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SM-Rechter d’Erik Lamens

Publié le 09/04/2009 par Grégory Cavinato / Catégorie: Critique
SM-Rechter d’Erik Lamens

Juge et Bourreau 

De plus en plus fréquente sur nos écrans dès que la lumière s’éteint et que le film commence, la fameuse mention « adapté / tiré / inspiré d’une histoire vraie » est devenue, depuis quelques années, une expression consacrée, un argument commercial indéniable, mention attribuée bien souvent à des œuvres s’inspirant de faits-divers ou d’histoires à la véracité plus que douteuse. D’ici à ce que des producteurs malins tentent de nous vendre un Curious Case Of Benjamin Button comme « inspiré d’une histoire vraie », il n’y a qu’un pas… Les Frères Coen eux-mêmes, grands farceurs devant l’éternel, s’amusèrent avec ce phénomène à la mode puisque la sacro-sainte mention apparaît dès les premières images de Fargo… un scénario sorti de toutes pièces de leur imagination débordante.
Si le cinéma s’est toujours inspiré de la réalité et que le débat « Is it life imitating art or art imitating life ? » a encore de beaux jours devant lui, on ne peut s’empêcher de penser que l’essor malsain de la télé-réalité et sa célébration de la médiocrité sont à l’origine de la prolifération débordante de ces films-témoins puisant leurs sujets dans la réalité, non pas historique mais quotidienne. Le danger étant de voir les faits-divers les plus sordides adaptés à l’écran sous le prisme du grand spectacle, de la vulgarité, de la manipulation des faits (édulcorés pour le PG-13 ou exagérés pour la version interdite aux moins de 16 ans) et de l’iconisation à outrance des « petites gens ».
La grisaille quotidienne n’est-elle pas l’antithèse parfaite du Technicolor et du Cinémascope ? Comment rester digne et fidèle à la réalité tout en assurant le spectacle mais sans forcer le trait ? Comment adapter la réalité à l’écran sans dénaturer le propos, tout en faisant du vrai cinéma ? En 1999 déjà, Gene Bervoets, improbable héros de ce SM-Rechter apparaissait dans Shades, une œuvre (médiocre certes) qui posait la question de la responsabilité des cinéastes vis-à-vis des « vraies » personnes qu’ils dépeignent à l’écran. Aujourd’hui c’est à son tour d’incarner un juge bien réel et surtout, toujours bien vivant !

Avec SM-Rechter, le problème de la dramatisation romancée ne se pose pas vraiment, malgré des faits avérés, inspirés directement d’une affaire judiciaire ayant fait la Une des gazettes belges en 1997. Une affaire tellement édifiante, révoltante et confinant à l’absurde que l’on pourrait la croire inventée de toutes pièces ! Si le titre du film et son affiche particulièrement racoleuse peuvent faire penser aux œuvrettes panpan-cucul du petit Jesus (Franco) des années 70/80, il n’en est rien. SM-Rechter (Le juge sado-maso !) évite, avec bonheur, tous les pièges du voyeurisme et du racolage en se concentrant, avant tout, sur le portrait humain et bourré d’un humour en demi-teinte d’un homme (et de sa femme) tombés dans un engrenage aussi injuste que ridicule, presque kafkaïen. Du pain béni pour des cinéastes comme Orson Welles, Terry Gilliam ou Milos Forman, habitués à conter des histoires de Don Quichotte moderne se battant contre des moulins, a priori invincibles. Toutes proportions gardées (le premier film d’Erik Lamens n’étant pas à proprement parler un chef-d’œuvre), SM-Rechter s’apparente finalement, sans trop de difficultés, à un Larry Flynt à la belge…

1991. Koen Allegaerts, du tribunal de première instance de Mechelen, est un juge réputé particulièrement sévère au sujet de la prostitution. Marié depuis 15 ans et père d’une petite fille, Koen vit une petite existence tranquille et sans vagues. Depuis quelque temps pourtant, son mariage bat de l’aile et son épouse Magda, l’œil hagard et la croupe en berne, souffre d’une grave dépression. Une thérapie plus tard et Magda se décide enfin à expliquer à son cher et tendre le désir qui, depuis très longtemps, l’habite : Magda a des fantasmes masochistes, l’envie d’explorer l’univers des clubs sado-maso et surtout, le désir d’être dominée le plus violemment possible par un époux dont elle est toujours follement éprise.

