roosen, président du CSEMT.R.: L'éducation aux médias n'est pas une manière d'attirer l'attention sur les dangers, c'est plutôt, au contraire, une manière de responsabiliser les gens face à leur utilisation et les autonomiser aussi. Pour que chacun puisse développer son propre esprit critique devant une image, un contenu médiatique sur les réseaux ou ailleurs. Il ne s'agit pas d'apprendre à mettre des philtres sur des logiciels pour empêcher de visiter « le monde merveilleux » d'Internet mais plutôt de se dire qu'on dispose d'un outil fantastique si nous restons vigilants face à ces contenus. Et, force est de constater, qu'autant en 2008 les volontés politiques étaient fortes autant depuis le décret on est moins soutenu financièrement par les ministres.

C. : Comment favoriser l'éducation au cinéma dans les écoles ?
T.R. : L'éducation au cinéma est composée de trois grands domaines : apprendre à voir et à découvrir des films, apprendre à analyser et à développer un sens critique et apprendre à fabriquer un film. Il s'agit donc de découvrir la notion d'image, de cadrage, de tournage, etc. Des compétences complémentaires doivent être communiquées, et ce sont de magnifiques vecteurs pédagogiques : quand on regarde un film et qu'on apprend à le critiquer, à l'analyser, on doit utiliser une grille de références cinématographiques. Si on propose aux élèves un projet de cinéma tout au long de l'année, si on leur propose de réaliser un film en fin d'année, on suit toute une série de compétences nécessaires et prévues dans le cadre scolaire pour les amener à une production cinématographique. Ils verront l'intérêt concret à apprendre la physique (les questions d'optique), la littérature (découvrir un scénario), apprendre à faire ensemble pour filmer et puis monter le film.

C. : Éducation aux médias, au cinéma, au numérique mais quid du documentaire ?

T.R. : C'est vrai que lorsqu’on regarde la programmation d’Ecran large sur tableau noir, il y a quelques grands documentaires qui ont connu un succès en salle, mais aucun documentaire télé ou principalement destinés à la télévision n'ont fait l'objet d'un dossier pédagogique, c'est plutôt la fiction. Mais le Csem est impliqué dans l'organisation du Week-end du doc. On a décidé, cette année, de mieux le préparer en proposant aux bibliothécaires et aux centres culturels une boîte à outils qui leur permettrait de diffuser des documentaires. Fort des conclusions de ces tables rondes, Roch Tran, du Centre du cinéma, a décidé de composer avec le Service des bibliothèques un groupe de pilotage qui regroupe le Csem, le Service de lecture publique, le Centre du cinéma et les ateliers de production pour identifier les freins et voir comment y remédier.

C. : Une des initiatives du Csem, c'est d'avoir répertorié les initiatives relatives à l'éducation à l'image et aux médias. Est-ce que les différentes associations concernées ont la possibilité de se rencontrer et d'harmoniser leur travail ?
T.R. : Au sein du Cesem, oui, puisque plusieurs associations issues de nos groupes de travail planchent ensemble sur des projets. Malheureusement, la mise en relation de ces différentes associations n'est pas encore parfaite. Pour le moment, beaucoup travaillent chacune dans son coin parce qu'elles ne sont pas stimulées à travailler avec d'autres associations.

C. : Avez-vous de nouveaux projets en cours ?
T. R. : Un projet qui est en gestation, c'est la modernisation de l'opération Ouvrir mon quotidien puisque la consommation médiatique est de plus en plus numérique. On ne peut plus se contenter d'une opération de distribution de journaux papiers dans les écoles, on doit passer à une étape nouvelle qui est de décliner l'opération Ouvrir mon quotidien à la presse numérique. Avec les journaux francophones de Belgique, une association qui regroupe la presse quotidienne, on est en train de travailler sur une modernisation de l'outil. Même ces modifications sont indispensables, il faut prévoir un coût et pour le moment, il existe une réticence de la part du gouvernement à investir dans cette forme d'éducation, estimant qu'il y a d'autres urgences, d'autres priorités. Bien que tous ceux qui travaillent dans le monde des médias se rendent compte qu'il y a urgence à former les jeunes. On voudrait également développer l'opération Écran large sur tableau noir. L'idée serait de permettre aux élèves de pouvoir s'investir eux-mêmes dans la fabrication de films. Il y a différentes associations en Communauté française qui proposent aux écoles de petites formations (par exemple une demi journée en maternelle où quelqu'un vient faire un petit film en stop motion avec les élèves). C'est une manière de voir comment on pourrait augmenter la visibilité de pratiques médiatiques.
De la même manière, il faut intégrer dans le milieu scolaire l'utilisation des réseaux sociaux. Il y a plusieurs urgences. Nous, nous avons des catalogues de propositions qui ont déjà été transmis au Ministre l'année dernière suite à l'évaluation du décret de 2008 où on propose des manières assez concrètes d'améliorer cette éducation aux médias dans les écoles. D'autre part, on essaie de se rapprocher du monde associatif et de l'éducation permanente pour qu'eux aussi puissent développer une éducation aux médias qui soit plus porteuse et structurée.
Par exemple, j'ai découvert qu'en Angleterre on avait réintroduit la notion de ciné-club dans les écoles. Après les cours, pendant la journée quand ils n'ont pas cours, les élèves peuvent voir des films, peuvent fabriquer des films, peuvent avoir la présence de professionnels qui vont les aider à décoder des films. Fantastique initiative menée par le British film Institute qui demande un peu de sous, mais qui permet d'occuper des élèves, de réintroduire la notion et le goût du cinéma dans le cadre scolaire. Ce n'est pas spécialement amener les enfants au cinéma, ce qui n'est pas toujours possible, ça demande une organisation au sein de l'établissement qui est parfois difficile. Donc, il est important de développer des moyens pour permettre à tous les élèves en Communauté française (et pas seulement aux 12-13% qui peuvent le faire grâce à l'initiative Écran large sur tableau noir) de découvrir le cinéma européen, belge, international. On pourrait s'inspirer de cette initiative chez nous.

C. : Pensez-vous que la double tutelle de Madame Milquet va aider le CSEM à réaliser ces différents projets ?

Tanguy Roosen, président du CSEMT. R. : Madame Milquet est la Ministre de la Culture et de l'Enseignement obligatoire, cela devrait être un grand soutien dans toutes les initiatives dans le domaine de l'éducation aux médias. On a vu qu'au travers de Djihad, la pièce de théâtre qui a été reprise suite aux événements de Charlie, plus de 10.000 élèves sont allés voir cette pièce. On espère voir renouveler cette dynamique. Le monde de l'éducation travaille sur un temps différent du monde privé. Le travail de préparation est très long... Le cadre scolaire est un système pyramidal. À chaque point de rencontre, il y a toute une médiation à entreprendre pour convaincre tous les maillons à participer à des projets : l'inspecteur, le directeur, les professeurs. On doit mieux comprendre le monde de l'éducation pour mieux travailler avec lui. Envoyer une circulaire scolaire ne sert plus à rien, il faut trouver d'autres moyens pour les toucher. Maintenant que les élèves ont cours de "rien", on pourrait combler ce "rien" par une éducation aux médias pour combler les lacunes ...

Pour plus d'infos sur le Csem, découvrez leur site: http://www.educationauxmedias.eu/

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