D’abord choqué et réticent à la requête de sa femme, Koen, au pied du mur, comprend que, pour sauver son mariage, il n’a pas le choix. Il devra, petit à petit, apprendre à manier le fouet et la cravache à lanières cloutées et faire de sa femme son esclave. Le couple se lance alors dans une quête qui leur ouvre les portes d’un monde inconnu, fascinant et terrifiant à la fois. Au fil des ans, Koen et Magda deviennent donc des habitués des clubs sado-maso de toute la Belgique. Alors que Magda retrouve le sourire par l’assouvissement de ses désirs les plus violents et qu’elle susurre à son beau tortionnaire « fais-moi mal Johnny », le couple revit véritablement. Une renaissance fabuleuse, à la grande surprise de leur fille Iris ignorant évidemment les raisons de cette passion renouvelée.Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes jusqu’au jour où… la police met la main sur des clichés de Magda pris lors d’une session particulièrement extrême dans un chalet des Ardennes. Le genre d’images à faire défaillir Monsieur le curé ! Le domicile de Koen et Magda est perquisitionné et des bandes pornographiques dans le plus pur style Hellraiser sont confisquées comme pièces à conviction. Malgré les protestations de Magda, Koen est arrêté, suspendu de ses fonctions, accusé de coups et blessures et tortures envers sa femme ainsi que d’incitation à la prostitution. La presse est alertée et le juteux scandale du « SM-Rechter » éclate au grand jour.

Quelques mois seulement après l’affaire Dutroux, les autorités belges ne peuvent permettre un nouveau scandale d’ordre sexuel. Iris, choquée, quitte le domicile familial et refuse d’adresser la parole à son père. Koen et Magda perdent tous leurs biens et, en véritables parias, sont montrés du doigt… en attendant le procès. Alors que Koen, placé en garde-à-vue, s’apprête à rôtir sur le bûcher médiatique, il fait une tentative de suicide. Magda s’adresse alors aux médias, accusant à son tour l’état inquisiteur de s’introduire dans la chambre à coucher des citoyens. L’opinion publique s’empare de l’affaire et le débat fait rage. Koen et Magda vont bientôt se rendre compte que, comme le disait ce cher Georges : « non, les braves gens n’aiment pas que / l’on suive une autre route qu’eux. »…

La réussite majeure d’Erik Lamens est d’avoir su aborder un sujet susceptible de virer au sordide avec beaucoup de légèreté, d’humour et une tendresse infinie envers son personnage principal, ce juge un peu dépassé par les événements et qui, par amour et uniquement par amour, va passer outre ses préjugés initiaux pour retrouver la complicité de sa femme. Un rôle interprété à la perfection par Gene Bervoets, excellent acteur habitué des films d’Erik Van Looy (Shades, De Zaak Alzheimer et le triomphal Loft !) : entre maladresse et tendresse, passant de la sévérité à la tolérance la plus pure, impossible de ne pas s’attacher à ce héros malgré lui qui va devenir, comme le déclare sa femme lors du procès « le meilleur des hommes » avant de se retrouver martyrisé par les autorités belges jouant au jeu dangereux de l’Inquisition. L’hypocrisie, un des thèmes principaux du film, est ici démontrée avec force, et s’avère cent fois plus choquante que les pratiques brutales subies volontairement par Magda.

Si le dernier acte, consacré au procès, est moins réussi, et que l’on regrette la maladresse d’une brève tentative d’explication inutile « justifiant » les désirs de Magda, on applaudira néanmoins le talent d’Erik Lamens pour sa direction d’acteurs impeccable, ainsi que pour sa sensibilité à parler de choses soi-disant choquantes (son film n’est pas timide en matière de détails visuels susceptibles de heurter les âmes sensibles) sans œillères et sans retenue. Son SM-Rechter nous donne, une fois de plus, un bel aperçu de la bonne santé du cinéma flamand et de sa capacité à créer du divertissement intelligent, touchant et dépourvu de tout pathos malvenu. Parlant de cul sans être faux-cul, SM-Rechter a beau s’inspirer d’une histoire vraie encore dans toutes les mémoires, son ton, sa tendresse et son courage en font, contre toute attente, un vrai beau petit film de cinéma susceptible d’encourager bien des vocations et de donner un joli coup de pouce à l’industrie du cuir.

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